L’immersion dans L’Apollonide semblait mal partie. Après un générique d’introduction laborieux qui rappelle l’artificialité du Marie-Antoinette de Sofia Coppola
et le côté rince-toi-l’œil du Go, go tales d’Abel Ferrara (un mauvais souvenir récent), on est en droit de s’attendre au pire… on bâille déjà, prêt à s’ennuyer d’un défilé de
corps parés de belles tenues d’époque. Et puis, L’Apollonide parvient à se révéler. La déception appréhendée s’envole sans même qu’on n’y pense…
Nous sommes au tournant du 20e siècle, dans une maison close parisienne. Bien réputée, celle-ci attire de jeunes femmes qui cherchent à devenir dépendantes financièrement (à partir de ce
point-là, un joli parallèle pourrait être effectué avec la condition de la femme moderne, mais ce n’est pas là le propos de Bertrand Bonello). Pourtant, on comprend rapidement qu’il y a quelque
chose qui cloche. Si ces jeunes femmes pensent ainsi pouvoir acquérir leur indépendance financière et s’extirper d’une situation originelle forcément plus désagréable, pourquoi semblent-elles
déjà si lasses ?
Au cours d’une nuit dans la maison close, Bertrand Bonello nous présente ses protagonistes dans de brèves scènes qui ne nous permettent pas d’en apprendre beaucoup sur elles. Nous sommes placés,
en tant que spectateurs, dans la peau de ces hommes qui viennent se donner du plaisir, fermement convaincus d’en rendre l’équivalent –ce qui n’est pas toujours le cas. Un soir, un des clients de
L’Apollonide dépasse les limites. Curieusement, aucune des filles de la maison close –ni même la victime et sa directrice- ne semblent s’en horrifier. L’acceptation est plus
cruelle encore. Mais ce n’est qu’une acceptation de surface, qui laisse couver des sentiments que le film permet de laisser infuser jusqu’à leur maturité.
Nous n’assistons donc pas à un cheminement des filles de L’Apollonide vers la désillusion –car elles entrent dans cette maison close sans autre espoir que celui de limiter la
casse-, ni vers la résignation –bien qu’il y paraisse en premier lieu. Nous assistons plutôt à la mise en place d’une vengeance qui leur ressemble : discrète, imperceptible, elle évolue avec une
grâce et une beauté mélancoliques jusqu’à un final d’une cruauté d’autant plus majestueuse qu’elle détruira en même temps les derniers acquis d’une condition de vie décente.