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27 octobre 2012 6 27 /10 /octobre /2012 20:54






Le tar de Nasser Ali Khan ne produit plus de son. Réduit en miettes par son épouse, après une de leurs énièmes disputes concernant sa désinvolture et son manque d’implication dans sa vie familiale, le tar semble cristalliser de nombreux conflits… Passion d’un homme qui l’éloigne des préoccupations de ses semblables, signe de désaccord entre sa personnalité, à la recherche d’un idéal esthétique, et celle de sa femme, plus pragmatique, plus réaliste – Nasser Ali Khan dirait même : ennuyeuse.

Mais un tar reste un tar… Si celui qui a permis à Nasser Ali Khan de jouer une litanie de morceaux pendant de longues années se trouve à présent à l’état de fragments, il suffit d’en racheter un neuf. Bien sûr, les souvenirs attachés à l’ancien instrument auront disparu, mais sa capacité à produire des sons sera égale à l’ancien, si tant est que l’on investisse dans un instrument de même qualité.




Pourtant, Nasser Ali Khan ne parvient pas à retrouver le son du tar qu’il aimait. Il commence par se rendre chez son marchand de musique habituel mais il estime qu’on essaie de l’abuser. Sur des conseils avisés, il se rend alors chez le détenteur d’un modèle de tar unique –on pourrait parler de Stradivarius du tar- : le Tar Yahya. Mais il faut croire que la dépression de Nasser Ali Khan est insurmontable car cet instrument même ne parvient à répondre à ses attentes. Le musicien dépité rentre chez lui, ressasse son dégoût de la vie, se couche au fond de son lit et décide de ne plus jamais se relever. Il veut mourir. Premier jour, deuxième jour, troisième jour…





En attendant la mort, Nasser Ali Khan est bien obligé de continuer à subir les affres de la vie quotidienne. Il se confronte à ses proches qui essaient de le convaincre de l’absurdité de sa décision et à ses enfants qui ne comprennent pas ce qui attend leur père. Chacune de ces rencontres est l’occasion d’évoquer un pan de la vie de Nasser Ali Khan. Petit à petit, se dessine le parcours d’une vie tumultueuse, où personnalité et respect des conventions, envie de se différencier et respect des traditions, s’opposent sans cesse jusqu’à former des luttes internes intenses dans la revendication de soi.

Alors que le tar semblait être l’objet de la grève de Nasser Ali Khan, on s’étonne peu à peu de découvrir que ses ruminations gravitent essentiellement autour des femmes, et plus particulièrement autour d’Irâne. D’une manière subtile, Marjane Satrapi parvient à recentrer son récit autour d’une idylle ratée et nous fait oublier la cause première de l’instrument de musique brisé. Elle convoque les imaginaires orientaux ainsi que la générosité d’une culture familiale dense et complexe pour évoquer des questions existentielles qui réunissent l’ensemble des êtres humains, jusqu’à une conclusion surprenante, bouleversante, touchant à une sensibilité bien plus profonde que tout ce à quoi le lecteur aurait pu s’attendre.




Cette histoire est à l’image de son titre, Poulet aux prunes, et effectue des aller-retour incessants entre détails et panoramas, lui conférant à la fois la profondeur des récits universels et l’originalité des biographies individuelles.


Citation:
La nuit tombait et Nasser Ali Khan avait très faim. Normal, cela faisait deux journées entières qu’il n’avait rien avalé. Il passa en revue tout ce qu’il aimait manger. Il se fixa enfin sur son plat favori : le poulet aux prunes. Une spécialité de sa mère, préparée avec du poulet, des prunes, des oignons confits, des tomates, du curcuma et du safran, servi avec du riz.




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