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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 14:55

La Révolte de Villiers de l’Isle-Adam survient en 1870. L’auteur, jusqu’alors réputé pour ses compositions qui œuvrent plutôt dans le style romantique, passe sans crier gare au réalisme. Le romantisme de l’amour partagé devient romantisme de l’amour pour soi, ses ambitions et ses idéaux. D’un côté se trouve Félix, riche banquier pour qui toutes les affaires réussissent depuis qu’il a eu la bonne idée de se marier. De l’autre côté se trouve ladite épouse, Elisabeth, excellente comptable, laborieuse, sans coquetterie et pas frivole pour un sou, qui passe ses journées penchée sur des livres de compte depuis le jour où elle s’est mise en ménage. On ne précisera pas à qui profite le plus cette union. Tout n’est cependant pas perdu car Félix sait reconnaître, en des termes certes maladroits, les grandes qualités dont fait preuve son épouse :


« Comme tenue des livres, tu es un excellent comptable ; comme femme, il paraît que tu es très bien et point bête, ce qui est quelque chose. Enfin, comme caractère laborieux, tu passes mes espérances. […] Et, si j’ai triplé ma fortune, je puis bien dire que c’est grâce à toi. »


Oui, mais Elisabeth ne veut plus ressembler à ce portrait. Alors que leur fille dort dans sa chambre, elle revendique, sans élever la voix, son droit de claquer la porte du foyer et de s’en aller vivre dans la campagne. On imagine mal cette femme de tête s’empêtrer dans les terres boueuses des forêts, vivant sans le moindre confort, sans le moindre appui matériel et sans le moindre soutien affectif, mais sa révolte germait en elle depuis si longtemps qu’elle éclate avec toutes les disproportions d’une frustration difficilement contenue. L’homme, qui se croyait alors maître en sa demeure, se fait écraser par son épouse sans le moindre honneur. Et de larmoyer sur l’avenir de ses affaires et sur l’avenir de leur enfant –sans jamais, pragmatiquement, évoquer leur amour-, tandis qu’Elisabeth se dévoue tout entière à son rêve, déployant une richesse de verve sans égal lorsqu’il s’agit d’imaginer la vie qui l’attend, et ne lâchant que quelques froides paroles à celui qui l’a détruite: « Et vous ne sauriez vous figurer cependant, monsieur, l’indifférence que vous m’avez toujours inspirée ».


La séparation traîne et semble devoir n’être qu’un long dialogue. Mais enfin, la rupture survient. Entre le premier et le deuxième acte, Elisabeth abandonne l’époux, le foyer et l’enfant. Le deuxième acte sera d’un réalisme encore plus glaçant. La Révolte revendiquée dans le titre n’est pas seulement celle d’une femme rejetant la sécurité familiale et matérielle mais aussi celle d’un auteur rejetant l’assurance d’une gloire formatée. Sa pièce ne fut représentée que cinq fois, le temps de s’attirer les défaveurs des critiques et l’incompréhension de tous. En marge de sa pièce, Villiers de l’Isle-Adam écrivit une réponse qui fait aujourd’hui office de préface à la Révolte. Le morceau pourrait faire partie intégrante du spectacle. Presque aussi long que la pièce, il semble la couver et lui insuffler sa première substance. 


« Aujourd’hui, le Théâtre aux règles posées par des hommes amusants […] tombe de lui-même dans ses propres ruines, et nous n’aurons malheureusement pas grands efforts à déployer pour achever son paisible écroulement dans l’ignominie et l’oubli. On y assiste, on rit, mais on le méprise. On dit de ce qu’il enfante : « C’est un Succès » - Le mot GLOIRE ne se prononce plus. »


Avec sa Révolte, Villiers de l’Isle Adam n’obtint si l’un, ni l’autre, et ce n’est pas aujourd’hui que changera cette situation. Son réalisme extralucide est devenu banal ; son romantisme égoïste s’appelle maintenant individualisme. Avec ses phrases taillées à la serpe, Villiers de l’Isle Adam nous renvoie le reflet d’une tendance contemporaine qui ne surprend plus. Quoi qu’aient pu dire ses détracteurs, sa Révolte est passée dans les mœurs.





Citation :
ELISABETH : […] Je me sens absente, dans cette enfant, -qui a des façons de me regarder… comme si j’étais une étrangère ! … […] Croyez-vous que j’eusse hésité à en faire ma compagne de malheur ?... – Mais, si certains désespoirs ont leur grandeur et leur beauté, le mien, en tombant dans la nature de votre enfant, n’y deviendrait qu’un poison ! Tenez, mon cœur a saigné goutte à goutte tout son amour ! … Je suis une morte : je glacerais ma fille en l’embrassant.


*photo de Pieter Henket

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8 janvier 2014 3 08 /01 /janvier /2014 13:28



- Avé Commandant Protinucléon III. Notre écoute des communications terrestres a été fructueuse. Nous détenons un échantillon d'enregistrements humains, récoltés à l'aide de cette antique technologie que notre population a utilisé jadis, en des temps reculés que nous ne prenons plus la peine d'évaluer. Je veux parler du téléphone portable.
- Fifre, je vous remercie, mais je ne désire pas perdre de temps. Choisissons alétoirement un enregistrement, il suffira à mon verdict.
Commandant Protinucléon III, vos désirs sont des ordres.

"Prout, prout, prout, prout. Prout, prout, prout, prout."

- ...
- ...

"Clic."

- Fifre, cette planète ne mérite pas d'être sauvée.
- Commandant Protinucléon III, je suis de votre avis : laissons cette planète de scatophiles patauger dans la bourbe qui l'imbibe. 



Dommage. Alors que le téléphone portable commençait seulement à être à la mode et que les Bidochon s'en servaient pour se communiquer leurs plus profondes angoisses, l'échange des textos n'avait pas encore connu l'essor incroyable qui le caractérise aujourd'hui. A parier que s'il devait refaire cet album, Christian Binet déclencherait une liesse folle furieuse de esse-ème-esse:


"tkt il é tro bien & déchir ça rasse le dernier bidochon tu va tro kifé c obligé."


Protinucléon III, reviens! Notre planète mérite d'être sauvée, je te jure...


Et si Raymonde avait parlé à Protinucléon ?





Citation :
[...] -Et je pense, écoutant gémir le vent amer et l'onde aux plis infranchissables ; l'été rit et l'on voit sur le bord de la mer fleurir le chardon bleu des sables.
-Ben dis-donc, toi, quand tu dis des conneries, tu y mets le paquet !!
-C'est une récitation que j'ai appris quand j'étais à l'école !!






Citation :
-Tu vas pas faire marcher ton portable au restaurant ???
-Ben quoi ? Je suis moderne, moi !!



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7 janvier 2014 2 07 /01 /janvier /2014 14:13



Si Jean Starobinski est surtout connue pour être un critique littéraire érudit, la seconde face de ses intérêts intellectuels est moins réputée. Avant de se former à l’étude et au professorat des textes, Starobinski suit des études de médecine et de psychiatrie qui s’achèvent par la publication d’une thèse sur « L’histoire du traitement de la mélancolie ». Le présent ouvrage s’ouvre d’ailleurs sur cette thèse synthétique et richement documentée publiée en 1960. En guise d’introduction, on suivra l’évolution des considérations portées sur la mélancolie en elle-même ainsi que les différents curatifs proposés pour en débarrasser ses victimes. L’exercice paraît trivial –d’ailleurs, on se demande s’il n’a pas déjà été effectué par un étudiant moins connu que Jean Starobinski. Pourtant, il faut se détacher de nos conceptions modernes pour retrouver cet état de virginité psychiatrique qui caractérisa l’histoire avant le 18e siècle et la désignation de la « nostalgie » en tant que terme médical. Dans cette perspective, il s’agit de comprendre les textes anciens au-delà des mots et de retrouver, sous d’autres termes, sous d’autres définitions, derrière des images et des concepts en abondance, ce qu’on finira par regrouper derrière une symptomatologie d’ailleurs très mobile. L’impossibilité de figer un état mental apparaît d’ailleurs très bien dans l’évolution de l’usage des mots et souligne une nouvelle fois la difficulté de l’entreprise de Jean Starobinski.


« Hofer eut la main heureuse : à l’aide de retour (nostos) et de douleur (algos), il créa nostalgia, mot dont la fortune fut telle que nous en avons complètement oublié l’origine. Il nous est si familier que nous l’imaginons mal de formation récente et surtout de formation savante. Ce néologisme pédant a été si bien accepté qu’il a fini par perdre son sens primitivement médical et par se fondre dans la langue commune. Il est entré tard dans le Dictionnaire de l’Académie : 1835. Son succès l’a dépouillé de toute signification technique : il est devenu un terme littéraire (donc vague). C’est là souvent le sort des vocables qui désignent des maladies mentales en vogue : pareille aventure est advenue au mot « mélancolie » (dont les psychiatres du XIXe siècle ne voulaient plus, tant il était galvaudé) et n’est pas loin d’advenir au mot « schizophrénie », autre néologisme formé en Suisse. »


On acceptera donc le panorama littéraire, philosophique et médical de Jean Starobinski comme une vue non exhaustive de la psychologie humaine depuis qu’elle détient l’art de la parole et de l’écriture. D’ailleurs, Starobinski ne s’est pas contenté de cette seule « Histoire du traitement de la mélancolie » -pliant ses recherches sitôt ses études terminées. S’ensuivent une « Anatomie de la mélancolie » et une « Leçon de la nostalgie » qui complètent ces premières observations, les renforcent et les approfondissent sous l’angle d’étude de différents textes et personnages. Les contradictions inhérentes au trouble semblent des constantes qui ne datent pas d’hier. Pourquoi la mélancolie, que certains considèrent comme une débilité d’esprit, fut-elle également galvanisée comme preuve de la supériorité et du génie de l’âme ? Ainsi Esquirol écrivait-il déjà très sérieusement que « plus l’intelligence est développée, plus le cerveau est mis en activité, plus la monomanie est à craindre », ce que d’autres développeront en termes plus littéraires et personnels des siècles plus tard.


Si Jean Starobinski semble parfois dépassé par l’ampleur du sujet qui l’intéresse, il finit par se concentrer essentiellement sur ce dernier aspect paradoxal pour dresser des analyses orientées des œuvres de quelques auteurs ciblés. La question qu’il se pose est d’une évidence telle qu’on se la sera déjà posée plusieurs fois, sans jamais avoir essayé de répondre : si la mélancolie est l’état d’âme caractérisé par l’impuissance d’agir et la disparition de toute volonté, comment se fait-il qu’elle ait toutefois réussi à se sublimer en œuvres chez certaines de ses victimes ? A travers l’étude des contes folkloriques, d’E. T. A. Hoffmann et de Kierkegaard, Starobinski émet l’hypothèse d’un « Salut par l’ironie ». Position paradoxale par excellence, « l’ironie connaît la puissance du non-savoir, qui éclaire de façon égale le savoir et le non-connaissable » (Wilhelm Szilasi). En autres recours, et en se référant aux œuvres de Baudelaire, de Gérard de Nerval et de Bandello, Jean Starobinski décline ensuite la mélancolie comme « Rêve et immortalité mélancolique », dans un balancement incessant entre répulsion et attrait pour la vie –ou pour la mort. 


Au bout des 600 pages qui constituent ce regroupement de réflexions sur le thème de la mélancolie, il semble que Jean Starobinski n’a toujours pas fini ses recherches et que nous, lecteurs, n’avons toujours pas apaisé notre soif de questionnements. L’encre de la mélancolie se présente peut-être comme l’achèvement d’une réflexion personnelle car, à l’âge de 93 ans, il serait étonnant que son auteur la poursuive encore de manière décisive. Pourtant, la lecture de cet ouvrage très dense nécessite du temps, une méticulosité d’étude et des références culturelles déjà bien installées. Jean Starobinski semble avoir tranché : entre la médecine et la littérature, ce sont les aspects essentiellement littéraires qui retiennent ici notre attention et qui constitueront les difficultés de lecture les plus dangereuses. En effet, comme pour toute analyse littéraire, celle-ci ne devient intéressante qu’à partir du moment où le lecteur en connaît ne serait-ce que les grandes lignes –ce qui n’est pas toujours le cas dans cette étude fouillée qui nous perdra à maintes reprises. La difficulté de rentrer immédiatement dans l’analyse de Starobinski tient aussi, peut-être, à l’écriture sèche et rigoureuse qui le caractérise. D’un premier abord très scolaire, effectuant parfois la paraphrase plus qu’il n’est nécessaire, elle se révèle toutefois plus illuminante qu’il n’y paraît. On découvrira ainsi que les traitements médicaux chers à notre 20e siècle existaient déjà en germe depuis des siècles, et que ses premières critiques n’avaient pas attendu l’arrivée de l’antipsychiatrie pour se manifester (« […] Que devenir, si celui dont on attend le secours a lui-même besoin de secours ? »).


En citant Nietzsche, Kierkegaard ou Baudelaire, en se concentrant sur leur peine à être sincère, sur leur déception de n’avoir pas mené une vie à leur convenance , le premier écrivant que « notre sincérité habituelle est un masque qui n’a pas conscience d’être masque » et le second poursuivant en disant que sa « vie présente est comme une contrefaçon rabougrie d’une édition originale de mon moi », Jean Starobinski mérite lui-même de devenir un objet d’étude mélancolique à part entière.





Parmi les traitements les plus loufoques...


J. C. Reil a écrit:
Les chats étaient choisis d’après la gamme, et mis en rang avec la queue tournée en arrière. Des marteaux garnis de clous pointus pouvaient s’abattre sur ces queues, et le chat ainsi atteint émettait sa note. Lorsqu’on jouait une fugue de cet instrument, et surtout si le malade était placé de façon à ne rien perdre de la physionomie et des grimaces de ces animaux, la femme de Loth elle-même eût été tirée de sa rigidité et rendue à la raison.



Une anecdote sur JJR :


Citation :
Jean-Jacques Rousseau, à vingt-six ans, saisi d’une « noire mélancolie » et convaincu d’avoir un « polype au cœur », quitte Mme de Warens et se rend à Montpellier : il se présente à ses compagnons de voyage comme un Anglais du nom de Dudding. Pourquoi ce déguisement et ce pseudonyme ? Rousseau, qui venait de lire les romans de l’abbé Prévost, savait que le vrai mélancolique est nécessairement un Anglais. Ce nom d’emprunt l’aidait à construire la personnalité et la maladie prestigieuses qu’il souhaitait avoir.



Une preuve de la nature mélancolique de ce post :


Citation :
L’idée la plus répandue est que les langues anciennes sont dotées d’une énergie supérieure à celle des langues vernaculaires modernes. La citation est nécessaire pour consolider un propos, compenser une faiblesse. Elle n’est pas simplement un ajout, un « surpoids » (Montaigne), elle donne du lustre à la pensée, car « tout est dit » (La Bruyère) et il est difficile de penser autre chose que ce que les anciens ont déjà admirablement exprimé. Il serait tentant de voir dans cette conviction un sentiment d’infériorité mélancolique.



Une définition parmi tant d'autres de la mélancolie :


Philippe Pinel a écrit:
Les principaux symptômes […] consistent dans un air triste, mélancolique, dans un regard stupide, des yeux parfois hagards, une figure inanimée, un dégoût général, une indifférence pour tout ; le pouls est faible, lent ; d’autres fois fréquent, mais à peine sensible : un assoupissement assez constant : pendant le sommeil, quelques expressions échappées avec des sanglots et des larmes ; la presque impossibilité de quitter le lit ; un silence opiniâtre, le refus des boissons et d’aliments, l’amaigrissement, le marasme et la mort.



Starobinski ouvre des portes et donne furieusement envie de lire une myriade d'auteurs...

*peinture de Caspar David Friedrich

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6 janvier 2014 1 06 /01 /janvier /2014 13:16


« Le devoir d’une femme, c’est d’être à la maison, de manger After Eight et d’être belle. »


Le sexisme machiste voire misogyne ne date certainement pas d’hier mais en matière publicitaire, il est encore possible de remonter aux sources d’une époque où la femme était dévolue à sa cuisine. Quelques années plus tard, un progrès notable est à signaler : « S’il vous plaît… laissez votre femme vous rejoindre dans le salon ! »


Les publicités regroupées dans cet ouvrage semblent ainsi remonter un fil chronologique qui retrace presque les étapes d’une libération féminine aussi factice que le bonheur mis en scène dans ces annonces. Même si celles-ci ne sont pas précisément datées, le visuel et la thématique nous renseignent indirectement sur une décennie. On passe ainsi de la revendication au droit de posséder les plus beaux appareils ménagers à la revendication au droit d’être la plus séduisante pour obtenir un emploi rémunéré. Plus tard, la femme aura le droit de s’amuser en montrant ses dessous de jupons voire ses porte-jarretelles. Dans le rôle de la femme-objet, elle se doit d’être polyvalente, qu’il s’agisse de vanter de la lingerie féminine, des appareils technologiques, des barres chocolatées, des caleçons masculins ou du lait sans lactose. Parfois, l’objet de la publicité disparaît derrière l’image de la femme : sa représentation est devenue un topoï qui véhicule à lui seul le discours, les émotions et la mémoire culturelle. Et lorsque certains publicitaires essaient de dépasser ce stade de la représentation féminine, il s’aventure sur des routes extrêmes qui rivalisent souvent d’indécence.


« Sous prétexte de dénoncer la violence conjugale, les publicités d’aujourd’hui montrent volontiers des femmes portant des traces de coups. Mais comment peut-on prétendre vendre un parfum en présentant une femme marquée d’un œil au beurre noir ? »


Plus efficace que le premier volume, cet ouvrage gagne en incisivité en se concentrant sur une thématique riche et précise de la publicité. Si l’agencement des chapitres garde une cohérence qui permet de démontrer l’évolution de la représentation féminine au cours du siècle dernier, Annie Pastor ne s’empêche toutefois pas de glisser des publicités contemporaines tout au long des pages. La comparaison nous permet de juger que si la forme a évolué, le fond est resté sensiblement le même. L’épidémie sexiste se propage même aujourd’hui jusqu’à la représentation de l’homme. Est-ce la seule façon pour la femme d’obtenir son salut ? … 


Pub pour des préservatifs :

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Pour du ketchup :

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Très, très osée :

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Au tour des mecs :

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Snifff :

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Salon de l'agriculture :

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Ce n'est que du lait (mais sans lactose, quand même)

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Bagnole :

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Scandale provoqué par Belvedere Vodka


Citation :
Cette publicité fait référence à une scène de viol : « Contrairement à certaines personnes, Belvédère va toujours en douceur ». Le président de Belvédère s’est excusé et a déclaré que la marque s’était engagée depuis dans la lutte contre les violences sexuelles.



Cool

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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 20:52





Fut une époque où la voie royale de la réussite nécessitait un parcours d’accomplissement scientifique : mathématiques et sciences triomphaient au palmarès des disciplines les plus nobles. Suivit une époque où cette notion de valeurs s’inversa. Les sciences, devenues de piteux divertissements après que tous les progrès de la technologie souhaités par l’homme se sont accomplis, ne font plus la fierté de personne.


"Oui, je sais que l'on t'a laissé prendre la technologie comme matière principale, mais on ne pensait pas que tu serais aussi sérieux à ce sujet. Quand j'avais ton âge, j'ai eu une passion pour la botanique, mais je n'en ai jamais fait la principale occupation de ma vie."


Dans la cité mythique du Lion de Commare, il paraît que l’aboutissement des progrès technologiques est complet. Vit ici une population qui a atteint la fin de l’histoire. Reculée du reste du monde, elle ne parle ni n’entend plus le reste de la civilisation. Comment vit-elle précisément ? L’intérêt pour la découverte de cette curiosité est longtemps repoussé par Arthur C. Clarke jusqu’à ce que l’on se demande s’il souhaitait vraiment nous décrire la cité de [bCommare[/b]. L’attente médiocre n’éveille pas la curiosité et lorsqu’on découvre le fonctionnement de ce monastère utopique, après de nombreuses mais insignifiantes péripéties qui nous auront perdus en chemin, l’étonnement n’atteint pas l’intensité que l’imagination de l’auteur aurait pu réclamer. 


Pourtant Arthur C. Clarke touche à un fantasme puissant : que se passerait-il si nous pouvions stocker les pensées de chacun et les réinjecter à d’autres ? Mieux encore : que se passerait-il si ces pensées pouvaient se confondre avec la réalité ? Serait-il alors possible de changer de peau et de vivre par substitution ? Et que deviendrait alors l’humanité livrée à ses rêves ? 


"Il y avait d'autres hommes à Commare, reposant hypnotisés sous les projecteurs de pensées."


Le récit nous permet d’explorer les limites d’un tel fantasme et nous interroge sur les fondements de la sublimation. La fin de l’histoire n’est pas politique ; elle est technologique et passe par une puissante lénification que l’industrie de divertissement n’a pas encore réussi à atteindre -sans qu’on ne puisse toutefois dire précisément si c’est tant mieux, ou tant pis.


*peinture de Neo Rauch

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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 21:04


Dans d’autres temps, en d’autres lieux, la télévision grand public proposait à son audimat des productions de qualité qui ne se targuaient pas forcément d’être obscures. Il suffit de voir les Scènes de la vie conjugale pour s’en rendre compte. Cette réalisation d’Ingmar Bergman fut d’abord diffusée sous forme de feuilleton de six épisodes sur la télévision suédoise. Entre avril et mai 1973, les spectateurs découvrirent chaque semaine une nouvelle étape du cheminement du couple formé par Marianne et Johan. Plus tard, le feuilleton fut condensé en un film permettant d’apprécier une évolution d’ensemble, au détriment du temps de réflexion que laissait à disposition la vacance d’une semaine. Qui souhaite à nouveau s’imprégner des Scènes de la vie conjugale, miroir réfléchissant des réflexions inhérentes à la vie de couple, ressentira rapidement la nécessité de lire le scénario original d’Ingmar Bergman. Tout y est. Sous la forme d’une pièce théâtrale, on retrouvera les dialogues et les scènes du film. Surtout, on pourra enfin prendre le temps de la réflexion. Les Scènes de la vie conjugale sont trop denses pour faire l’objet d’une seule visualisation. Sous la forme feuilletonnesque, il manque encore le temps nécessaire à la compréhension de certaines phrases qui ne révèlent toute leur complexité qu’à la lecture. Ingmar Bergman écrit de manière simple mais le sens de ces phrases révèle finalement beaucoup plus d’acuité qu’il n’y paraît.


La construction de ces Scènes est finement réalisée de manière à ce que chaque spectateur, qu’il soit en couple, qu’il l’ait été voire qu’il l’image seulement, puisse se reconnaître dans l’un ou l’autre des personnages à un moment de leur évolution. Ingmar Bergman balaie un large spectre des rapports de domination et de contrôle, évoquant les sentiments liés à cette hiérarchie tacite et les solutions de fuite auxquelles recourent les personnages. Qu’on soit clairs : la vie conjugale partage peu de choses avec l’amour tel qu’on le définit sous sa forme passionnelle. Tout au plus en reste-t-il des souvenirs qui s’épanouissent en tendresse ou en complicité ou qui se morfondent en perfidie et accusations injustifiées.


Dans la première scène, Marianne et Johan sont confrontés à une journaliste qui les interroge sur leur apparent bonheur conjugal. Ici, cette expression se résume surtout au foyer familial et à la qualité des relations liant réciproquement les parents aux enfants, et les parents face aux enfants. Les repas sont joyeux, les activités se partagent dans la bonhomie, papa et maman se partagent les tâches  et les enfants ne les font pas tourner en bourrique. Malgré quelques corvées familiales –un repas chez belle-maman, des fêtes d’anniversaire trop récurrentes, un séjour avec la belle-famille-, la vie semble plutôt réussie. Peut-être pourrait-elle l’être encore davantage ? Mais la suggestion heureuse fait bientôt déborder le vase de ce qui n’était en fait qu’une tolérance de mascarade. La suite des épisodes révèle les failles d’une vie conjugale moins parfaite qu’elle ne voulait bien le laisser croire.



Ingmar Bergman parvient à rendre compte des jours, des mois ou des années passées entre ses scènes par de simples dialogues à la force d’évocation puissante. Il réussit à captiver par l’imprévisibilité du cheminement de ses personnages. La complexité psychologique d’un être humain est telle qu’elle se suffit à elle-même pour brouiller puis surprendre les attentes. Marianne et Johan ne sont jamais enfermés dans des profils stéréotypés servant à l’illustration d’une thèse. Ingmar Bergman leur a laissé une liberté individuelle toute relative –celle de s’imaginer faire des choix raisonnables et profitables- mais il s’agit de la même liberté que celle que nous possédons. La possibilité de la contradiction leur est également laissée et on voit Marianne et Johan tâtonner les yeux fermés vers un idéal qu’ils ne connaissent pas, empruntant une voie qui se révèle être un cul-de-sac, retournant en arrière à reculons, se cognant parfois à des portes qui se sont définitivement refermées. La démonstration est nulle ; la compréhension est immédiate. Après s’être vus dans l’interview de la journaliste, Marianne et Johan se sont révélés à eux-mêmes. Ainsi en est-il du lecteur : après s’être reconnu tour à tour dans Marianne et Johan, son couple ou son idéal de couple devient figure mouvante jamais établie, édifice bancal qui peut s’effondrer à cause de soi ou à cause de l’autre du jour au lendemain.


Il est difficile d’imaginer que cette œuvre a pu être réalisée dans les années 1970. Son ton audacieux étonne et donne parfois l’impression qu’il ne serait pas possible de tenir ouvertement les mêmes propos que Marianne ou Johan. S’il est toujours permis d’avouer l’ambivalence de ses sentiments à l’égard de son conjoint (« J’éprouve soudain une telle haine à l’égard de Peter que je pourrais le torturer à mort. Parfois, quand je ne peux pas dormir, je reste dans mon lit à imaginer les méthodes les plus extravagantes pour le faire souffrir »), que dirait-on des propos parfois misogynes de Johan (« As-tu jamais entendu parler d’un orchestre symphonique féminin ? Tu imagines cent dix bonnes femmes avec leurs ennuis de règles devant interpréter ensemble l’ouverture de La Pie voleuse de Rossini ? ») ou de cet aveu de l’insatisfaction sexuelle (« Tu te souviens après la naissance de Karin ? Quand tout à coup, on n’a plus pu faire l’amour. Eh bien on s’est gentiment assis et on s’est réciproquement démontré qu’il n’y avait rien de plus naturel que ça. Que c’était évident après ces deux grossesses coup sur coup. Et ensuite, tous nos raisonnements pour trouver une explication au fait qu’on n’avait plus aucun plaisir à faire l’amour ensemble ») ?


Ingmar Bergman transcende ces Scènes et révèle pourquoi le sentiment conjugal révèle des enjeux d’une telle importance. Après tout, si Marianne et Johan ne sont pas contents, ils n’ont qu’à se séparer. Mais ce n’est pas aussi simple… Lorsqu’on bâtit sa vie sur le concept du couple, on ne peut pas y renoncer sans reconnaître en même temps la vacuité d’une philosophie de vie. En quelques répliques, Ingmar Bergman applique le solipsisme, le fatalisme et le stoïcisme à la vie quotidienne. Mais est-ce seulement pour ces raisons que les Scènes de la vie conjugale édifient avec une telle puissance ? Je crois que sa puissance de fascination tient surtout à son audace. On aimerait pouvoir s’exprimer aussi librement que Marianne et Johan mais on ne le fait presque jamais parce qu’on craint les conséquences de certains aveux –et ainsi que nous le montre Ingmar Bergman, ces craintes sont parfaitement fondées.


« Il y a longtemps qu’on aurait dû commencer à se battre. Tout aurait été beaucoup mieux. »





Citation :
MME JACOBI : Mon mari est quelqu’un de très bien. Je n’ai aucun reproche à lui faire. Il est gentil, rangé. Il a été un excellent père. Nous ne nous sommes jamais disputés. Nous avons un appartement qui est bien et une bonne vieille maison de campagne qui nous vient de la mère de mon mari. Nous aimons tous les deux la musique de chambre, et nous nous sommes inscrits à un groupe de musique de chambre. Nous faisons donc de la musique.
MARIANNE : Mais tout ça me paraît très bien.
MME JACOBI : Très bien, oui. Mais il n’y a pas d’amour entre nous. Il n’y en a jamais eu.


Citation :
Je m’imagine avoir en moi des possibilités d’amour, mais elles demeurent enfermées dans une chambre close. […] Mes sens, je veux parler du toucher, de la vue, de l’ouïe, commencent à me trahir. Par exemple, je peux dire que cette table est une table. Je peux la voir, je peux la toucher. Mais la sensation que j’en ai demeure mesquine et sèche, vous me comprenez.


Citation :
Comment parler de ce qui n’a pas de mot. Comment expliquer que cela m’ennuie de faire l’amour, même si techniquement, tout se déroule parfaitement. Comment expliquer qu’on a envie de te battre quand on te voit toute propre et toute jolie en train de déguster tes œufs à la coque au petit-déjeuner ?


Citation :
Pour s’acheter une sécurité extérieure, ce monde exige un prix très élevé : accepter la destruction permanente de sa personnalité. […] Il n’est pas difficile de déformer dès le départ les tentatives d’un enfant qui veut se faire valoir. Dans mon cas, cela s’est passé grâce à l’injection d’un poison efficace à 100% : la mauvaise conscience. D’abord, vis-à-vis de maman, puis, vis-à-vis de mon entourage et pour finir, mais ce ne fut pas le moindre, vis-à-vis de Jésus et de Dieu.


Citation :
Il faut vivre en sachant que la solitude est totale. Alors, on cesse de se plaindre et de gémir. Alors, on l’a vraiment son assurance et on apprend à accepter l’absurde avec une certaine délectation.

*peinture de Adolf Uzarski
*peinture de Anton Räderscheidt
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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 20:46


Par ennui, dame Bidochon convoque chez elle vendeurs et charlatans en tous genres. Entourée d’une brigade de marchands de piscines, de crocodiles ou de berlines, Raymonde se sent moins seule, mais Robert n’apprécie pas ces affronts lancés au pécule laborieusement amassé. C’est pourquoi il croit permettre à la quiétude de se réinstaller dans son foyer lorsqu’il voit Raymonde se précipiter sur un kit de remise en forme et de remodelage de silhouette.


Avec les Bidochon, tout devrait toujours être facile –le mariage, les voyages, les amis- et pourtant, rien ne leur réussit –la monotonie, les surprises, la sympathie. Lorsqu’il est question d’activité physique, il ne faut donc pas s’étonner de voir les deux comparses affalés devant la télévision pendant que des électrodes broient et malaxent leurs lointains souvenirs de muscles. Toutefois, la route conduisant à cet Eldorado de paix est semée d’embûches. Comme toujours, Robert refuse de se fier à la technologie et s’oppose à une Raymonde plus aguerrie que jamais, transportée par le rêve de corps sculpturaux, d’une jeunesse éternelle et d’un mariage plus heureux.


« Pourquoi c’est toujours les filles dans les magazines qui ont des corps de rêve et jamais celles dans les lotissements !! »


La lutte des classes devenue lutte des corps, Raymonde entraîne Robert contre son gré dans la métamorphose finale. Comme de coutume, l’affront se nourrit des éléments les plus triviaux. Il devient épique, transformant les électrodes en facteurs de mutation malintentionnés, et lyrique lorsque les posters de créatures surréalistes inspirent à la triste Raymonde des odes endiablées.

Du canapé au canapé, le chemin est long pour les Bidochon, mais notre détente est excellente.


Citation :
- C’est incroyable le nombre de calories qu’on peut perdre en faisant du sport !! Regarde ! Un simple marathon et tu en perds huit mille d’un coup !!
- Un simple marathon !! Mais tu sais combien d’années d’entraînement il faut pour faire ton simple marathon ? Ca peut te tuer !!
- Sinon, pour les non-sportifs, on peut aussi perdre des calories en pratiquant des tâches quotidiennes.
- Ah ! Eh bien ça, c’est déjà plus dans nos cordes !
- Par exemple : « abattre un baobab à la hache », ça fait autant de calories qu’un simple marathon.
- Et comment tu veux qu’on fasse ça ?? On a pas de hache !!
- Sinon, on peut aussi « creuser un tunnel » ou « pelleter des céréales ».
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1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 20:49





Appeler les deux protagonistes de ce livre par leur petit prénom, Juliet et Man, pourrait faire croire que nous allons passer un moment de franche convivialité avec deux vieux amis pas guindés pour un sou. Si, effectivement, les deux compères ont l'art de la rigolade, ils ont aussi l'art complexe et maniéré qui leur fait connaître des situations incongrues -d'aucun diraient surréalistes- avec un sérieux et une austérité presque religieuse.


L'analyse de Germano Celant ne vient pas nous rassurer. En une dizaine de pages aussi denses qu'obscures, ce critique d'art italien semble nous parler d'une vie foisonnante et microscopique, parcourant les photographies de Man Ray et invisibles pour le commun des mortels. Germano Celant se laisse porter par son inspiration et, guidé par la volonté de transcender Man Ray, il dote bientôt ce dernier de pouvoirs quasi-ésotériques, qui émanent du jeu entre ombre et lumière :


"Ce sont des lieux de polarité entre forme et informe, matériel et immatériel, qui mettent en évidence la continuelle recherche d'une dialectique, le moteur de l'oeuvre de Man Ray. En particulier, l'ombre ou l'éclairage des visages et des torses, nus ou vêtus, confèrent à l'image une force mystérieuse"



... qu'ils soient perceptibles par-delà les rayographies -qu'on ne nous définit pas par ailleurs...


"Dans les rayographies, il tente de mettre en évidence la motilité de la matière, comme s'il émanait des corps énergie et vie, manifestations d'une force sombre à laquelle il faut se référer pour se débarrasser de tout conditionnement"


...avant de faire de Man Ray le nouveau voyageur de l'éternel :


"Man Ray se pose en nomade sur le seuil de deux réalités, un voyageur entre yin et yang, entre mort et vie, dont le visage bifrons est éclairé sur une face et, sur l'autre, est dans les ténèbres"


Autant dire que la découverte des photos en tant que telles semblera un voyage bien tranquille et commun pour celui qui, ayant lu cette analyse, aura déjà imaginé pouvoir transcender la vie et la mort. Faut-il être un expert de l'art et de la photographie pour partager la vision exaltée de Germano Celant ? Mon pauvre oeil d'amatrice a surtout perçu la forte ressemblance liant le couple Juliet/Man au mythique Pygmalion/Galatée. Certes, Man Ray accepte parfois de se prendre en photo, mais ses poses ne sont jamais celles, statiques et inanimées, d'une Juliet robotisée, statufiée, présageant déjà les figures inanimées des mannequins des années 2000. Cette Juliet existe-t-elle ? On réalise alors que Germano Celant ne nous a rien évoqué sur sa vie en tant qu'être humain. A croire que Man Ray suffit pour lui donner vie -à moins que le peu qu'il daigne lui insuffler suffise à définir Juliet réduite à son rôle de modèle.



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31 décembre 2013 2 31 /12 /décembre /2013 14:02


La Peste ne parlerait que de la peste ? Ce serait éluder un peu trop rapidement le talent d’Albert Camus. Ses livres sont des strates qui entrecroisent plusieurs récits à plusieurs niveaux, tous étant essentiels les uns aux autres.


La trame de l’histoire est simple et respecte la thématique annoncée. Dans les années 1940, la peste se déclare à Oran et force ses habitants à une mise en quarantaine qui déchaîne d’abord des réactions passionnées, avant de céder place à une indifférence de plus en plus tenace à mesure que la période de réclusion se prolonge. La peste semble alors ne jamais devoir finir et les habitants se résignent à ne plus revoir ceux dont ils sont coupés et –c’est peut-être le plus difficile- à devenir des personnages anhistoriques. Pourtant, autour d’eux, la peste continue à faire des ravages et ne laisse jamais deviner l’identité de ses futures victimes.


Le récit, pris en charge par un narrateur d’abord mystérieux, se concentre sur le personnage du docteur Rieux. Technique, ne laissant jamais transparaître ses émotions et effaçant toujours son individualité en face des vagues que provoque l’ensemble de ses congénères, ce personnage est d’autant plus crédible qu’Albert Camus semble s’être directement inspiré de sa propre personnalité avant de l’intégrer à son récit. Le docteur Rieux impose une distance qui convient aux évènements. En temps de peste, il s’agit de prendre son rôle au sérieux, de tout faire pour guérir les malades et pour soulager les familles, sans jamais s’impliquer au point de détruire sa propre santé ou de sacrifier son équilibre mental aux passions de l’affection. Pourtant, derrière ce professionnalisme intransigeant qui nous permettra de connaître la progression de la maladie jour après jour –ses lois absurdes, son imprévisibilité de la gratuité de ses engouements à ses rémissions inespérées-, une menace plus grande que celle de la peste se profile.


Si la plupart des habitants d’Oran se méfient les uns des autres et doivent être mis en quarantaine dans leur propre foyer à chaque fois qu’un proche se révèle atteint de la maladie, le docteur Rieux ne peut pas se permettre la prudence. Du premier jusqu’au dernier jour de l’épidémie –si tant est que le dernier jour existe vraiment-, sa profession lui aura permis de mieux connaître les hommes. Les malades, en général, mais aussi le père Paneloux et sa théorie du fléau divin, Raymond Rambert et ses désirs d’évasion, Joseph Grand et son intérêt monomaniaque pour la grammaire ou encore Mme Rieux, mère du docteur et double de la propre mère d’Albert Camus. Mais le docteur ne se laisse jamais abuser par les états d’âme de chacun et c’est toujours en sa qualité de technicien physiologiste qu’il décrit le comportement de ses semblables et de lui-même. Il nous arrache ainsi brutalement à nos croyances d’une identité propre à chacun. Nous sommes tous les mêmes, régis par des lois internes que nous ne maîtrisons pas mais qui nous incitent à trouver la meilleure ruse pour prolonger notre existence par-delà les fléaux. Le docteur Rieux, froidement attendri par les effusions sentimentales qui demeurent toutefois en dépit des situations désespérées, ne place pas le salut dans ces considérations sans âme. Si le détachement lui semble salvateur, il ne fait que prolonger une existence sans saveur.


« Il était juste que, de temps en temps au moins, la joie vînt récompenser ceux qui se suffisent de l’homme et de son pauvre et terrible amour. »


C’est d’ailleurs là où souhaite en venir Albert Camus. Que la peste soit terrible parce qu’elle constitue un mal invisible qui touche indifféremment toutes les catégories de population, nous le savons tous et nous pouvons même l’accepter dans une certaine mesure. En revanche, le docteur Rieux ne semble pas pouvoir accepter le climat d’indifférence qui s’installe peu à peu dans la ville recluse d’Oran. La peste devient le symbole d’un autre fléau qui touche les âmes et ce mal porte le nom d’indifférence.


« Nos concitoyens s’étaient mis au pas, ils s’étaient adaptés, comme on dit, parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. Ils avaient encore, naturellement, l’attitude du malheur et de la souffrance, mais ils n’en ressentaient plus la pointe. Du reste, le docteur Rieux, par exemple, considérait que c'était cela le malheur, justement, et que l'habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même. »


L’écrivain de l’absurde ne délaisse jamais sa volonté –absurde elle aussi- de décrire ce sentiment de détachement qui fait percevoir la vie à la manière d’un plateau de jeu régi par des lois guindées qu’on ne respecte plus que par habitude, avec une acceptation du corps mais sans l’approbation de l’âme. Le désenchantement d’une ville se laisse à voir à travers le récit du docteur Rieux. Des décennies plus tard, cette peste mentale semble s’être propagée et avoir contaminé une plus grande partie du monde. Albert Camus ne décrit-il pas le sentiment général d’une société industrielle qui fonctionne parfaitement en apparence –ainsi que les rescapés de la maladie- mais qui est privée de toute âme, et qui ne sait plus vers où se diriger ?


« La peste avait supprimé les jugements de valeur. Et cela se voyait à la façon dont personne ne s’occupait plus de la qualité des vêtements ou des aliments qu’on achetait. On acceptait tout en bloc. »


La peste nous emporte dans son sillage beaucoup plus loin que prévu. Même lorsqu’elle se résorbe, elle n’empêche pas de laisser des séquelles dans les âmes qui ont connu le néant. Il s’agit ensuite de retrouver son humanité, à la manière d’Albert Camus qui se bat à chaque page pour ne pas laisser l’indifférence reprendre le dessus sur la gratuité superbe de la vie.





Citation :
Il savait ce que sa mère pensait et qu'elle l'aimait, en ce moment. Mais il savait aussi que ce n'est pas grand-chose que d'aimer un être ou du moins qu'un amour n'est jamais assez fort pour trouver sa propre expression. Ainsi, sa mère et lui s'aimeraient toujours dans le silence. Et elle mourrait à son tour - ou lui - sans que, pendant toute leur vie, ils pussent aller plus loin dans l'aveu de leur tendresse. [...] Mais lui, Rieux, qu'avait-il gagné d'avoir connu la peste et de s'en souvenir, d'avoir connu l'amitié et de s'en souvenir, de connaître la tendresse et de devoir un jour s'en souvenir. Tout ce que l'homme pouvait gagner au jeu de la peste et de la vie, c'était la connaissance et la mémoire.


Citation :
Ce qui est naturel, c’est le microbe. Le reste, la santé, l’intégrité, la pureté, si vous voulez, c’est un effet de la volonté et d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter. L’honnête homme, c’est celui qui a le moins de distractions possible. Et il en faut de la volonté et de la tension pour ne jamais être distrait ! Oui, Rieux, c’est bien fatigant d’être un pestiféré. Mais c’est encore plus fatigant de ne pas vouloir l’être. C’est pour cela que tout le monde se montre fatigué, puisque tout le monde, aujourd’hui, se trouve un peu pestiféré. Mais c’est pour cela que quelques-uns, qui veulent cesser de l’être, connaissent une extrémité de fatigue dont rien ne les délivrera plus que la mort.


Citation :
Question : Comment faire pour ne pas perdre son temps ? Réponse : L'éprouver dans toute sa longueur.  Moyen : passer des journées dans l’antichambre d’un dentiste, sur une chaise inconfortable ; vivre à son balcon le dimanche après-midi ; écouter des conférences dans une langue qu’on ne comprend pas, choisir les itinéraires de chemin de fer les plus longs et les moins commodes et voyager debout naturellement ; faire la queue aux guichets des spectacles et ne pas prendre sa place, etc.


Nietzsche, es-tu là ?


Citation :
«Pitié, docteur » disait Mme Loret, la mère de la femme de chambre qui travaillait à l’hôtel de Tarrou. Que signifiait cela ? Bien entendu, il avait pitié. Mais cela ne faisait avancer personne.


*peinture de Dieter Asmus


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30 décembre 2013 1 30 /12 /décembre /2013 20:30


La bande dessinée rivalisera peut-être un jour avec le cinéma dans le nombre d’adaptations littéraires qu’elle effectue. Même Joann Sfar, auteur pourtant prolixe et original, a commis quelques incartades dans le domaine. Si on connaît un peu son œuvre et pour peu que l’on ait déjà bivouaqué en sa compagnie, on comprendra tout de suite la proximité qui lie l’univers de Joann Sfar à celui du Petit Prince de Saint-Exupéry.


Ainsi Joann Sfar s’inspire-t-il des personnages, des situations et des aventures vécues par le Petit Prince pour illustrer ses propres motifs de création personnels. On ne sera pas étonné de voir le bonheur avec lequel il anime fleurs, animaux et créatures oniriques, comme il avait déjà donné vie à un Chat du rabbin plus rusé et plus sensible que n’importe quelle autre créature humaine. Il laisse à Antoine de Saint-Exupéry ses dessins originaux pour inventer un nouveau langage pictural aux couleurs intenses et aux traits enivrés, qui respectent toutefois la simplicité originelle de l’œuvre.



Cette adaptation du Petit Prince n’opère pas une réduction de l’intrigue. Celle-ci connaît d’ailleurs de légères modifications qui prennent du sens lorsque l’on comprend que Joann Sfar chercher à nous en livrer sa vision personnelle et philosophique. Ainsi transforme-t-il le Petit Prince en allégorie de la disparition, qu’elle soit disparition du présent, disparition des amis –mort multiforme. L’adaptation de Joann Sfar contient une force qui suffit à nous redonner envie de lire le Petit Prince –non pas pour chercher dans l’un ce qui manque à l’autre et réciproquement, mais pour conjuguer leurs beautés dans la synergie.




Citation :

Chez moi, un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-quatre fois. Tu sais, quand on est tellement triste, on aime les couchers de soleil.




Citation :

Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules. J’ai beaucoup vécu chez les grandes personnes. Je les ai vues de très près. Ça n’a pas trop amélioré mon opinion. Je leur parle de bridge, de golf, de politique et de cravates. Jamais de serpent boa. On n’a rien d’intéressant à se dire.
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