« Je vous aimes, pourries,
Délicieuses pourritures. »
Hommage à D. H. Lawrence, poète de l’Eros par excellence. Joyce Carol Oates, nourrie de son amour infini pour la littérature, brode une histoire vénéneuse autour du poème « Nèfles et sorbes ».
Andre Harrow, un professeur de lettres au charme nocif, cherche à inculquer à ses élèves –exclusivement femelles- les fondements de la littérature comme voie de cheminement au-delà du bien et du
mal. Ainsi, si D. H. Lawrence est explicitement cité comme fin, Nietzsche n’est jamais bien loin lorsqu’il s’agit d’évoquer le moyen. Evidemment, les élèves d’Andre Harrow se pâment devant le
professeur au charisme puissant, mais celui-ci vit en couple avec Dorcas, une femme exubérante et volumineuse face à laquelle il semble impossible de rivaliser. Elle pratique la sculpture
primitive à tendance monstrueuse et sexuelle et ses créations ne suscitent pas l’indifférence, qu’elles fassent hurler d’indignation ou de fascination. Pourtant, Andre et Dorcas forment un couple
sulfureux bien plus facile à atteindre qu’il n’y paraît.
La toute jeune Gillian a été choisie par Joyce Carol Oates –élève parmi tant d’autres- pour se frayer une place de choix en la compagnie du couple. On soupçonne Gillian d’être une projection de
l’auteure au même âge. Passionnée de littérature, ses expériences mentales dépassent en intensité ses expériences physiques. Il ne lui manque plus qu’une impulsion pour concrétiser ses fantasmes
et celle-ci viendra de l’ardeur de son professeur de lettres. Dans ce milieu intellectuel qui cache ses vices et ses manies derrière un apparat distingué, les jeux de vilains se griment en
passe-temps cultivés. La poésie et l’écriture d’un journal transforment les jeunes filles en catins –paradigme d’une époque dominée par la libération sexuelle. Laisser libre cours à ses fantasmes
semble obliger à la confession de rêveries sexuelles non plus seulement intimes ou provocantes mais aussi humiliantes et masochistes. Si tel n’est pas le cas, la libération n’est pas achevée.
La frontière que devra franchir Gillian –passer du fantasme à son accomplissement- n’est pas franchement surmontée par Joyce Carol Oates. Si le poème de D. H. Lawrence nous convainc de son
érotisme latent, la sensualité de l’écriture de Joyce Carol Oates ne bouleverse pas par son évidence. Le ton reste potache et les aventures les plus captivantes se profilent plutôt dans les
relations liant Gillian à ses camarades de dortoir. Jalousie, fascination, mensonge et compétition se superposent et dessinent une carte de la haine et de l’amour dont les territoires se
confondent souvent. Cet aspect en particulier des Délicieuses pourritures rappelle parfois les confessions joyeuses et honteuses d’une Amélie Nothomb confrontée au sublime
féminin –dans Antéchrista par exemple.
Certes délicieuses, ces pourritures ne provoqueront toutefois ni indigestion, ni satiété. Elles ouvriront plutôt l’appétit en l’attente d’un dessert lawrencien.
Citation: |
La sagesse de Lawrence, comme celles des Anciens, est la suivante : on ne peut nier l’Eros. On ne peut résister à l’Eros. Il frappe comme l’éclair. Nos défenses humaines sont fragiles, ridicules. Des maisons de placoplâtre dans un ouragan. Votre triomphe réside dans une soumission parfaite. Le dieu de l’Eros se répandra alors en vous, comme dit Lawrence, dans « l’effacement parfait de la conscience du sang ». |
Un résumé du pessimisme :
Citation: |
« En proportion des imperfections de sa peau, un garçon est porté à l’ironie. » |
Délicieuses pourritures.
J’aime vous aspirer hors de votre peau
Toutes brunes et douces et de suave venue,
Toutes morbides…
Sorbes, nèfles, merveilleuses sont les sensations infernales,
Orphique, délicat
Dionysos d’en bas.
Un baiser, un spasme d’adieu, un orgasme momentané de rupture
Puis seul, sur la route humide, jusqu’au prochain tournant,
Et là, un nouveau partenaire, à nouveau se quitter…
Une nouvelle ivresse de solitude parmi les feuilles périssantes glacées de gel. »
*peinture d'Arnold Böcklin