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14 mai 2013 2 14 /05 /mai /2013 12:33



Bret Easton Ellis est devenu grand mais il ne suffit pas de laisser filer le temps ; il faut aussi savoir dresser le bilan d’un certain passé. Ainsi, le récit de Lunar Park commence à la manière d’un mea culpa. Bret Easton Ellis s’est assagi au tournant de la quarantaine et, chargé de cette décennie supplémentaire, il évoque les années d’American Psycho (décennie de la vingtaine) et de Glamorama (décennie de la trentaine) comme de lointaines périodes qui semblent désormais loin de lui. Mais les cris d’orfraie les plus virulents ne sont-ils pas poussés par ceux qui savent être le plus en droit de s’inquiéter ?


Le succès, la gloire, les relations artificielles, la drogue, les filles faciles, les grands lofts et les voitures hors de prix ont fait leur temps. Après s’être laissé charmer par les avantages de la gloire violente, Bret Easton Ellis a connu une période de dépression profonde et d’hallucinations provoquées par le manque de ces drogues dont il a essayé de se passer –pas particulièrement pour se sauver lui-même, mais bien plutôt pour rattraper les lambeaux d’une gloire finalement aussi éphémère qu’elle lui avait d’abord semblé éternelle. Au moment où il écrit Lunar Park, Bret Easton Ellis vit une autre forme de rêve américain : marié, père de deux jeunes enfants de treize et sept ans, propriétaire d’une demeure avec piscine, passant son temps entre cours à l’université, dîners avec les amis de la famille –d’autres couples avec enfants- et activités de développement personnel.


Pour autant, tout ne va pas pour le mieux. Au début, pourtant, Bret Easton Ellis tente de nous en persuader, mais l’aspect idyllique de sa nouvelle existence est bientôt perturbé par deux phénomènes : dans la région où il habite, la disparition d’enfants des beaux quartiers fait régner la psychose tandis que dans sa nouvelle demeure, des manifestations inexplicables transforment son habitation en maison hantée. Peut-on se racheter une bonne conduite avec une épouse, des enfants et une baraque ? Est-il si aisé de se détourner d’un passé marqué par deux décennies d’errance et d’illusions ?


Une fois encore, après American Psycho, Bret Easton Ellis mêle la réalité et la fiction dans des mesures dont il sera difficile d’appréhender la juste valeur. Cette vie de famille classique –bien qu’aisée- semble parfaitement crédible alors qu’en réalité, Bret Easton Ellis n’a jamais été marié. En revanche, plus fictives semblent être ces manifestations de revenants qui se produisent dans sa maison –est-ce Patrick Bateman, le héros sanguinaire d’American Psycho, ou est-ce son père avec qui il a rompu tout contact ? Et le criminel qui rôde autour des gosses de riches pour les capturer ne fait parler de lui que de loin, mystérieuse arlésienne dont les actes entraînent pourtant des conséquences dramatiques. Mais le roman passe, et la tendance s’inverse. La famille modèle montre ses failles et devient aussi volatile qu’un rêve, tandis que les disparitions et les revenants prennent de l’ampleur et finissent par envahir la vie et l’esprit de Bret Easton Ellis.


Celui-ci avait pensé pouvoir faire une croix sur son passé, rapidement et sans séquelles -il remarquera bientôt, avec une culpabilité mégalomaniaque, que l’artificialité et l’individualisme de son mode de vie passé ont atteint toute une génération –celle qui succède à la sienne. Les enfants de Lunar Park sont de petits êtres effrayants qui déambulent, tels des zombies dopés au Ritalin. Ils vagabondent d’une activité à une autre –reiki, yoga, cinéma, centre commercial, pilates, psychologue…- et acceptent de se plier aux exigences les plus loufoques de leurs parents, au prix d’un désenchantement et d’une lucidité qui ressurgissent dans des dialogues surréalistes. Par ailleurs, le spectre de Patrick Bateman se fait de plus en plus oppressant et envahit un Bret Easton Ellis qui semble de nouveau perdre pied dans la réalité –savant fou créateur d’un monstre dont l’horreur et le goût sanguinaire le dépassent désormais. Bret Easton Ellis se sent responsable de l’avidité malsaine qu’il ressent autour de lui, et Lunar Park ressemble à une tentative d’expiation de sa culpabilité.


Bret Easton Ellis aurait-il envie de cesser de rire aux dépens de ses semblables, maintenant qu’il réalise que ses mauvaises blagues ne l’excluent pas non plus de leurs retombées funestes ? Après Lunar Park, on se demande si Bret Easton Ellis va pouvoir continuer à écrire comme avant. Si oui, alors ce roman n’aura été qu’une vaste blague. Reste à savoir si cela nous décevrait…


Pour les partisans de l'hypothèse : Breat Easton Ellis = fantastique du 21e s. -des ambiances mêlant banal et lugubre :

Citation:
« Il y avait un corbeau caché dans les arbres derrière moi et je pouvais entendre les battements d’ailes et lorsque je l’ai vu tourner au-dessus de moi inlassablement je l’ai regardé fixement puisqu’il n’y avait rien d’autre à observer dans ce ciel blanc et qu’il y avait des choses auxquelles je ne voulais pas penser (et sur cette terrasse ce soir un autre écureuil sera éventré par une peluche que tu as achetée pour une petite fille) mais c’était ce qui se passait quand vous refusiez de visiter ou d’affronter le passé : le passé commence à vous rendre visite et à vous affronter. »




Un passage qui m'interpelle :

Citation:
Qu’était-il arrivé au simple désir de voir ses enfants contents et cool ? Qu’était-il arrivé à la possibilité de leur dire que le monde déconne ? Qu’était-il arrivé à la distribution de claques de temps en temps ? Ces parents étaient des scientifiques et ils n’élevaient plus leurs enfants instinctivement –chacun avait lu un livre ou vu une vidéo ou surfé sur le Net pour se faire une idée de ce qu’il fallait faire. […] il y avait des enfants de cinq ans qui avaient des gardes du corps (la fille d’Adam Gardner). Il y avait des enfants au bord de l’évanouissement à cause de la pression subie en cours élémentaire et qui suivaient des thérapies parallèles, et il y avait des enfants de dix ans qui souffraient de désordres alimentaires provoqués par des représentations irréalistes de leur corps. Il y avait des listes d’attente remplies des noms d’enfants de neuf ans pour les séances d’acupuncture du Dr Wolper. […] Et puis on a parlé de : supprimer les pâtes dans le menu des déjeuners à la cantine, du nutritionniste qui avait fait office de traiteur pour la bar-mitsva, et des cours de Pilates pour des enfants de deux ans, la petite fille de huit ans qui a besoin d’un soutien-gorge de sport, le petit garçon qui tire sur la jupe de sa mère dans le supermarché de luxe pour lui demander : « Il y a des hydrates de carbone dedans ? »




Et une pointe d'humour désespéré:

Citation:
« Voilà les enfants, ai-je annoncé à Jay en désignant Robby et Sarah. Son look à elle, c’est glam et le rose est très tendance pour les six-sept ans cette saison. Robby, lui, s’habille hip-hop, en blanc et il est désormais officiellement un tween.
- Un tween ? a beuglé Jay, puis murmuré en se penchant vers moi, Attends, ce n’est pas un truc gay, non ?
– Non, c’est un tween. Tu comprends, c’est quelqu’un qui n’est plus un enfant et qui n’est pas encore un teenager.
- Mon Dieu, a soufflé Jay. Ils ont pensé à tout, hein ? »


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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 19:20


Mon triste cœur bave à la poupe…
Mon cœur est plein de caporal !
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe…

Sous les quolibets de la troupe
Qui lance un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein ca poral !

Ithyphallique et pioupiesques
Leurs insultes l’ont dépravé ;
A la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques ;
O flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé !
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques !
J’aurais des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé !
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?

Arthur Rimbaud, Lettre à Georges Izambard, Charleville, 13 mai 1871




Pablo Picasso, Le baiser, 1969
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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 19:14
 


Deux ou trois décennies après leur première rencontre, Gloria et Frances se retrouvent. Toutes deux parties du même lieu (l’hôpital psychiatrique), elles ont suivi des chemins différents. Gloria a survécu précairement de petits boulots et d’allocations pendant que Frances s’est acharnée à se faire un nom et à s’assurer un audimat dans le milieu de la télévision. Lorsque Gloria et Frances se rencontrent à nouveau, l’une n’a rien à perdre tandis que l’autre craint de tout perdre (sa profession, sa réputation) en faisant connaître son amourette de jeunesse –d’ailleurs toujours aussi vivace. Comment ? L’amour serait donc soumis aux lois du marché ? C’est à ce moment-là que Virginie Despentes et son esprit « punk » se ramènent pour botter les fesses bourgeoises et insulter les poulets. On verra bien qui de l’entourage ou du couple triomphera !


Virginie Despentes fait s’entrecroiser l’histoire actuelle et le passé de ses personnages pour nous amener à comprendre progressivement ce que le film ne révèlera pas. Quels choix ont amenés Gloria et Frances à se séparer ? Comment ont-elles évolué l’une loin de l’autre ? L’amour est-il soumis à une hiérarchie implicite, et si oui, laquelle ?

Malgré sa difficulté à être vécu et assumé ouvertement, l’amour de Gloria et de Frances ne semble pas avoir perdu de sa passion au fil des années. A peine manichéenne dans sa vision des choses, Virginie Despentes nous fait miroiter d’une part l’amour passionnel contre l’amour plan-plan du couple ordinaire ; la joyeuse expansion du milieu punk contre la triste rigueur de l’homme-sans-crête. La nuance n’est toutefois pas interdite : Gloria et Frances se chamaillent souvent –mais c’est toujours à cause des autres- et l’influence punk n’empêche pas de se laisser corrompre –comme ce fut le cas pour Frances.


Bye bye Blondie souffre de petits défauts mineurs qui transforment le film en bluette plutôt qu’en brûlot. La rage adolescente est devenue rancœur qui semblerait avoir mal vieilli, et pourtant des touches de véracité transparaissent parfois, qui rendent ce film sincère et pardonnable. Bye bye Blondie est un triangle amoureux presque classique, où le regard des autres interviendrait sans cesse pour ébranler le couple qu’essaient de former Gloria et Frances. Ne connaîtrait-on pas Virginie Despentes qu’on n’y prendrait peut-être même pas garde…
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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 11:52


Après avoir fini la lecture du premier volume de Tu mourras moins bête, une peur terrible m’assaillit, qui faillit me pousser à prendre la plume pour écrire une carte postale au docteur Moustache.

Docteur ?
Maintenant, comment vais-je faire pour ne pas mourir aussi bête que tous les autres jours ?


La réponse survint sous la forme d’un second volume.

Après nous avoir parlé de la fiction et des arrangements frauduleux qu’elle s’accorde avec la réalité, le docteur Moustache choisit ici de se consacrer à une autre forme de fiction scientifique : la biologie. Et on se désole de n’avoir pas eu ce doc’ comme professeur de biologie lorsque nous étions à l’école… Toutes les questions qui nous turlupinent peuvent enfin être posées, et quel soulagement, déjà, de les voir exprimées :


« Hier, après le repas, ma femme m’a dit (je cite) : « baise-moi comme une bête ». S’il vous plaît, expliquez-moi ce que je dois faire ?
E. Zemmour »



« Chère professeure,
A chaque fois que je me retrouve dans un corps humain, je me fais contrôler par les flics ! Y’en a marre ! J’ai rien fait !
Paulo pollen de tulipe »



Pas de sexisme, pas de racisme, pas de spécisme ni même de politiquement correct : le docteur Moustache accepte les questions de n’importe quel interlocuteur et se charge d’y répondre avec une vaillance constante et une précision digne du plus zélé des savants fous.


Plus drôle encore que le volume précédent, ce nouveau répertoire des sciences érudites du docteur Moustache s’oblige à trouver une nouvelle forme de narration pour s’attaquer au domaine plus abstrait (et plus redouté) des sciences biologiques. Lorsqu’il s’agissait d’expliquer les failles et les absurdités de la fiction cinématographique, n’importe quel zoulou pouvait (et osait) comprendre les explications du doc ; mais dès lors qu’on nous balance les termes d’ « apoptose », d’ « organe vestigial », de « stade anal » ou de « pygomancie », la foule se met en pagaille et prend peur. Plutôt que de détaler comme des lapins, nous voici condamnés à rester dans le clapier du docteur Moustache. Et tant mieux ! Jamais la science ne nous aura parue aussi simple, aussi populaire, aussi politique et aussi… peu scientifique ! Le docteur Moustache, c’est Oscar Wilde au pays des scalpels, c’est Woody Allen dans le monde des blouses blanches, c’est Freud sous cocaïne et c’est aussi toute une lignée de savants fous qui n’avaient besoin d’aucune substance pour se livrer à des expériences psychédéliques (Herr Sömmering et ses têtes guillotinées ou Stubbins Ffirth et ses ingestions de vomi noir).


Le docteur Moustache ne cherche pas à nous impressionner en nous faisant croire que la science est inaccessible au plus grand nombre. Au contraire, la voici catapultée au rang des préoccupations scatologiques du stade anal ! Et si cette destitution ne vous rend pas les choses plus parlantes, le docteur Moustache n’hésitera pas à illustrer ses cas d’exemples concrets tirés d’une réalité plus absurde encore que le cinéma ; où Sarko, Carla Bruni, Depardieu et les frères Bogdanov retrouveront une aura de vraisemblance lorsque le docteur Moustache aura élucidé le mystère de leurs comportements aberrants.


« Contrairement au président, les cellules nous protègent, nous nourrissent et sont même prêtes à mourir pour nous, pour nous défendre ou pour réguler leur prolifération. »



Et contrairement au président (n’importe lequel, on s’en fout), le docteur Moustache nous éduque, nous amuse et sacrifie même sa crédibilité pour nous, pour nous instruire et pour nous illuminer.



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Citation:

[…] retrouvons Stubbins Ffirth, un médecin américain qui voulait absolument démontrer que la fièvre jaune (autrement appelée « vomi noir ») n’était pas contagieuse.
Pour ça, le mec, il s’est incisé le bras.
Puis il s’est fourré du vomi de malade dedans (conseil Top Chef : pour faire une farce réussie, bien tasser le vomi !).
Mais Ffirth ne tomba pas malade. Il dut penser qu’il n’y était pas allé assez fort car la fois suivante, il s’appliqua le vomi… dans les yeux. Et il ne chopa toujours pas la fièvre jaune.
Ffirth passa donc le vomi à la poêle pour en humer les vapeurs. Puis il se fit des pilules de vomi qu’il avala, et comme ça ne faisait toujours rien (à se demander s’il ne voulait VRAIMENT pas que la fièvre SOIT contagieuse)… il finit par boire des verres de vomi…
Il dut se résigner et conclure que la fièvre jaune n’était pas contagieuse. En fait, elle l’est, mais par le sang et les moustiques.



Oh ! des figures connues...


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L'art de mettre en scène les phénomènes biologiques :



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Pour une réponse à la question posée par E. Zemmour : ICI !
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11 mai 2013 6 11 /05 /mai /2013 14:34



« L’écriture vire à l’hallucination.
Hier, en marchant sur les trottoirs avec mes neveux, j’ai entendu un sifflement et j’ai crié :
- Couchez-vous !
Ils m’ont regardé, interloqués. Un vélo passait.
J’avais cru reconnaître un shrapnell. »



Ah ! quel humour ! et quel don prodigieux de l’exagération ! Ainsi EES revient-il sur le parcours de l’écriture de La part de l’autre dans son Journal du livre –journal qu’il n’a bien sûr pas écrit pour lui-même mais à seule fin d’être inclus en conclusion de La part de l’autre, comme témoignage de la souffrance qu’un auteur s’est infligé pour satisfaire son lectorat trop souvent ingrat. En vérité, ce témoignage vient trop tard. Pour donner le ton exact du livre, il aurait dû être placé en introduction et aurait peut-être dissuadé bien des lecteurs qui n’ont que faire des romans à la gloire de leur auteur.


Exagération, nous disions donc, mais aussi égocentrisme : ESS semble avant tout avoir voulu parler d’Hitler pour faire parler de lui. Avec un temps de retard, il s’imaginait sans doute qu’il suffisait d’évoquer ce nom pour faire trembler la foule, provoquer son enthousiasme ou sa répulsion extrêmes, et s’emparer de la place convoitée de l’écrivain controversé. Mais n’est pas Céline (entre autres et par exemple) qui veut.


« Grande résistance de mon entourage à mon projet. Seul Bruno M. comprend et m’encourage. Les autres, Nathalie B. en tête, m’incitent à renoncer.
- Tu ne peux pas associer ton nom à Hitler !
- Mais parler d’Hitler ne consiste pas à devenir hitlérien.
- Moi je sais que tu n’es pas nazi, mais les autres, les lecteurs pressés, les journalistes… »


ESS, trop innocent pour parler de Hitler ? Véritablement convaincu de l’indigence du thème de la Part de l’autre ? Sans doute pas assez innocent en tout cas pour ne pas sentir qu’il y a là de quoi pavaner et se faire passer pour un écrivain à la fois provocateur, martyr et polémique. C’est sans aucune honte qu’il croit bon d’inclure dans son Journal cette remarque faite par un de ses amis (forcément) :


« - Comment parviens-tu à raconter l’existence d’un raté, toi qui as toujours tout réussi ? me demande Bruno M. »



Un raté, Hitler ? Plutôt un vainqueur, même si ses exploits sont amoraux. Un vainqueur, EES ? En tout cas pas en ce qui concerne la Part de l’autre. L’idée était pourtant prometteuse. Que serait devenu Hitler –et donc le monde- si celui-ci n’avait pas échoué son examen d’admission aux Beaux-Arts ? Cette question, beaucoup se la sont déjà posée. Pour rendre cet exercice plus évocateur, EES ne se contente pas seulement de développer cette hypothèse ; il la fait évoluer parallèlement au « véritable » destin que connut Hitler. Pourquoi ces guillemets ? Parce que même si EES respecte les principaux marqueurs historiques de l’existence du dictateur, il s’autorise beaucoup de spéculation en lui attribuant des angoisses, des névroses et des sentiments qui le transforment moins en homme qu’en stéréotype ambulant –complexe d’Œdipe et de castration en tête.



Si EES semble persuadé de son talent et de son intelligence, aucune de ses remarques ne nous le prouvent. Espère-t-il se montrer fulgurant lorsqu’il écrit par exemple que Hitler n’est pas le seul coupable dans le génocide juif, mais qu’il faut aussi prendre en compte tous ceux qui l’ont aidé et qui ont cru en lui ? ou prend-il seulement son lecteur pour un ignare capable de rivaliser avec son portrait d’Hitler ? Afin de nous montrer que le personnage n’est pas un monstre total et sans vergogne, mais plutôt un triste sire qui ne joue pas assez à touche-pipi, EES abuse de la caricature et utilise des procédés grossiers qui, en tentant de détruire tout manichéisme réducteur, finissent par devenir également simplistes. Et cela commence dès l’enfance. Avant son échec aux Beaux-Arts, Hitler nous est présenté comme un gentil garçon de bonne famille. Absolument pas raciste, pas même antisémite, il passe du bon temps avec ses collègues et voisins étrangers, et pour que l’ouverture d’esprit de Hitler soit suffisamment flagrante, EES nous brosse des portraits qui réduisent l’individu à des clichés nationaux :


« Sans bien discerner pourquoi, il appréciait Guido. L’éternelle joie de l’Italien, son sourire désarmant, ses paupières rieuses, sa poitrine velue qu’il montrant sans gêne aucune, la force virile qui éclatait en lui… »


L’uchronie se met véritablement en place lorsque, dans un des deux univers possibles, Hitler apprend son échec à l’entrée des Beaux-Arts. Commence alors le cheminement que l’on connaît. EES se fait plaisir et introduit dans l’existence du personnage tous les détails graveleux qu’il est possible d’imaginer : complexe de castration, terreur des femmes, vie sexuelle inexistante, arrivisme, égoïsme, inceste limite pédophile… A l’opposé de cette existence qui connaît toutes les déchéances possibles, EES imagine le parcours d’un Hitler qui aurait été admis aux Beaux-Arts. Son énergie aurait alors été dirigée dans la réalisation de son œuvre. Hitler aurait rencontré des gens avec qui il aurait pu élaborer des relations satisfaisantes, et tout s’enchaîne : copains, petite amie, vie sexuelle, travaux réussis, emploi stable, reconnaissance du milieu, famille… Avec EES, la vie se joue à pile ou face : pile, on gagne le jackpot social, professionnel et sexuel ; face, on sombre dans le milieu de la vermine, déshérité et rejeté de tous.



La part de l’autre, outre ses simplifications grossières, commence véritablement à devenir agaçant lorsqu’on comprend que Hitler n’est qu’un prétexte habilement utilisé par EES pour parler de lui –ou de ce qu’il croit être. Son discours à l’égard des deux personnages n’est pas neutre. Hitler l’homme politique a beau avoir réussi à dominer le monde et à le façonner durablement pour des décennies au moins, EES ne peut s’empêcher de le ridiculiser et de le mépriser en exacerbant son inaptitude à la vie sociale. En revanche, Hitler l’artiste est précipité sous une avalanche d’éloges derrière lesquelles se dessine la figure plus générale du créateur –celui qui transcende ses pulsions et instincts néfastes pour les transformer en œuvres. Le contexte historique est à peine évoqué. Quant au monde tel qu’il l’aurait été si Hitler n’avait jamais été au pouvoir, il n’est même pas évoqué. L’histoire se termine sur un air d’inachevé. On croyait lire une uchronie mais La part de l’autre n’est qu’un condensé de la Psychanalyse pour les nuls –à moins qu’il ne soit un manuel de libération sexuelle post-soixante-huitarde dont le credo adressé à Hitler aurait été : « Vide-toi un coup et ça ira mieux ». Le Journal de la Part de l’autre apparaît alors à point voulu. En retraçant sa vie lors de l’écriture de son roman, de nombreuses similitudes se dessinent entre la personnalité d’EES et de Hitler l’artiste. Serait-ce une manière d’insinuer que si l’écrivain n’avait pas réussi à se faire connaître en tant que tel et aurait échoué à vendre ses petits romans, il aurait fini par devenir aussi décrépi que Hitler le dictateur, et aurait risqué de faire connaître au monde entier la virtuosité d’une vengeance sanglante ? EES, futur criminel de guerre ? Voilà qui ferait l’objet d’une uchronie tout aussi sympathique et inutile que cette Part de l’autre !


*peintures de Joseph Steib

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10 mai 2013 5 10 /05 /mai /2013 10:55





Incorruptible d’estomac, vous le serez peut-être de cœur ? « Ne dit-on pas que Peau d’Ane conquit l’amour de son prince grâce à un gâteau pétri de ses mains ? » Tout est bon pour nous convaincre de nous mettre aux fourneaux (le prince aussi peut faire un effort) mais il n’en fallait même pas tant : il suffit de feuilleter ce livre rustique pour avoir envie de déployer sa batterie de cuisine.


On virevolte de bonne surprise en découverte inespérée. Ceux qui imaginent que les tartes ne sont qu’un assemblage banal de fruits de troisième catégorie et de pâte congelée vont être obligés de revoir leur jugement. Si les premières pages ne nous étonnent pas avec leurs classiques tarte aux abricots, tarte au citron et tarte aux fraises, on commence toutefois par se laisser séduire aux idées plus surprenantes de tarte au fromage et aux citrons verts, de tarte aux clémentines ou de tarte vigneronnes. Même les tartes constituées des ingrédients les plus classiques sont soumises à un grand nombre de variations créatives. Vous avez dix kilos de pommes en réserve ? Quelle chance… vous allez pouvoir vous essayez non seulement à la classique tarte aux pommes mais aussi à la tarte de compote de pommes, à la tarte à l’anglaise, à la tarte aux pommes aux pignons, à la tarte aux pommes et aux bananes, à la tarte aux pommes à la noix de coco, à la tarte tatin, à la tarte normande ou à la tarte feuilletée aux pommes sauce anglaise. Et qui dit tarte ne dit pas seulement fruits mais dit aussi sucrerie (tarte au chocolat), crème (tarte à la crème) ou fromage (tarte au fromage et à la menthe, tarte au fromage blanc).



Mais passons maintenant aux gâteaux… Derrière ce terme générique se cache en réalité un grand nombre de préparations qui vont du plus simple au plus sophistiqué, du plus léger au plus nourrissant. On redécouvrira les grands classiques dans leur version old-school : cheese-cake aux fraises, riz à l’impératrice, moka au café, charlottes, mille-feuilles et choux à la crème n’ont plus rien à prouver. Et partant de là, les variations se déclinent une nouvelle fois. Malgré vos recettes de tartes, il vous reste encore des pommes ? Vous pourrez les faire entrer à contribution dans un biscuit aux pommes, un pavé aux pommes ou un cake aux pommes. Et parlant de cakes, vous pensez peut-être tout connaître mais avez-vous déjà réalisé un cake au tahin, un cake à la semoule ou un manqué au pavot ? Parmi les ingrédients originaux, on trouvera le champagne (biscuit au champagne), les légumes (gâteau à la carotte ou gâteau au potimarron) ou les fruits secs (dattes) en remplacement de la farine.


Cet ouvrage allie le classicisme des recettes uniques d’antan et l’imagination ébouriffée des déclinaisons modernes. Peau d’Âne ne s’est pas bien cassée la tête pour séduire son prince : réaliser des pâtes et des crèmes apparaît dans toute sa simplicité, et les dernières pages nous fournissent des explications illustrées claires pour nous aider à décorer nos desserts à notre goût. La seule chose qui pourrait manquer à ce livre serait de pouvoir nous offrir suffisamment de temps libre pour réaliser ces desserts.


Testée par votre fidèle cobaye (et recommandée) :


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Biscuit au champagne :


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Manqué au pavot :


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Gâteau au potimarron :


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Tarte aux fraises old school :


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Tarte aux amandes et au sucre :


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Amandine :


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Décors d'assiettes :


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9 mai 2013 4 09 /05 /mai /2013 11:09





Drôle d’idée de découvrir l’œuvre d’un auteur par le texte qui l’acheva. Commencées dans les années 1980 et achevées de force en 1991 par la mort de Max Frisch, les Esquisses pour un troisième journal n’étaient pas prêtes à être publiées car leur auteur n’en avait pas encore terminé la correction.


Première nouvelle : depuis quand apporte-t-on des corrections à un journal ? Depuis que celui-ci est devenu exercice littéraire à part entière, égalisant en précision et en intentionnalité le roman, la nouvelle, le poème ou la pièce de théâtre. D’autres l’avaient déjà fait avant Max Frisch –je pense à Cesare Pavese et à son Métier de vivre- et la pratique suit le mouvement d’une tradition que Peter von Matt explique dans sa postface :


« Par le terme de « Journal », Max Frisch désigne depuis les années 1940 une forme littéraire qui se distingue fondamentalement de ce que l’on entend généralement par là. Il s’agit d’une composition rigoureusement structurée, de textes de réflexion et de narration, dont les liens tissent un réseau de thèmes et de motifs récurrents. Un « Journal », au sens où l’entend cet auteur, n’est donc pas la somme des notes quotidiennes que l’on prend en plus de son travail d’écrivain, mais un résultat de la volonté artistique au sens le plus strict. »


Ce n’est donc pas pour la spontanéité que l’on lira ces Esquisses pour un troisième journal. Relues et partiellement corrigées, les idées que Max Frisch annota tout au long de ses dernières années sont condensées et prennent la forme d’aphorismes au ton cinglant. Chaque nouvelle entrée est digne d’un micro-thriller mobilisant le strict minimum de personnages : Max Frisch lui-même, son ami Peter Noll condamné à mourir du cancer, son avant-dernière compagne Alice, sa cadette d’un demi-siècle, et la civilisation américaine. Max Frisch pourrait presque louvoyer de pair avec les aphorismes d’Emil Cioran pour la similitude de leur ironie ; tous deux portent sur le monde un même regard chargé d’absurdité. Pour mieux nous faire prendre conscience des ablations subies par les pages de ce journal, le dossier situé à la fin de cette édition nous en livre les originaux, plume en main. Le travail de concision de Max Frisch traduit la volonté d’en écrire le moins possible pour en suggérer le plus :


« Un buisson jaune comme un feu d’artifice. Un magnolia en fleur. Mais sur les montagnes, de l’autre côté, la neige est toujours là. Le bleu, par-dessus, comme le bleu au-dessus de la Méditerranée. Les forêts ne sont pas encore vertes, mais gris-brun, comme le pelage d’un lièvre, on aimerait caresser un jour tout le coteau.
(Hier de nouveau picolé.) »



Certaines pages finissent par n’être composées plus que de quelques phrases aussi tranchantes qu’un slogan publicitaire –Max Frisch n’hésite pas à interpeller le subliminal de son lecteur.


« THANATOS ET EROS
En Amérique cela se dit :
CASUAL SEX. »



Par ailleurs, et on aura l’occasion de le remarquer très rapidement, Max Frisch est engagé ouvertement dans une bataille politique qu’il livre contre les Etats-Unis, et notamment contre l’hégémonie qu’elle tient à assurer face à un monde encore disloqué en deux blocs distincts. A travers le regard de Max Frisch, les Etats-Unis deviennent la figure symbolique de l’assurance stupide, de la confiance en soi prétentieuse et de la ruine de tout esprit d’ouverture aux autres et de réflexion.


Ces passages d’une grande virulence et de portée internationale alternent et contrastent avec des brèves de vie anodines. C’est à ce moment-là qu’on se rappelle qu’elles ont pourtant été délibérément placées par Max Frisch et que, contrairement aux apparences, elles ne sont pas si dérisoires qu’elles n’y paraissent. L’écrivain y parle de ses appartements, de son projet de maison idéale, de ses sacs poubelles et de son ennui. La dualité d’un homme s’exprime à travers cette juxtaposition de considérations. Une face : l’acharnement à se battre contre un monde bâti de guingois ; l’autre face : la fatigue de se détruire pour sauver les dernières ruine d’un monde qui ne mérite en fait aucun sacrifice personnel. Il faut beaucoup d’autodérision pour reconnaître cette contradiction fondamentale et Max Frisch n’en manque pas. A cet égard, il nous rappelle encore une fois l’ironie d’Emil Cioran (cruelle et joyeuse) ou celle de Cesare Pavese (rageuse et désespérée). Tout combat semble perdu d’avance –et peut-être plus encore parce que ces b]Esquisses[/b] marquent l’entrée de l’écrivain dans la période de la vieillesse. L’absurdité vient se mêler à la révélation de la mascarade sociale ainsi que de l’ennui pour asséner une douche froide à la réalité.


« Comment passer toute une soirée (THANKSGIVING) sans une discussion, sans même une tentative allant dans ce sens ? L’hôte, professeur de droit commercial, s’assoit au piano et joue, une fois la dinde consommée et le dessert savouré : des airs de comédies musicales que chacun connaît ici, et ceux qui ne sont pas trop vieux passent deux heures debout autour du piano à chanter à tue-tête. Il y a du vin, du whisky aussi, du feu dans la cheminée. A quoi bon une quelconque conservation ? Ce qu’il y a à dire entre humains a déjà été dit, le premier drink à la main. »


Drôle d’idée donc, de découvrir l’œuvre d’un auteur par son dernier texte. Et pourtant, idée judicieuse, tombant à point nommé pour tous ceux désirant découvrir l’esprit véritable d’un homme –la fulgurance de la vision qui l’étreint lorsqu’il commence à sentir que son tour est bientôt venu de passer l’arme à gauche. Esquisses pour un troisième journal me semble être une excellente introduction à l’œuvre de Max Frisch dans le sens où, représentant l’évolution ultime du parcours d’un homme, elle donne l’impression de pouvoir mieux comprendre les étapes antérieures de son existence –que l’on ramènera symboliquement à chacun de ses autres textes.


Là où je vois des ressemblances entre Emil Cioran et Max Frisch (dégoût des mots) :

Citation:
« Un haut-le-cœur presque irrépressible devant la machine à écrire, tentatives d’écriture manuscrite, une fois aussi sur bande magnétique, mais rien n’y fait -
Faut-il que j’aie quelque chose à dire ? »




Là où je vois des ressemblances entre Cesare Pavese et Max Frisch (démission) :

Citation:
« Parmi les choses que j’aurais dû écrire, il y a ce dont j’ai fait cadeau dans un petit chapitre : une autobiographie financière. […] Ce serait beaucoup de travail. Ai-je simplement été trop paresseux ?
Dommage. »




Mais aussi dans leur rapport à la solitude et leur manière de l'exprimer :

Max Frisch a écrit:
« Je lave la vaisselle -
Est-ce que je suis dans la solitude ?
Je sèche la vaisselle -
Parfois j’aime bien être seul. »



Cesare Pavese a écrit:
« De nouveau seul. Tu te fais un home d’un bureau, d’un ciné, de deux mâchoires serrées. »




Spoiler:
Houellebecq, fidèle disciple ?

Citation:
« Tu déjeuneras seul
D’un panini saumon
Dans la rue Choiseul
Et tu trouveras ça bon. »
 


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8 mai 2013 3 08 /05 /mai /2013 19:24






Earthlings est un documentaire qui a nécessité plus de cinq années d’investigation pour aboutir à cette grande cette grande collecte de vidéos qu’il nous présente. Il est disponible gratuitement et peut être visualisé en français avec des sous-titres de diverses qualités :




Earthlings n’a qu’un seul objectif : énumérer la liste des pratiques qui contribuent à dégénérer le rapport liant les hommes aux autres animaux. Il part d’un postulat de base rejetant tout spécisme, au même titre que le sexisme ou que le machisme. Les cinq grandes parties de ce documentaire sont les suivantes :


1- PETS : Il s’agit peut-être de la partie la plus discutable et c’est dommage parce qu’elle introduit justement le documentaire. Shaun Monson ne condamne pas la domestication à proprement parler (quoique…) mais dénonce les dérives d’une insouciance proprement humaine qui consiste à considérer l’animal avant tout comme un objet de divertissement et de consommation. Partant de là, l’animal pourrait être détruit ou abandonné dès lors qu’il ne répond plus aux exigences de son propriétaire. Cette dernière notion est elle-même discutée : comment un être vivant pourrait-il appartenir à un autre être vivant ? Malheureusement avec la domestication, le discours devient rapidement trop extrémiste : Shaun Monson souhaiterait presque délivrer les animaux de ces chaînes qui entravent l’homme lui-même (le devoir, la servilité, l’obéissance…) et s’en prend à des cas particuliers lorsque c’est tout un système qu’il faudrait revoir.



2- FOOD : L’argumentation la plus efficace dans ce domaine se passe de mots. Shaun Monson aligne les vidéos les plus sanglantes et cruelles qu’il a pu recueillir au cours de ses années d’investigation. On pourra toujours amoindrir la portée de ces images en stipulant qu’il s’agit de cas d’exception (mais en réalité, personne n’en sait rien, et Shaun Monson est sans doute mieux placé que la plupart d’entre nous pour savoir de quoi il parle) mais une chose est certaine : si ces images ont été filmées, c’est qu’elles ont existé.



3- CLOTHING : Tout est utilisé dans la bête qu’on tue ? Que nenni. Où l’on découvrira que les animaux que l’on tue pour notre consommation alimentaire ne sont pas les mêmes que ceux que l’on abat pour notre habillement. Encore une fois, les images montrent les pratiques barbares des pays principaux fournisseurs de peaux de bêtes (l’Inde par exemple). Après la folie provoquée par la réclusion dans des cages, succède la mort par choc électrique sous forme de sonde anale ou par écorchage à vif, ce que les grandes chaînes de magasins de mode essaient de nous faire oublier dans l’ambiance feutrée de leurs locaux.



4- ENTERTAINMENT : Corrida, chasse, zoos, cirques… même combat. Non seulement les affrontements ne sont pas équitables (on apprendra que les taureaux utilisés pour la corrida sont gavés de calmants ou enfermés dans l’obscurité pendant 48h afin d’être aveuglés au moment de sortir dans l’arène) mais ils ne peuvent se conclure autrement qu’en provoquant la mort d’un des participants (plus souvent l’animal que l’homme, bien entendu).


5- SCIENCE : « Oui mais c’est utile… » Et pourquoi ne se demande-t-on pas s’il n’existe absolument pas d’autre façon de faire ? L’utilité se décline-t-elle vraiment sous une seule et unique manière de procéder ? Ou ne s’agit-il que d’une excuse de plus pour ne pas avouer que l’on est impuissant à changer ce qui se passe dans certains (la majorité ?) des laboratoires, et atténuer notre sentiment de culpabilité ? Des images insoutenables, encore, et tellement irréelles qu’on peut comprendre qu’elles ne suscitent parfois rien de plus que de l’indifférence.



Shaun Monson cite Léon Tolstoï pour renforcer son propos : « Aussi longtemps qu’il y aura des abattoirs, il y aura des champs de bataille ». Même si Earthlings fonctionne essentiellement en alimentant le moteur de l’horreur avec des vidéos éprouvantes, Shaun Monson ne se montre toutefois pas avare en paroles. Peut-être se montre-t-il parfois trop racoleur mais comment peut-on encore vouloir se montrer modéré et posé devant ce qui se présente à nos yeux comme un carnage ? Le film nous fait découvrir une facette du monde et de la vie dégoûtante. Souhaite-t-on plus dégoûtant encore ? Il suffit d’évoquer ces spectateurs qui n’ont rien trouvé de mieux à reprocher à ce documentaire que le rapprochement qu’il effectue parfois avec l’Holocauste (et que Peter Singer avait déjà fait avant lui). Ce rapprochement ne nuit pas aux victimes de l’Holocauste et ne rabaisse pas ce crime à une broutille historique –il cherche simplement à reconsidérer la gravité des actes que nous pouvons infliger aux animaux –directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment- dans une vision qui cesse d’être spéciste. Alors oui, Earthlings pêche parfois par certains défauts de style (musique omniprésente ?), de propos (rapprochements qui blessent l’ego de l’homme en tant qu’animal supérieur) ou d’accumulations (toutes véridiques cependant), mais si l’on est capable de s’offenser de tels détails alors, pourquoi ne s’indigne-t-on pas des évènements qui sont présentés dans ce film ?



A nouveau, tout n’est qu’une question de bonne ou de mauvaise foi.

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 14:48


Quand la publicité parvient à devenir utile, elle devient un livre de cuisine. Finis les gros grimoires de plusieurs kilos qui peuvent accessoirement servir de batte à côtelettes : le livre de recettes publicitaire est aussi léger et rapide à feuilleter qu’un jingle télévisé. Heureusement, le livre est utile, alors que la publicité télévisée l’est beaucoup moins.


Amateur de cacao Van Houten ® ou pas, peu importe. A moins d’être un maniaque de la précision, rien ne nous oblige à remplacer la marque citée par n’importe quelle boîte de cacao en poudre. Ce n’est pas la pauvre introduction, ébauche de storytelling peu convaincante car elle-même peu convaincue, qui nous rendra soudainement indispensable la possession d’une boîte de cacao Van Houten ® (« Ingrédient incontournable de vos recettes chocolatées, de celles de vos parents ou de vos enfants, sa poudre pur cacao (et sans sucre ajouté) vient sublimer toutes les idées gourmandes » : magnifique !)





Puisqu’il s’agit de se casser la tête le moins possible, ce petit livre ne cherche pas à révolutionner l’art de la cuisine. Le cacao, on le trouve dans les desserts et puis c’est tout. Et de quels desserts parlons-nous… il s’agit de ceux dont nous avons déjà des centaines de variantes, des cookies aux madeleines, des financiers aux macarons en passant par les brownies, cakes et pâte à crêpes. Faisons toutefois honneur à ces trois recettes légèrement originales : mousse légère au chocolat (faisant intervenir des ingrédients tels que vanille et kiwi), chaussons frits au cacao et à l’orange, gratin d’abricots meringué au cacao.


Les recettes ont le mérite d’être détaillées brièvement et clairement et d’être accompagnées d’une jolie photographie avec laquelle vous pourrez vous amuser à « trouver Van Houten ® » (il y a toujours une boîte qui se dissimule dans l’arrière-plan…). Prenez garde toutefois : ce livre est tellement petit (et dispensable) que vous pourriez bien finir par l’égarer…



Mousse au chocolat :


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Gratin d'abricots meringué à l'orange:


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6 mai 2013 1 06 /05 /mai /2013 13:55






De la Mort d’Ivan Ilitch nous n’en saurons pas grand-chose, sauf à considérer que cette mort n’est pas celle que l’on définit biologiquement (et encore de manière houleuse) comme l’arrêt des fonctions cardiaque, cérébrale et/ou respiratoire, mais qu’elle est plutôt toute cette étape de la vie qui précède la fin.


Nous ne sommes pas dans Guerre et Paix, loin s’en faut. Là où Leon Tolstoï s’attardait des chapitres entiers à décrire le moindre fait anodin de la vie de ses personnages, il s’essaie ici à plus de brièveté. La forme de la nouvelle participe au discours ; puisque Leon Tolstoï cherche à dévoiler l’insignifiance d’une existence, autant la réduire à quelques étapes marquantes et dissoudre le reste dans la fosse de néant qui échoit à chacun. Pour autant, Leon Tolstoï parvient à rester éloquent. En quelques dizaines de pages, il met pleinement à contribution ses personnages et s’ingénie moins à faire le procès de l’absurdité qu’à se moquer de l’hypocrisie bourgeoise.


Ce n’est pas du mépris ni de l’aversion que Leon Tolstoï semble éprouver pour cette classe sociale mais plutôt de la pitié. A travers Ivan Ilitch, toute l’inconsistance d’un parcours, inconsciemment dicté par les règles de la convenance et par le souci d’exceller au détriment de son prochain, puis de soi-même, se révèle peu à peu au cours d’une crise de lucidité qui démarre en même temps que la déchéance du personnage. Ivan Ilitch serait-il mort brutalement, par accident ? Il n’aurait jamais douté de la justesse de sa vie et serait resté à jamais bienheureux. Pourtant, son existence n’était pas des plus joyeuses. La vie conjugale lui procurait bien des désagréments -mais il accusait le mauvais caractère de sa femme, sans jamais se remettre en question. Sa profession lui procurait beaucoup d’honneurs et de prestiges dont il en tirait une grande fierté -mais il ne pensait jamais qu’il construisait sa réputation au détriment d’un grand nombre de ses congénères. Sa vie sociale lui paraissait riche et satisfaisante -et il ne devinait pas le désintérêt qu’éprouvaient pour lui ses camarades.


Heureusement, la maladie arrive qui, en retirant Ivan Illich de la vie active, lui permettra de revenir sur son existence, d’en examiner la progression et d’analyser la raison de chacun des choix qui l’ont conduit à devenir l’homme qu’il est. Malheureusement, la maladie arrive, qui obligera Ivan Ilitch à prendre conscience de la superficialité de ses relations et de sa profonde solitude –à moins qu’elle ne soit inhérente à tout homme ? Leon Tolstoï se moque d’Ivan Ilitch : il arrache d’un coup son costume de magistrat pour mettre à nu le pauvre petit garçon pleutre et veule qu’il a toujours été. Dans la maladie, il aurait aimé être cajolé, chéri et soigné avec toutes les attentions qu’il croyait mériter. Au lieu de cela, l’hypocrisie bourgeoise préfère taire sa mort prochaine. Plus que de sa maladie, Ivan Ilitch se désespère de l’indifférence de ses semblables, qu’il commence peu à peu à haïr.


Avec le temps, la Mort d’Ivan Ilitch a peut-être perdu un peu de sa puissance : aujourd’hui, qui croirait encore aussi fermement que le personnage qu’une bonne situation familiale et professionnelle est forcément signe de réussite ? La naïveté d’Ivan Ilitch est parfois trop grande pour être vraiment crédible, mais permet cependant de mettre en place des scènes où l’humour cynique et cruel de Leon Tolstoï se déchaîne pour notre plus grand plaisir. Le clivage entre l’hypocrisie bourgeoise et le bon sens paysan est également trop marqué pour ne pas être réducteur, même s’il permet de dévoiler une facette plus tragique d’Ivan Ilitch.


Quoiqu’il en soit, Ivan Ilitch nous aura bien fait tourner en bourrique. Sa mort est longue et s’évertue consciemment à détruire peu à peu chaque étape de son existence. Et puis, enfin, Ivan Ilitch meurt. Qu’y a-t-il après la mort ? Leon Tolstoï balaie d’un revers de main toute considération eschatologique : après la mort, il n’y a rien d’autre qu’un ballet comique de bourgeois, qui viennent se signer devant le cadavre d’un homme parmi tant d’autres avant de retourner jouer au whist ensemble, autour d’une table et de boissons.



 
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Près du lit de mort, Edvard Munch




Citation:
« Sa seule apparence disait : l’incident des obsèques d’Ivan Ilitch ne peut en aucun cas servir de prétexte pour annuler l’ordre du jour ; autrement dit, rien ne peut nous empêcher, ce soir même, de faire craquer l’emballage d’un paquet de cartes tandis que le valet disposera quatre bougies toutes neuves ; somme toute, il n’y a aucune raison de supposer que cet incident puisse nous empêcher de passer aujourd’hui aussi une agréable soirée. »


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