Maurice est portraitiste : il n’a pas la tête à l’emploi, et son air de gros ours mal léché convient mal aux exhortations à sourire qu’il lance à ses clients. Pince-sans-rire, il parvient
toutefois à trouver le mot qui fait mouche à chaque fois. Il suffit d’une bonne blague pour que le sourire revienne aux lèvres du couple qui vient de se fâcher ou de la femme d’affaires revêche
qui estime que la décontraction sied mal à son image. D’autres n’ont pas besoin de se faire prier et, malgré le grotesque de la situation dans laquelle ils tiennent à se faire photographier
–femmes couguars façon années 60- ou la laideur de leur tenue ou de leurs traits, ils sourient de toutes leurs dents, se déchaînant parfois dans des éclats de rire qu’on a du mal à
comprendre.
Maurice le portraitiste n’est pas le personnage central de Secrets et Mensonges, mais son activité professionnelle joue un rôle important dans le film car il se fait l’image de
tout le processus de réalisation de Mike Leigh. Le réalisateur, comme Maurice, semble chercher à coincer des personnages misérables dans les situations les plus inconfortables qui soient pour
donner à leurs moments de bonheur fugaces un éclat incomparable.
Cynthia, la cinquantaine bien frappante, vit dans un taudis avec Roxane, sa fille de vingt ans, balayeuse sur la voirie publique. Malgré les efforts visibles de la mère pour se rapprocher de sa
fille –en lui conseillant par exemple de prendre un diaphragme pour ne pas tomber enceinte par inadvertance, comme ce fut le cas pour elle, ou en l’encourageant à sortir le soir comme toute jeune
femme équilibrée- leurs rapports sont tendus et faits d’une animosité que la tristesse du quotidien a sans doute contribué à renforcer. Peut-être parviendront-elles à se réunir lors de
l’anniversaire que Maurice –le frère de Cynthia, qui ne se sont pas revus depuis de nombreuses années- et sa femme ont organisé pour les 21 ans de Roxane ? Mais c’est avant cette échéance que
Hortense débarque dans le film. Trentenaire bourgeoise à la peau noire, elle est la première fille que Cynthia a eue alors qu’elle avait 16 ans. La mère peine à croire qu’elle tient devant ses
yeux sa première fille –elle est noire !- et se sent minable devant cette femme belle et tranquille qui possède toutes les qualités pour réussir, mais qui se morfond dans la solitude.
La réunion de tous ces personnages si différents, pris au piège de relations équivoques nourries de secrets et de mensonges, forme un assemblage grotesque qui n’épargne pas la gêne. On pourrait
en rire –on en rit souvent, d’ailleurs- mais la tristesse des personnages nous ramène rapidement à leur réalité. Parfois, ils en font presque trop, mais Mike Leigh se contente de les filmer sans
en rajouter une couche dans l’exploitation de leur misère. Et lorsque surgit la joie, au milieu de tout ça, on se prend à aimer l’humanité, que chaque personnage du film représente à sa manière.
Malgré ces bonnes qualités, Secrets et mensonges s’étire au-delà du raisonnable (2h20 de film) et ne parvient pas à retenir l’attention sur toute cette durée. Moins cynique que
Naked et moins loufoque que Be Happy, il respecte une trame plus classique, pas loin du mièvre. Mais loin d’être son meilleur film, parce que Mike Leigh EST Mike
Leigh, il reste très agréable à regarder…