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14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 20:45
 





A. H. ou comment évoquer sans avoir l’air de le faire le personnage le plus épique, le plus effroyable, le plus intelligent, le plus génial, le plus fou du 20e siècle (chaque lecteur choisira l’adjectif qui lui convient en fonction de ses affinités particulières) : Adolf Hitler.

Ne nous atermoyons pas sur le caractère houleux du choix d’un tel sujet. George Steiner ne laisse pas le temps au lecteur de se poser des questions et le fait débarquer de manière impromptue dans son roman, alors que deux personnages semblent en pleine confrontation :

« -Toi.
Le vieil homme se mordit les lèvres.
- Toi. C’est toi ? »


Le premier chapitre amorce une présentation très vague de la situation. George Steiner prend un malin plaisir à effacer tout indice permettant d’identifier les personnages, et même l’objet de leur discussion demeure un mystère insoluble. On espère que la situation s’éclaircira au fil du temps, mais Steiner est aussi terrible (à un autre niveau) que A. H. et il prend un malin plaisir à brouiller les pistes et à perdre son lecteur dans les bifurcations improbables d’une intrigue qu’on peine à comprendre.
Ainsi, quatre fils différents s’entrelacent (peut-être même davantage, il n’est pas facile de trancher clairement), mettant en scène des personnages différents dont le seul point commun est celui d’être liés d’une quelconque façon à A. H.


A. H. est mort depuis des années, dixit l’opinion générale, et des preuves tangibles semblent pouvoir le confirmer. Mais quelques voix se font entendre, qui remettent en cause ce fait établi. En vérité, A. H. ne serait pas mort mais croupirait dans un marais au fin fond de l’Amazonie (torture autrement plus intense). Une équipe a été dépêchée pour le retrouver dans le plus grand secret gouvernemental. Dans les hautes sphères politiques, entre personnalités bien informées, la question entraîne également son lot d’interrogations. Entre juifs et rescapés des camps de concentration, les considérations prennent une tournure plus personnelle, et c’est à ce moment-là seulement que le Transport de A. H. devient véritablement intéressant.


On sent que George Steiner n’est pas très à l’aise avec la forme du roman. Plus connu pour ses essais, lorsqu’il s’empare de la fiction, il donne l’impression de s’embourber avec des usages et des expressions convenues. Vaille que vaille, il tente d’instaurer une atmosphère différente à chaque chapitre mais se perd surtout dans des descriptions creuses et des accumulations de détails inintéressants (« Ryder passa les doigts sur le cuir craquelé. Tout cela aurait eu besoin d’un peu de cire ») lorsqu’il ne donne pas l’impression de se lancer dans une parodie de roman noir un peu laborieuse :


« Il s’approcha. Son haleine sentait l’alcool mais sans exagération.
- Sales bestioles.
Il se donna une tape sur l’avant-bras et fixa pensivement l’insecte écrabouillé. »



George Steiner instaure un rythme également éprouvant. Il faudra plier l’échine et s’y soumettre avec maints efforts dans les deux premiers tiers du roman, avant d’accéder au dernier tiers, qui constitue de loin la partie la plus intéressante du Transport de A. H.. On comprend alors pourquoi George Steiner a choisi la forme du roman pour aborder les questions troubles liées à l’existence d’Adolf Hitler : elle permet un désengagement partiel de l’écrivain qui peut alors oser avancer des théories politiquement incorrectes en les attribuant à ses personnages ou à Hitler, sans que la parenté avec sa réflexion personnelle ne soit directement invoquée. Question de prudence bien compréhensible puisque George Steiner s’érige à l’opposé des bonnes âmes pleines d’une compassion qui ne permet pas à l’Histoire d’avancer. Il remet également en question le rapport victimes/coupables dans une tentative non pas de rejeter les accusations d’une partie de l’humanité sur l’autre mais de répartir équitablement la dose de bien et de mal en chacun, dans une négation totale du manichéisme qui sévit habituellement lorsqu’on évoque les conséquences de l’Holocauste et du Reich. Le plaidoyer final d’Adolf Hitler sera l’occasion pour George Steiner de poser une question cruciale : en désirant éliminer les juifs, l’homme n’aurait-il pas permis, finalement, leur résurrection ? N’est-ce pas grâce à lui qu’Israël a pu se fonder aussi facilement aux lendemains de la seconde guerre mondiale ?


On s’avance sur un terrain nébuleux. La prudence de George Steiner traduit peut-être une autre incertitude : celle de pouvoir répondre clairement à ces questions. Là où l’essai est censé pouvoir apporter une réponse, le roman permet quant à lui de laisser les interrogations en suspens…


Des propos qui auraient peut-être été moins bien acceptés s'ils avaient été énoncés explicitement dans un essai ?


Citation:
« Dieu, quelle vie ce fut ! Chaque année atroce comme une centaine, un millier d’années ordinaires. Lui, il n’a pas manqué à sa parole. Un Reich millénaire en chacun de nous, un millénium de vie en mémoire. Nous n’avons rien laissé pour ceux qui ont suivi. C’est là notre vrai crime. Toute cette génération n’est plus qu’un troupeau d’ombres, maigrichonnes ou rondelettes, mais des ombres. Ils n’y sont pour rien. Nous leur avons laissé les cendres froides de l’histoire, la peau des raisins. Mais jamais je n’échangerais ce que j’ai vécu contre quoi que ce soit, jamais. »


Citation:

« Parce que Sa présence inconcevable, inimaginable nous enveloppe tout entiers, nous devons obéir à chaque iota de la loi. Il nous faut ravaler nos rages et nos désirs, mortifier notre chair et nous traîner sous la pluie, lamentables et courbés. Et c’est moi que vous appelez tyran, esclavagiste ! Mais quelle tyrannie, quel esclave ont plus cruellement opprimé, plus profondément stigmatisé la chair et l’âme humaine, que le Juif et ses fantasmes débiles ? »



Cela concerne aussi la facilité des jugements évoqués avec le recul...
Citation:

« N’importe qui peut dire Auschwitz, et s’il le dit assez fort, il n’y a plus qu’à baisser les yeux et écouter. C’est comme un verre qu’on casse au milieu d’un repas. C’est trop facile, si on était gosse ou pas encore né à ce moment-là. Quand on n’a pas la moindre idée de ce que cela a représenté réellement pour la plupart d’entre nous, pour la classe aisée et cultivée qui tentait de survivre sur l’autre face de la lune. Allez-y, citez Auschwitz, Belsen, ou ce que vous voudrez, couvrez-vous la tête de cendres, montrez-nous le poing, et exigez que nous fassions pénitence ad vitam aeternam. Il y a une somme rondelette à la clé des remords, c’est le produit des feuilletons télévisés et des livres de la rentrée d’automne. Laissez-moi vous poser une seule question, chers petits amis : qu’auriez-vous fait, quels mots superbes auriez-vous criés alors ? Au pas cadencé des hommes en brun, les plus braves d’entre nous faisaient dans leur culotte. »
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commentaires

A
Roman grotesque et malsain de ce "juif" fasciné, comme un lapin par les phares d'une voiture, par la violence du grand blond avec un uniforme noir parlant la langue de la soit disant "haute culture" dont il nous rebat les oreilles avec son pathos.
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