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26 août 2012 7 26 /08 /août /2012 20:24





Le Château des Ruisseaux n’est pas un lieu dans lequel on s’installe dans l’idée de couler des jours paisibles… C’est le lieu de recours ultime. On y fait ses preuves comme dans une salle d’entraînement aux conditions de la réalité, avant de retourner à l’extérieur derechef. Est-ce un chiffre qui doit rendre optimiste ou pessimiste ? «15% des patients demeurent abstinents après leur passage au château des Ruisseaux » : aurait-on pu espérer davantage, ou doit-on se réjouir de ce taux qui semble pourtant faible ?


Vincent Bernière présente une fiction autobiographique à travers le personnage de Jean, polytoxicomane d’une trentaine d’années. Après plus de dix ans passés à connaître toutes les étapes de l’addiction –euphorie, sentiment de surpuissance, manque, délits, isolement, overdose- Jean n’attend plus rien de l’addiction mais ne sait pas comment s’en débarrasser. Moins poussé par une volonté positive que par un abattement total, Jean accepte d’entrer dans le Château des Ruisseaux. Son trajet pour se rendre dans ce centre de traitement des addictions, situé en Picardie, nous permet de revenir brièvement sur les raisons qui ont conduit Jean à adopter cette solution de dernier recours. On découvre les pensées d’un homme qui ne voit plus d’espoir nulle part, rongé jusque dans ses élans vitaux, seulement « fatigué » :

Citation:
« Fatigué de courir à droite à gauche pour chercher la came. Fatigué de voler l’argent de ma famille. Fatigué de voler mes amis. Fatigué de voler dans les magasins. Fatigué.»


Désespoir d’un homme dans la force de l’âge qui n’a même plus la volonté de pourvoir à cet instinct qui semble le plus naturel de tous : se reposer. C’est dans cet état d’esprit de délabrement profond que Jean fait son entrée au milieu d’un petit groupe de patients plus ou moins aguerris… Les présentations se font, entre cynisme douloureux et compassion sincère. On découvre Jean et les autres personnages au rythme de la thérapie, lors des groupes de paroles organisés quotidiennement et au cours d’activités qui créent du lien social et détruisent l’obsession maladive.

On pourrait s’en étonner, mais Vincent Bernière ne s’attarde pas particulièrement sur les premiers jours du sevrage. C’est une torture –pas besoin de le rappeler- et en quelques pages, Jean a réussi à passer le cap douloureux des quelques jours qui le ramènent sans cesse à la réalité de son corps et au manque absolu dont il fait l’objet.


Vincent Bernière a raison, et il choisit plutôt de consacrer une grande partie du Château des ruisseaux au processus plus ambivalent et incertain de la guérison. Le produit à l’origine de l’addiction n’a aucune importance : seule compte la souffrance qui résulte du manque, la difficulté à se reconstruire et à se retrouver après des années passées dans le déni total de soi-même. Le traitement –comportementaliste- s’attache surtout à privilégier l’introspection. On ne s’apitoie pas sur le malade, qui est l’initiateur de son mal-être et qui se berne d’illusions pour fuir la réalité.

Citation:
« Lorsque tu as envie de consommer, essaye de reconnaître l’émotion qui se cache derrière cette envie. Peur, honte, colère ou culpabilité. Pendant des années, tu as consommé des drogues pour masquer tes émotions. »


Les conseils ne sont pas prodigués uniquement par des thérapeutes. Des anciens toxicomanes, guéris suite à leur séjour dans le centre, viennent apporter leur témoignage aux patients. Le « parrain » de Jean prend l’apparence d’un sage, non pas parce qu’il évite de commettre toutes les erreurs, mais parce qu’il les a commises et sait pourquoi il n’y reviendra jamais.



Citation:
« Gilles se sert de sa position d’orphelin pour se définir comme victime. Je m’identifie avec ce type de comportement. J’ai fait la même chose lorsque mes parents ont divorcé. Quand on est toxico, c’est pratique d’accuser l’extérieur, la famille ou la société. Ca dilue les responsabilités. »


Il évoque toutes les difficultés à l’origine de la rechute. Il peut s’agir de la lenteur à voir les choses se remettre en place correctement :

Citation:
« Ce fut une période très difficile, toute mon attention était portée sur le fait de ne pas rechuter. Petit à petit, le paysage autour de moi s’est éclairci. Je réalisais que je pouvais vivre sans trembler, sans être en manque. »


Mais aussi, et surtout, de la difficulté à se séparer de l’illusion principale qui avait fait naître l’amour de l’addiction : celle de mener une vie différente, forcément plus intéressante que celle que peuvent vivre les gens clean :

Citation:
« La seule chose que je redoutais, c’était de mener une vie moyenne. Bosser, prendre le métro, dormir à moitié. »


L’espoir, c’est celui de se découvrir différent de ce qu’on avait imaginé être, de réaliser qu’on peut se plaire sans devenir celui que les autres attendent :

Citation:
« Mais faut pas croire qu’un shoot d’héroïne c’est une expérience ultime. Nager un kilomètre dans une piscine, c’est aussi très fort. Quand j’étais enfant, je voulais vivre des choses fortes. Le shoot m’a permis d’être invité au banquet de la vie, avant de m’en exclure. Une montée de flash, c’est une vie. Mais survivre à la drogue, c’est encore plus fort. Avoir une vie anonyme, cela me faisait peur en arrivant. Mais en fait, c’est une expérience incroyable. »


Le premier tome du Château des ruisseaux se termine lorsque Jean achève sa thérapie et sort du centre. Son comportement a été remarquable, aussi bien dans sa gestion du manque que dans son intérêt à suivre les conseils des thérapeutes et des anciens toxicomanes. Quelle ironie alors de le voir, à peine libéré, se ruer dans la première cabine téléphonique pour contacter son fournisseur.

Dans toutes les étapes de l’addiction et de son traitement, dans l’évitement de l’apitoiement, ce récit évoque l’expérience et le vécu. Le ton, juste, considère le lecteur comme un interlocuteur dénué de préjugés. La fin du premier volume laisse d’autant plus désespéré qu’il nous avait pourtant semblé contenir en germes toutes les pièces du rouage qui saurait mettre en marche un processus de guérison inébranlable. Mais là encore, Vincent Bernière nous prouve qu’il connaît son sujet et qu’il ne doute pas des forces retorses de l’addiction. En éluder les problématiques en un volume aurait été une négligence qu’il n’a heureusement pas commise.


On peut rire de tout :



Vision globale du "Château" :

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