Ces gens… Le titre du livre pourrait laisser croire que l’on tient entre ses mains un recueil de nouvelles qui nous parlera d’êtres humains évoqués dans leur singularité, dans
leurs différences, ou peut-être encore dans la particularité de leur vision du monde, qui nécessiterait justement que l’on s’arrête sur eux pour en écrire quelques pages le temps d’une nouvelle.
Ici, la démarche est toute autre.
Le début de chaque nouvelle donne le ton. Le titre, un pronom personnel, indique immédiatement au lecteur quel sera le personnage central du récit. Et alors que la préface se targuait de vouloir
parler des gens qui entourent l’écrivain, celle-ci décide d’aborder, dès l’ouverture, le thème de son propre cas en l’ouvrant par le mot qui reviendra le plus souvent à travers les pages du livre
: « Je ».
Grande consommatrice des nouvelles technologies, comme elle s’en vante elle-même, Solenne Hernandez propose à son lecteur de la découvrir à travers un immense pot-pourri de petites anecdotes
futiles, mélangées dans un fouillis qui n’est justement pas sans rappeler le divin Facebook et ses blogs affiliés.
« J’ai entre 18 et 25 ans, je suis une fille, je suis bavarde, je suis étudiante et je rêve en permanence. […] Je suis aussi douée en mathématiques que Sherlock Holmes est un vendeur de sushis,
et je ne supporte pas la politique. […] Je dis que je ne crois pas au prince charmant mais je suis certaine en secret que son cheval est blanc comme dans les contes et que quand il sourit tous
les malheurs du monde s’évanouissent. […] J’ai des peluches, des CD, des DVD et je me targue même d’avoir encore des cassettes vidéos. J’aime aller en boîte de nuit, rencontrer des gens et
raconter des blagues vraiment pas drôles. […] La bourse, je n’y comprends rien et je ne cherche pas à y comprendre quoi que ce soit. […] J’ai un blog, où j’écris des choses qui me passent par la
tête, et je suis sur Facebook, parce que j’aime bien suivre certains phénomènes de mode. »
Ce bouillonnement d’anecdotes est drôle et frais, et il ravira certainement les connaissances de Solenne Hernandez, mais il ne réussira malheureusement pas à convaincre les autres lecteurs. Dans
ce désir de plaire à tous en dressant une image d’elle-même très stéréotypée et très en vogue –le type de la jeune fille un peu maladroite et rêveuse, contemplative et tournée vers les autres-,
son portrait s’estompe petit à petit et le lecteur n’en retiendra certainement rien d’original.
Le style est très naïf et si, dans certains cas, cela peut s’avérer rafraîchissant, il est ici porté à l’extrême. Les passages sirupeux se succèdent malheureusement trop souvent et obligent
souvent le lecteur à reposer le livre et à reprendre son souffle.
« Elle plongea son regard dans le sien, et posa sa minuscule main sur la sienne. Alors il sentit la boule dans sa gorge se resserrer. Il fallait qu’il occupe la fillette, il fallait qu’elle
pense à autre chose qu’à sa maman allongée dans le lit, bataillant contre la mort et contre le temps tandis que son enfant attendait. « Cerise… Il faut que nous les retrouvions. Nos sourires. Car
quand ta maman et ma chérie se réveilleront, elles risquent d’être tristes de ne pas les voir, tu ne penses pas ? » »
Malgré ces défauts qui alourdissent la lecture, on pourra se réjouir de certains passages où Solenne Hernandez met à profit tout son talent d’observatrice pour nous dresser des portraits
méticuleux de ces gens qui font l’objet de son recueil. L’œil acéré, rien ne lui échappe et tout est prétexte à divagation dans le quotidien, là où l’imagination aurait pu faire
défaut.
« Il avait enlacé ses doigts autour de plusieurs feuilles agrafées qu’il avait roulées à la façon d’un parchemin que l’on voudrait glisser dans une bouteille. Ses doigts refusaient de rester
tranquilles, comme s’ils battaient la mesure d’une mélodie qu’il était le seul à entendre. Mais les mouvements étaient nerveux, angoissés, comme s’ils relevaient davantage des automatismes que de
la volonté. Comme lorsqu’on tapote la table du bout des doigts en signe d’impatience, ou qu’on enroule une mèche autour de son index alors que l’angoisse commence à s’insinuer lentement dans
chacune de nos veines. Répondant à un ordre qu’eux seuls entendirent, mes yeux se levèrent alors doucement jusqu’à son visage. »
La construction de chaque nouvelle n’est pas inintéressante non plus. Édifiée en trois phases articulées autour du titre, du récit en lui-même et de sa conclusion, définie autour d’un trait de
caractère représentatif, elle confère un intérêt dramatique supplémentaire à la nouvelle en poussant le lecteur à se demander, au cours de sa lecture, quel sentiment l’écrivain cherche à nous
décrire à travers l’histoire qu’elle met en place.
Malheureusement, une fois encore, difficile de ne pas tomber dans la description caricaturale d’un trait de caractère…
« Il y a des gens qui parviennent à se fermer totalement aux agressions du quotidien, à ne pas tenir compte du malheur qui gravite autour d’eux, qui préfèrent se focaliser sur des détails qui
semblent insignifiants plutôt que de s’attarder sur ce qui fait du mal et qui empêche de progresser. Ces gens, je marche à leurs côtés, silencieuse mais pourtant débordante d’énergie. C’est moi
qui les fais parler sans s’arrêter pour qu’une conversation soit toujours active, moi qui leur fais dire n’importe quoi pour faire rire l’auditoire, moi qui les pousse à rigoler à pleins poumons
et ainsi, à me partager.
Je suis la joie de Vivre, et croyez-moi, je suis essentielle. »
Entre ses multiples gaucheries et son ton plutôt consensuel, heureusement relevé par endroits par quelques petits moments de grâce, je crois que ce livre porte finalement bien son nom.
Ces gens est dédié aux personnes qui accompagnent Solenne Hernandez au quotidien, et ceux-ci y trouveront certainement leur compte, ravis à l’idée de se retrouver dans l’une des
nouvelles de ce recueil ou curieux de découvrir les différentes facettes de la personnalité de l’écrivain. Pour les autres, l’intérêt retombe au fil de la lecture, et la conventionalité des
propos finira rapidement par transformer ce recueil en un livre qu’on oublie sitôt refermé.