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26 juin 2012 2 26 /06 /juin /2012 10:15




Question : Le Misanthrope ? Réponse : Comédie de caractère. Classique. Un titre = un trait de caractère représenté par un personnage-type. Plaçons celui-ci en situation, soit un milieu (la Cour royale) et une époque (17e siècle) qui étaient ceux de Molière. Coïncidence surprenante, ce contexte ne semble absolument pas convenir à l’épanouissement d’un pur misanthrope qui, par définition, ne devrait se sentir bien qu’éloigné du faste et du brouhaha d’un milieu aussi superficiel que celui-ci.

D’ailleurs, on se demande souvent comment notre misanthrope d’Alceste est venu se perdre à la Cour… S’il y est né et s’il y a grandi, il serait alors curieux de s’intéresser aux conditions qui ont permis de faire de lui cet esprit atypique qui ne désire pas se fondre dans la masse honnête des gens bien élevés. S’il s’y est greffé au cours de son existence –que ce soit par esprit de provocation, par curiosité ou par masochisme- l’incompréhension est toujours aussi grande. Molière ne nous explique rien du parcours de son personnage mais il distille les indices par des détails révélateurs de son comportement. Exceptée sa franchise un peu rustre, Alceste connaît sur le bout des doigts le code des bonnes manières. Son langage est recherché, et ses rêves gravitent autour des idéaux de l’amour courtois. Ces caractéristiques traduisent clairement un rattachement au prototype du gentilhomme de la Cour. Alceste diffère seulement dans le peu de crédit qu’il accorde à sa réputation, et c’est la raison pour laquelle il ne s’interdit jamais d’exprimer ses opinions –à l’opposé, bien sûr, de l’opinion commune-, et de pointer l’hypocrisie et la bêtise de ses pairs. Alceste est un misanthrope mondain qui semble chercher querelle davantage par désir de s’opposer aux autres que par désir de rester intègre jusqu’au bout. Contempteur de ses contemporains, on se l’arracherait aujourd’hui comme un Zemmour. A voir s’il s’agit là d’un compliment…





Et si je me laissais aller à la franchise misanthrope à mon tour ? Oserais-je dire ce que m’inspire véritablement Alceste ? Derrière ses grands airs de critique de l’humanité que les défauts qu’il dénonce ne peuvent atteindre, grand homme moral dont les idéaux ont été malmenés par des pairs imparfaits, Alceste se bat surtout –et presque uniquement- pour l’amour de Célimène. Qui est-elle ? Pour notre grand misanthrope, on imagine une révolutionnaire avant l’heure, féministe en devenir, agitatrice des bocaux ! Pas du tout… Célimène est une galante dame, tout ce qu’il y a de plus précieux et de plus faux. Son caractère est en tous points opposé à celui d’Alceste. On se demande d’ailleurs comment ce dernier a pu s’éprendre de ce que l’on est tenté d’appeler une peste… Cet attachement tend à nous démontrer que le vilain garçon n’est pas si misanthrope qu’il ne le prétend, et qu’il doit nourrir un fond discret de trivialité et de superficialité pour succomber aux charmes de la gente demoiselle. A moins qu’il ne s’agisse tout simplement de vénalité ? Que voulez-vous, nous sommes dans une comédie, et toute bonne comédie nécessite le déroulement d’une intrigue sentimentale. Molière, malgré l’éloge qu’il tire de son misanthrope, ne se risque pas à l’être à son tour. Remuons un peu, mais continuons en même temps à laisser le confort de leurs habitudes aux spectateurs mondains. On pourra dire que le talent de Molière se situe justement dans la multiplicité de ses insinuations, toutes en subtilités, petites piques lancées l’air de ne pas en penser un mot. C’est indéniable, mais cet esprit léger et sautillant, fait d’un comique aérien, s’il peut fonctionner avec la représentation de n’importe quel autre personnage-type, ne fonctionne pas du tout avec celui du misanthrope et fait perdre une grande partie de sa cohérence à la pièce. Alceste apparaît souvent fade et complaisant.

A replacer dans son contexte, la pièce du Misanthrope représentait peut-être une provocation de bon goût. Malheureusement, elle a mal vieilli et, malgré quelques idées qui restent toujours d’actualité, elle se trouve aujourd’hui considérablement assagie par l’âge.




Citation:
ALCESTE : […] Ce sont vingt mille francs qu’il m’en pourra coûter,
Mais pour vingt mille francs j’aurai droit de pester
Contre l’iniquité de la nature humaine,
Et de nourrir pour elle une immortelle haine.


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