Considéré comme étant l'un des livres les plus pessimistes de Freud, cette raison s'explique souvent par le fait que Freud souffrait alors horriblement de son cancer à la mâchoire qui nécessita une trentaine d'opérations, pour aboutir au résultat que l'on
connaît...
Pourtant, Freud n'est pas totalement pessimiste. Il est conscient des bienfaits que la culture apporte aux hommes, même si le prix à
payer est relativement élevé. Elle représenterait un frein à la réalisation du but ultime de tout homme : accéder au bonheur. Pour contrer cette difficulté, Freud énumère trois types de réactions :
Citation: |
La vie telle qu’elle nous est imposée est trop lourde pour nous, elle nous apporte trop de douleurs, de déceptions, de tâches insurmontables. Pour la supporter, nous ne pouvons nous passer de moyens palliatifs […]. De tels moyens, il en est peut-être de trois sortes : de puissances diversions qui nous font mépriser notre misère, des satisfactions de substitution qui la réduisent, des stupéfiants qui nous y rendent insensibles. |
Freud redonne aux activités culturelles leur véritable valeur. L'art, la recherche ne constitueraient plus des spéculations purement
intellectuelles mais ne seraient que le rebut des pulsions sexuelles des hommes passées à travers le filet de la sublimation :
Citation: |
Une autre technique de défense contre la souffrance se sert des déplacements de libido que permet l’appareil de l’âme, par lesquels sa fonction gagne tant en souplesse. La tâche à accomplir consiste à placer autre part les buts pulsionnels, de telle sorte qu’ils ne puissent être atteints par les frustrations du monde extérieur. La sublimation des pulsions prête ici son secours. C’est lorsqu’on s’entend à élever suffisamment le gain de plaisir issu des sources du travail psychique et intellectuel, que l’on obtient le plus. |
Freud identifie également le surmoi, qu'il décrit de cette façon :
Citation: |
L’agression est introjectée, intériorisée, mais renvoyée à vrai dire là d’où elle est venue, c’est-à-dire retournée contre notre propre moi. Elle y est prise en charge par une partie du moi, le surmoi, qui s’oppose au reste et exerce en tant que « conscience morale » la même sévère agressivité contre le moi que celle que le moi aurait volontiers satisfaite sur d’autres individus étrangers. La tension entre le sévère surmoi et le moi qui lui est soumis, nous la nommons conscience de culpabilité ; elle se manifeste comme besoin de punition. |
Citation: |
Le surmoi est une instance déduite par nous, la conscience morale une fonction que nous lui attribuons parmi d’autres, qui doit surveiller et juger les actions et les intentions du moi, et qui exerce une activité de censure. Le sentiment de culpabilité, la dureté du surmoi, sont donc la même chose que la sévérité de la conscience morale, il est la perception impartie au moi d’être ainsi surveillé, l’évaluation de la tension entre ses aspirations et les exigences du surmoi, et la peur de cette instance critique, peur qui est au fondement de toute la relation ; le besoin de punition est une manifestation pulsionnelle du moi devenu masochiste sous l’influence du surmoi devenu sadique, c’est-à-dire qu’il utilise une part de la pulsion présente en lui, de destruction interne pour en faire une liaison érotique au surmoi. |
Pour Freud, la mise en place d'un tel instrument est une source de grand malheur chez les hommes, faisant naître en eux ce qu'il nomme
le sentiment de culpabilité :
Citation: |
Ici, le renoncement pulsionnel n’aide pas suffisamment, car le désir demeure et ne saurait se dissimuler devant le surmoi. Un sentiment de culpabilité surviendra malgré le succès du renoncement, et ceci est un grand inconvénient économique de l’instauration du surmoi, ou pour le dire autrement, de la formation de la conscience morale. Désormais, le renoncement pulsionnel n’a plus un plein effet libérateur, l’abstinence vertueuse n’est plus récompensée par l’assurance de l’amour ; contre un malheur extérieur menaçant –perte d’amour ou punition de la part de l’autorité extérieure- on a échangé un malheur intérieur permanent, la tension de la conscience et de la culpabilité. |
Incapable de répondre complètement aux normes exigées par la culture, l'homme devient névrosé. De grandes psychoses collectives s'établissent en parallèle. Ainsi Freud désigne-t-il la religion :
Citation: |
Mais on affirme que chacun de nous, sur un point ou un autre, se comporte comme le paranoïaque, corrige par une formation de désir un aspect du monde qui lui est intolérable, et inscrit ce délire dans la réalité. Il est un cas qui revêt une importance particulière, lorsqu’un assez grand nombre d’hommes font ensemble la tentative de s’assurer du bonheur et de se protéger contre la souffrance par une reconfiguration délirante de la réalité. C’est comme un tel délire de masse que nous devons aussi caractériser les religions de l’humanité. Naturellement, on ne reconnaît jamais le délire quand on y participe. |
Citation: |
La religion compromet ce jeu du choix et de l’adaptation en ce qu’elle impose à tous la même manière d’acquérir le bonheur et de se protéger contre la souffrance. Sa technique consiste à rabaisser la valeur de la vie et à déformer de façon délirante l’image du monde réel, ce qui présuppose d’intimider l’intelligence. A ce prix, à travers la fixation violente d’un infantilisme psychique et l’intégration à un délire de masse, la religion parvient à épargner à un grand nombre d’hommes la névrose individuelle. |
Plus loin, Freud décrit l'enjeu de la culture:
Citation: |
Et je pense que désormais, le sens du développement de la culture n’est plus obscur pour nous. Il doit nous montrer le combat entre Eros et la mort, entre la pulsion de vie et la pulsion de destruction, tel qu’il s’accomplit dans l’espèce humaine. |
Il décrit les regroupements exigés par la culture et révèle ce qui lui semblent être les véritables motivations des communautés telles que la famille :
Citation: |
La fondation d’une famille était probablement en corrélation avec le fait que le besoin de satisfaction génitale ne survenait plus comme un hôte qui apparaît soudain chez quelqu’un et ne donne après son départ plus de nouvelles pendant longtemps, mais comme un locataire s’installant à demeure chez l’individu. Par là, le mâle trouvait un motif pour garder auprès de lui la femme –ou plus généralement, les objets sexuels ; les femelles, qui ne voulaient pas se séparer de leurs petits sans elles privés de secours, durent aussi, dans l’intérêt de ceux-ci, demeurer auprès du mâle, plus fort. |
Faisant
preuve d’une grande lucidité, il remet en place les idéaux formés par la
culture et redonne aux grandes vertus leur véritable valeur en mettant à jour
les motivations réelles qui sont mises en jeu :
Citation: |
L’éthique dite « naturelle » n’a ici rien à offrir si ce n’est la satisfaction narcissique de pouvoir se considérer meilleur que les autres. L’éthique qui s’appuie sur la religion fait intervenir ici ses promesses d’un Au-delà meilleur, je pense qu’aussi longtemps que la vertu ne sera pas déjà récompensée sur terre, l’éthique prêchera en vain. |
Freud est conscient du fait que son livre n'est pas réconfortant, mais bien loin de s'en excuser, il se donne raison et affirme :
Citation: |
Aussi le courage me manque-t-il pour m’élever en prophète devant mes semblables, et je m’incline devant le reproche qu’ils me feront de ne savoir pas leur apporter du réconfort, car au fond, c’est ce qu’ils réclament tous, les révolutionnaires les plus sauvages avec non moins de passion que les croyants les plus pieux et les plus paisibles. |