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26 octobre 2012 5 26 /10 /octobre /2012 20:00





La psychiatrie à peine née, voici qu’apparaît son versant opposé : l’anti-psychiatrie. Ne nous méprenons pas sur l’objet des griefs portés par ses chefs de file, David Cooper et Ronald Laing en tête : l’anti-psychiatrie ne vise pas à l’abolition de la psychiatrie mais se considère comme un de ses courants. Elle conteste la psychiatrie « classique » considérée comme une force d’oppression institutionnelle élaborée par et pour des gens « normaux » (Donald Cooper nous montrera au passage que la normalité, si elle se situe à l’opposé de la folie, se situe aussi à l’opposé de la santé).


Dans son essai court mais convaincant, David Cooper commence en revenant sur les fondements de la discipline : sa terminologie. Suffit-il de désigner une chose par un terme pour que le sujet soit clos ? Les patients principalement ciblés par la psychiatrie, ceux qu’on nomme « schizophrènes », souffrent-ils tous, réellement, d’un seul et même trouble ? Le doute apparaît dès l’instant où l’on essaie de donner une définition de cette pathologie, que David Cooper juge avoir été inventée de toutes pièces par les membres de l’institution psychiatrique classique… A la base de la schizophrénie, une palette de causes qui semble infinie… A sa suite, des réactions qui, bien que stéréotypées, s’expriment à travers des propos et des idées qui traduisent l’empreinte d’une personnalité propre. Rien à voir, donc, avec une pathologie classique telle qu’un rhume ou qu’une angine.


David Cooper dénonce le subterfuge de l’invention de la schizophrénie en redéfinissant cette dernière non plus en termes de pathologie mais en termes sociaux et culturels. La schizophrénie serait la réaction de survie exprimée par un individu ayant grandi dans un univers aliénant et incohérent, à la base d’une violence d’autant plus sournoise et diffuse qu’elle ne se verbalise pas, qu’elle provient des membres de la famille proche –qui eux-mêmes n’en sont pas conscients, qui eux-mêmes sont également victimes d’une situation qui leur échappe- et qu’elle existe depuis toujours dans le cadre du développement de la personne que l’on étiquettera plus tard sous le terme de « schizophrène ». David Coooper emploie souvent ce terme : « étiqueter », pour désigner le nouveau processus d’aliénation qui frappe la personne souffrante lors de son arrivée dans l’institution psychiatrique. C’est ici que le bât blesse : alors que la psychiatrie devrait prendre en charge le patient pour lui proposer une rédemption complète de ses dysfonctionnements psychiques, elle ne fait que perpétrer sur lui une aliénation et une violence initialement subies dans le milieu familial. La psychiatrie serait donc un instrument de la « normalité », utilisé pour légitimer la souffrance qui fut à la cause de la formation du trouble psychique. Ce paradoxe ultime expliquerait les causes des échecs nombreux connus dans le milieu de la psychiatrie : absence de résorption des troubles, récidives, réhospitalisations…
par David Cooper et ses confrères est la plus importante. En effet, leur ouverture d’esprit, caractérisée par une absence de certitudes qui ne les pousse pas à abuser de la

Après avoir défini ces dysfonctionnements et lancé la réflexion sur des termes novateurs, David Cooper relate ses expériences de psychiatrie alternative. On connaîtra peut-être le récit de Mary Barnes et son Voyage à travers la folie. Ce texte et l’essai de David Cooper se rejoignent puisque tous deux ont fait partie de l’expérience du Pavillon 21, un établissement anti-psychiatrique expérimental fondé à Londres dans les années 60. David Cooper et ses collègues mettent en place les bases d’un fonctionnement psychiatrique novateur qui ne se baserait plus sur une hiérarchie péremptoire de type médecin/patient, sur l’obligation de mener des activités constructrices ou sur un traitement répressif. David Cooper est lucide et n’affirme pas que cette expérience aura été révélatrice, ni qu’elle aura connu des succès fracassants. La prise en charge des personnes considérées comme schizophrène aura certes été plus efficace, mais elle aura également été marquée par des échecs et des désillusions. Là n’est pas le plus important toutefois, et il semble surtout que la démarche de réflexion menée position de supériorité que leur confèrent leurs titres de docteurs, les mène à considérer le patient sous un angle innovant : celui de la victime isolée d’un groupe de victimes associées. En d’autres termes, annoncés d’emblée dans son essai, David Cooper écrit :


« Ce que j’ai essayé de faire dans ce livre, c’est de regarder dans son contexte humain réel l’individu qu’on a étiqueté comme « schizophrène », de rechercher comment cette étiquette lui a été donnée, par qui elle a été posée, et ce que cela signifie, à la fois pour celui qui l’a posée et pour celui qui l’a reçue. »



Malgré des résultats contestables et une absence de relève immédiate, force est d’admettre que David Cooper et ses pairs ont éveillé des consciences et poussé à une nouvelle analyse des termes de la psychiatrie classique. Leurs réflexions, foncièrement dérangeantes à l’époque à la fois pour le domaine médical mais aussi pour le domaine social, ont peut-être mis du temps pour être acceptées et digérées mais on en retrouve aujourd’hui des germes dans certaines approches thérapeutiques du trouble mental.


Avec cet essai revigorant, traduction d’un esprit original –perturbé-, David Cooper nous prouve implicitement une des autres théories exposées dans son livre : la santé, lorsqu’elle se manifeste dans toute son ampleur, se situe dans une proximité étroite avec la folie. « Mais un blanc décisif, une différence, demeure toujours. C’est le point oméga. »


Une définition des caractéristiques retrouvées chez la plupart des familles des "schizophrènes" :

Citation:
« Dans les familles des patients schizophrènes, les intentions liées aux « actes psychotiques » du patient sont niées ou même se trouvent (par une sorte d’antithèse) retournées de manière telle que les actions du patient prennent l’apparence d’un pur processus, coupé de toute praxis, et peuvent même être vécues par le sujet sous cette forme.
Quand les choses arrivent là, le patient –celui qu’on a identifié comme tel- doit, afin de donner à sa vision du monde une certaine cohérence, une certaine « santé », inventer une représentation imaginaire de ces mystérieuses influences qui agissent sur lui. C’est ici que trouvent sens les « hallucinations » relatives à l’influence exercée par des sujets venus d’autres planètes, ou par des institutions plus proches, telles que l’Eglise catholique, le parti communiste ou les francs-maçons. »



Citation:
« Dans la famille du futur « schizophrène », nous observerons une sorte d’extrémisme particulier. Même les questions apparemment les plus banales sont articulées sur les pôles santé/folie, vie/mort. Les lois du groupe familial qui règlent non seulement le comportement mais aussi les expériences autorisées, sont à la fois inflexibles et confuses. Dans une telle famille, un enfant doit apprendre un certain mode de relation avec sa mère (par exemple), mode dont on lui enseigne que dépend entièrement son intégrité mentale et physique. On lui dit que s’il viole les règles, et l’acte autonome apparemment le plus innocent peut constituer une telle violation, il provoquera tout à la fois la dissolution fatale du groupe familial, la destruction de ce qui est la personnalité de sa mère, peut-être celle d’autres personnes encore. Du coup, […] il est progressivement placé dans une position intenable. Son choix, au dernier point critique, est entre la soumission totale, le complet abandon de sa liberté d’un côté, et d’un autre côté, le départ hors du groupe, avec l’angoisse d’assister à la dévastation prophétisée et de se heurter au sentiment de culpabilité qu’on lui a inculqué à travers tant de soin affectueux. »



Dans cette tentative de cerner des traits communs, David Cooper fait apparaître la notion de "double contrainte" :
Citation:

« On a noté que le malade dit schizophrène avait dû à plusieurs reprises faire face à des exigences contradictoires dans sa famille, et parfois même à l’intérieur de l’hôpital psychiatrique. Certains chercheurs américains ont employé ici le vocable de « double contrainte ». […] on peut dès maintenant l’illustrer par l’exemple banal de la mère qui fait une déclaration contredite par sa conduite : elle dit à son fils : « Va, trouve toi-même tes propres amis et ne sois pas si dépendant de moi », mais en même temps elle montre (hors de toute verbalisation) qu’elle serait bouleversée s’il la quittait vraiment, fût-ce dans cette faible mesure. »



Qu'il précise un peu plus loin dans son essai:

Citation:
« Les caractéristiques générales de cette situation (de double contrainte) sont les suivantes :
1. Quand un individu est engagé dans une relation intense ; c’est-à-dire une relation dans laquelle il sent être d’une importance vitale pour lui de distinguer avec précision quelle sorte de message lui est communiquée, afin de pouvoir y donner la réponse appropriée ;
2. et lorsque cet individu est mis dans une situation où son partenaire, à l’intérieur de la relation, émet deux ordres de messages dont l’un contredit l’autre ;
3. alors l’individu est incapable de commenter les messages émis pour mieux distinguer auquel des deux il doit répondre ; c’est-à-dire qu’il est incapable de formuler un jugement qui relève de la métacommunication. »



Et une définition intéressante de l'individu dans son rapport au monde :

Citation:
« Il y a d’abord les actes par lesquels une personne se présente elle-même à nous ; dans ces actes, nous décelons une ou des intentions qui se rattachent à un choix antérieur et plus fondamental de soi : cette présentation de soi (de soi qui est pur écoulement excédant perpétuellement la perpétuelle objectivation de soi dans le monde), c’est la dialectique constituée. D’une description phénoménologique de ce moment constitué, nous passons, par un mouvement régressif, à une dialectique constituante : par ce dernier terme, nous entendons tous les facteurs de conditionnement socio-environnementiels (intra-familiaux, extra-familiaux, socio-historiques, de classe économique) dans la plénitude de leur interpénétration. Mais nous ne pouvons en rester là. Par un mouvement progressif nous devons atteindre la synthèse personnelle, la totalisation totale –la totalisation unique faite par la personne de la totalisation conditionnante, sur la base de sa totalisation de soi. Nous avons alors atteint la « vérité » de la vie de la personne, ou d’un secteur particulier de cette vie. »
 
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24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 18:36






Encore une fois, je me suis laissée prendre au piège, fonçant sur un ouvrage des éditions « Les clés du bien-être », sans remarquer qu’il s’agissait encore d’un titre publié par Jean-Marie Delecroix. A croire que le naturopathe fournit la majorité des ouvrages de la collection dans le domaine de l’alimentation…


Après avoir lu Le lait, ami ou ennemi ? –ouvrage qui m’avait déplu par ses apports beaucoup trop subjectifs- j’ai voulu lire Les algues alimentaires, Riches légumes de la mer sans me douter que la même personne était à l’origine des deux documents… On remarquera d’emblée que cette fois, Jean-Marie Delecroix semble plutôt favorable à l’utilisation des algues alimentaires ! En deux temps, trois mouvements l’auteur nous convaincra du caractère indubitable de son engouement pour les algues, chiffres et listes à l’appui. Ce qui nous avait semblé être une grossière accusation des produits laitiers dans Le lait, ami ou ennemi ? se transformera cette fois-ci en un florilège débordant de louanges adressées aux algues alimentaires.


Pour ma part, je ne doute pas des qualités nutritives de cette catégorie d’aliment, et je pense que quiconque se donne le temps de lire un tel ouvrage est déjà convaincu des avantages des algues. Je cherchais simplement à bénéficier d’informations supplémentaires concernant leurs aspects nutritifs, leurs différences en fonction des variétés et leurs possibilités d’utilisation en cuisine. Même si ces derniers aspects ne sont pas oubliés, ils viennent toutefois en dernière partie de l’ouvrage, après une litanie démagogue qui place le lecteur dans une position d’ignorant docile et crédule à souhait. Des approximations grossières sont proférées pour mettre en avant des qualités que les algues possèdent en moindre quantité.
Lorsque Jean-Marie Delecroix se croit spirituel en écrivant que : « Monsieur Popeye a fait une grosse « déprime » depuis qu’il sait que le wakamé contient 4 fois plus de fer que ses épinards », oublie-t-il sciemment de préciser que, la teneur en fer des épinards tendant vers zéro, la teneur en fer du wakamé ne saurait elle non plus s’éloigner de ce chiffre ?
Lorsque Jean-Marie Delecroix croit stupéfier son lecteur en lui apprenant que « La qualité des protéines des algues alimentaires vient du fait de leur forte concentration (25 à 35%) donc nettement supérieure à celle de la viande, du poisson et du soja », fait-il exprès de ne pas préciser qu’une portion d’algue moyenne représente 5 grammes de matière sèche, et que la proportion de protéines se trouve ainsi divisée par 20 ?
Au-delà de ces approximations, le style de Jean-Marie Delecroix énerve par ses exclamations typiques des animateurs télé censés exalter le spectateur (« C’est énorme ! ») et ses clichés vulgarisateurs qui ramènent l’information à de la bouillabaisse consensuelle voire carrément publicitaire (« Les lipides sont l’ami ou l’ennemi des jolies dames qui ne veulent pas prendre de poids. Les lipides de bonne qualité sont un gage de santé : voyez mes deux ouvrages sur ce sujet : « l’excès d’acidité, comment le pondérer » et « Le diabète, le gérer, le guérir » »).





Il faut réussir à passer au-delà de tout ce matraquage, qui relève uniquement du marketing, pour apprécier les informations strictement nutritionnelles que pense quand même à fournir cet ouvrage. La partie consacrée aux différentes variétés d’algues alimentaires et à l’emploi varié qu’il est possible d’en faire dans la cuisine quotidienne donnent également de nombreuses idées et permettent de considérer cet aliment dans toute la richesse de son utilisation. Même si Jean-Marie Delecroix s’y prend mal, remercions-le quand même d’avoir voulu mettre en avant cet aliment qu’il serait important d’intégrer à son alimentation, et dont il serait utile d’améliorer la visibilité dans le cadre de l’alimentation mondiale.


Citation:
Sachez que les algues rendent en général plus tendres les mets qu’elles accompagnent.
Elles sont des exhausteurs de goût, alors n’hésitez pas à les utiliser comme condiments.
Grâce à leur mucilage, elles épaississent les chocolats chauds, notamment avec l’agar-agar ou le carraghen ; ils ressembleront à ceux que vous dégustez en Espagne en trempant vos churros.
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23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 18:31
Last Exit to Brooklyn (1964)




La misère, la misère, la misère. Tout le contenu de Last Exit to Brooklyn se résume à ce mot et pourtant, il reste encore bien des choses à en dire, et d’abord parce que cette misère est difficile à identifier. Economique à la base, elle se complète par une pauvreté culturelle et spirituelle et la désagrégation de toute valeur morale, qu’elle concerne la sphère familiale, amicale ou qu’elle contrôle les domaines de l’économique et du professionnel. Cette pauvreté spirituelle est-elle la conséquence de la misère économique ? A moins que ce ne soit le contraire. On se pose souvent cette question en lisant le livre et, grâce au recul que nous donne Hubert Selby, les comportements des personnages apparaissent dans toute leur absurdité et tendent à nous les présenter à la fois comme victimes et responsables de leur sort.


La forme de Last Exit to Brooklyn permet de présenter un grand éventail de personnages au lecteur. Entre rupture et continuité, les nouvelles qui composent ce recueil isolent chacune leur tour une des facettes constitutives d’une seule unité : celle de la misère qui anime Brooklyn. On observe les alcooliques désœuvrés qui passent leur temps accoudés au comptoir chez le Grec, les travestis obligés de se shooter pour ne pas prendre conscience des conditions de vie extrêmes qu’on leur impose, une prostituée qui passe de l’indifférence à la psychose, des couples et leurs enfants unis par la violence et le dégoût, des travailleurs en grève, enfin, les habitants d’un immeuble qui n’ont en commun que leur isolement.


Chaque partie est à la fois trop courte et trop longue. Trop courte car en quelques dizaines de pages, Hubert Selby est obligé de se concentrer sur l’essentiel de sa démonstration. Jamais il ne répond au « Pourquoi » bien légitime du lecteur, préférant se concentrer sur le « Comment ». Et ce sont des descriptions qui prennent trop de place au détriment de l’intérêt que Selby aurait pu porter à la psychologie de ses personnages. Souvent, on a hâte que le chapitre se termine, mais lorsqu’on arrive au point final, on reste sur sa faim, avec l’impression d’avoir à peine entr’aperçu la réalité des personnages.


L’écriture de Selby joue peut-être dans cette sensation car il utilise une écriture minimaliste et descriptive, sans doute pas la plus approprié pour l’introspection. Il pèche parfois pour exprimer les émotions des personnages et s’il en ressort une impression désagréable, elle se fait toutefois l’écho des difficultés d’expression qui sont une des causes de la violence du milieu que Selby nous décrit.


Avec un style plat et monotone, Hubert Selby parvient à susciter un profond dégoût et une lassitude à l’égale de son sujet. Loin d’être une lecture de plaisir, Last Exit to Brooklyn ennuie et décourage, mais puisqu’il parvient à allier à la fois le fond et la forme, on ne saurait dire s’il s’agit d’un exploit ou d’un échec…


Même si j'ai trouvé l'écriture la plupart du temps monotone, des passages ressortent en force. Difficile de rester indifférent... La troisième nouvelle, "La Grève", a sans doute été la plus troublante pour moi, entre identification partielle avec les sentiments extrêmes de Harry et horreur du spectacle global de son existence :

Citation:

« Harry s’assit au bord du lit un instant, mais c’était inévitable : il allait falloir qu’il s’étende auprès d’elle. Il posa sa tête sur l’oreiller puis souleva ses jambes pour les poser sur le lit, Mary tenant les couvertures soulevées pour qu’il puisse se glisser dans le lit. Elle remonta les couvertures sur lui puis se tourna sur le côté face à lui. Harry se tourna sur le côté, mais en lui tournant le dos. Mary se mit à lui frotter le cou, les épaules puis le dos. Harry aurait voulu qu’elle s’endorme et lui foute la paix. Il sentit sa main qui descendait plus bas dans son dos, espérant que rien ne se passerait ; espérant qu’il s’endormirait (il avait pensé qu’une fois marié il s’habituerait) ; il aurait voulu se retourner et la gifler et lui dire d’arrêter –bon dieu, combien de fois il avait eu envie de lui écraser la gueule. »



Citation:
« […] le dégoût semblait s’enrouler autour de lui comme un serpent, lentement, méthodiquement et retirer douloureusement toute vie de son corps, mais à chaque fois que cela approchait du moment où une simple petite pression mettrait fin à toutes choses : la vie, la misère, la douleur, cela cessait de le serrer, mais la pression subsistait et Harry était là, le corps seul vivant par la douleur, l’esprit malade de dégoût. »




Un autre passage porteur d'une grande tristesse :

Citation:

« En hiver, la haine de chacun apparaissait à nu si vous regardiez bien. Elle voyait la haine dans les glaçons qui pendaient de sa fenêtre ; elle la voyait dans la boue sale des rues ; elle l’entendait dans la grêle qui égratignait les fenêtres et vous mordait le visage ; elle la voyait sur les visages baissés des gens qui se pressaient de rentrer dans leur maison chaude… oui, leurs têtes étaient baissées pour ne pas la voir, elle Ada et Ada se frappait la poitrine et s’arrachait les cheveux et suppliait le dieu Jéhovah d’avoir pitié et d’être miséricordieux et elle se lacérait le visage jusqu’à ce que ses ongles soient pleins de chair, que le sang lui coule le long des joues, elle se tapait la tête contre la fenêtre jusqu’à se blesser et tacher de petites gouttes de sang le mur de ses lamentations, elle levait les bras implorant Jéhovah et lui demandant pourquoi elle était punie, implorant miséricorde et demandant pourquoi les gens se détournaient d’elle, se frappant la poitrine et demandant grâce à Dieu qui avait donné à Moïse les tables de la Loi et avait guidé son peuple à travers le désert brûlant […] »



A côté de ça, on peut être surpris de trouver des passages au style plutôt bancal, dont la répétition devient vite énervante :

Citation:
« Oh ! je t’en prie, je t’en prie, par pitié… pourquoi me tortures-tu ? Les salauds. Les putains de salauds. Oh laissez-moi sortir. Laissez entrer quelqu’un. Je ne veux pas être seul. Je vous en prie, laissez entrer quelqu’un n’importe qui. Je suis à bout. Laissez-les venir. Par pitié. Je suis à bout. A BOUT ! »



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20 octobre 2012 6 20 /10 /octobre /2012 10:10





Ça faisait déjà un moment qu’on commençait à sentir qu’il couvait quelque chose d’ambigu derrière les couvertures parfaites reflétées par les magazines féminins. Ces publications, présentées comme des mines d’informations dont les femmes se délectent, avaient fini par nous donner l’impression que leurs conseils visaient d’abord à satisfaire les attentes des hommes et des industriels avant de satisfaire celles de leurs lectrices. Premiers vecteurs de l’aliénation féminine, les magazines féminins méritent qu’on s’attarde en profondeur sur leurs articles d’une superficialité revendiquée, première étape de la compréhension d’un phénomène de pression sociale dont les femmes sont victimes aujourd’hui peut-être encore plus que hier. Mona Chollet aborde cette réflexion dans son essai et va également plus loin puisqu’elle qualifie cette obligation de se fondre dans le moule de la Beauté fatale comme l’un des nouveaux visages d’une aliénation féminine. « Aliénation » : le mot est fort mais bien choisi pour désigner un processus de manipulation violent et sournois qui prend les formes d’une intentionnalité bien dirigée et dont la plupart des femmes ne sont même plus conscientes.


Mona Chollet dévoile la mascarade. Fini le sourire triomphant des starlettes, l’allure fière des mannequins, l’euphorie presque hystérique des acheteuses compulsives, l’enthousiasme naïf des bloggeuses de mode. Leur joie apparente à provoquer un « prurit de la carte bancaire », à revêtir des tenues inconfortables, à s’affamer pour pousser à l’extrême la ressemblance avec les canons de la mode véhiculés, est-elle une joie véritable ? ou n’est-elle qu’une des autres parures de la Beauté fatale, destinée à réduire la femme à l’objet inoffensif qui ne provoque pas de remous ? Car là se situe le vrai nœud du problème : en faisant croire à la femme que la maîtrise de son apparence et que l’accès libre, autorisé et socialement reconnu aux méthodes de séduction lui permettent d’accéder à une autonomie neuve, l’asservissement se renforce et devient moins difficile à cerner que s’il était promu ouvertement par des moyens tyranniques. Pour Mona Chollet, il s’agit même de la cause principale des lenteurs qui agissent dans le féminisme « politisé » -celui qui vise à l’obtention de la parité :


« Les pressions sur leur physique, la surveillance dont celui-ci fait l’objet sont un moyen rêvé de les contenir, de les contrôler. Ces préoccupations leur font perdre un temps, une énergie et un argent considérables ; elles les maintiennent dans un état d’insécurité psychique et de subordination qui les empêche de donner la pleine mesure de leurs capacités de profiter sans restriction d’une liberté chèrement acquise. »


Sur cette trame de pensée générale, Beauté fatale se divise en plusieurs parties, chacune consacrée à l’un des visages de cette aliénation. Comment se perpétue-t-elle et s’amplifie-t-elle dans le temps ? Pourquoi assiste-t-on à l’apparition d’objets de culte, tels les « it bag » ? L’essor du domaine industriel et du marketing est fortement corrélé à la pression croissante que subissent les femmes. Pour gagner en efficacité, le complexe de la mode et de la beauté n’hésite pas à se parer de prétentions culturelles et à trouver des vecteurs variés dont l’apparence semble innocente. Quelques exemples ? On peut citer les séries télévisées, les publicités à visée cinématographiques, la mise en avant d’égéries ou le sponsor de bloggeuses... Mona Chollet va plus loin encore en investissant la réalité des « persécutrices » de la mode : qui sont ces actrices, mannequins ou rédactrices qui participent à l’aliénation de leurs pairs ? On découvre la réalité du monde du mannequinat ou du cinéma, bien loin des sourires auréolés arrachés par obligation.





Dans son essai, Mona Chollet cherche des explications à la réussite triomphante de ce modèle d’aliénation. Elle en trouve à la fois dans le contexte économique –la crise et les difficultés professionnelles espérant être surmontées par des avantages physiques et une capacité à savoir se vendre-, dans l’histoire et la culture de l’Occident –plus encore de l’Europe latine et de son « art de la séduction » illustré par l’exemple récent de Dominique Strauss-Kahn-, dans la démocratisation de la culture et l’apparition d’une culture de masse –vecteur principal des critères de conformité sociale- et peut-être aussi dans la perte de valeurs familiales solides, dans une dégradation des rapports sociaux globaux entre individus.


Derrière tout cela, l’image de la femme « pensante » est légère, voire inexistante, et Mona Chollet s’interroge, en conclusion de son essai, sur les raisons qui sont à la base de cette terreur toute masculine de voir les femmes se mettre à penser. Quant à elle, Mona Chollet ne craint pas de détruire ses pouvoirs innés de séduction en menant une réflexion élaborée sur les nouveaux visages de l’aliénation féminine. Si le pseudo-féminisme des magazines féminins avait pu dégoûter ses lectrices d’appartenir à la gente féminine moderne, Beauté fatale leur permettra d’accéder à une véritable réflexion féministe qui s’attaque au cœur du problème. Connaître les rouages de la manipulation ne permet peut-être pas de lutter contre des conditionnements intégrés depuis longtemps, mais permet de les mettre en évidence dans la vie quotidienne et d’essayer, peu à peu, de s’en éloigner et d’accéder à une liberté bien plus émancipatrice que celle autorisée par la consommation.

 

 

Une explication au succès de ce féminisme comme revendication de son potentiel de séduction ?

Citation:

« Dans un monde défiguré, pollué, tenaillé par la peur, l’horizon sur lequel chacun s’autorise à projeter ses rêves s’est rétréci jusqu’à coïncider avec les dimensions de son chez-lui et, plus étroitement encore, avec celles de sa personne. Notre apparence, comme l’agencement et la décoration de notre cadre de vie, est au moins quelque chose sur quoi nous avons prise. La mode, associée à l’insouciance, au rêve et à la beauté, fournit une échappatoire mentale et imaginaire, en même temps qu’elle représente l’un des rares espoirs de réussite auxquels s’accrocher. »




Une réflexion très élaborée et novatrice autour de la maladie de l'anorexie -à travers l'exemple de Portia de Rossi :

Citation:
« Être allongée dans son lit la nuit devient une torture : elle est hantée par la vision du gras en train de s’installer. Au petit matin, à peine consciente, elle compte les calories assimilées et dépensées la veille, et remue ses pieds pour recommencer à en brûler avant même d’être levée. Un jour où elle sanglote de désespoir après s’être laissée aller à consommer six portions de yaourt d’un coup, elle se surprend à se demander combien de calories elle brûle en sanglotant. »



Citation:
« Le discours dominant invite à ne voir dans l’anorexie qu’une pathologie individuelle et à n’en rechercher les causes que dans le parcours personnel de celles qui en souffrent. […] De fait, toute interprétation qui ose établir un lien direct avec la condition féminine contemporaine est même frappée d’interdit. D’abord parce qu’elle implique une généralisation ; or notre époque est allergique à la généralisation –et, partant, à la critique sociale, puisqu’il ne peut y avoir de critique sociale sans un minimum de généralisation. Cette réprobation, comme celle qu’il est de bon ton de manifester à l’égard de ce qu’on qualifie de « victimisation », empêche l’identification d’une situation d’oppression, identification qui constitue pourtant un préalable indispensable à toute démarche de libération. »



Citation:
« Naomi Wolf, dans The Beauty Myth, opère une transposition saisissante : elle image ce qui se passerait si l’anorexie touchait non pas les jeunes filles, mais les jeunes hommes, dont certains parmi les plus brillants et les plus prometteurs d’Amérique. Elle parie qu’une affection frappant entre 5% et 10% d’entre eux, et ayant le taux de mortalité le plus élevé parmi les maladies psychiques, « ferait la couverture de Time, au lieu d’être reléguée dans les pages mode ». »



Citation:
« Le problème, toutefois, n’est pas tant de relier l’anorexie à la mode que de le faire dans l’intention de la minorer. […] D’abord, la mode, la publicité, le showbiz ne représentent pas une sphère à part, peuplée de gens extravagants et capricieux porteurs de valeurs qui n’engageraient qu’eux-mêmes. Il faut plutôt les voir comme une caisse de résonnance : ils captent la vision que la société se fait des femmes et l’amplifient en retour. Mais, surtout, l’anorexie découle d’une conception du corps héritée de la philosophie grecque, puis chrétienne ; une conception dont la société tout entière est imprégnée. Seul un préjugé misogyne et condescendant empêche d’admettre qu’une jeune femme puisse partager la vision et l’idéal de vénérables penseurs barbus. »




Les magazines de presse féminine sont épinglés tout au long des pages de l'essai (c'est souvent assez drôle) :

Citation:
« Dans Elle, une heureuse propriétaire de prothèses mammaires fraîchement posées se félicitait : « C’est un vrai petit coup de neuf pour notre couple. Nos relations sexuelles ont évolué, car je mets plus mes seins en avant. » On a du mal à concevoir une image de misère plus poignante que celle de ce couple, au lit, jouant avec les nouveaux seins de madame comme avec des ballons de plage. »



Citation:
« Les hommes, écrivait notre journaliste-plagiste dans Elle, aiment les filles « libérées ». Être « libérée » représente donc un impératif : et un impératif auquel il faut se conformer non pour le plaisir de la liberté, mais pour correspondre aux attentes des hommes : confessons que cela fait beaucoup de paradoxes pour notre petit cerveau. »



Evocation du cas récent de Strauss-Kahn:

Citation:
« Dans une tribune annoncée en une du Monde, après la remise en liberté de Strauss-Kahn, fin août 2011, Pascal Bruckner récrimine contre la « police du désir » qui sévit outre-Atlantique et se félicite de ce que « l’Europe latine semble mieux protégée de ce fléau par une culture ancienne de la conversation et une tolérance aux faiblesses humaines ». Avant de conclure : « Nous avons beaucoup de choses à apprendre de nos amis américains mais certainement pas l’art d’aimer. » Si on a bien suivi, une fellation de sept minutes, présentations comprises, pratiquée sur la moquette d’une chambre d’hôtel par une femme de chambre qui affirme y avoir été forcée représente donc le témoignage éclatant d’une « culture ancienne de la conversation » et d’un « art d’aimer » typiquement français : ça fait rêver. Les Françaises sont des sacrées veinardes. Pas étonnant que ces lourdauds de Yankees ne comprennent rien à de tels sommets de raffinement latin. »

 


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17 octobre 2012 3 17 /10 /octobre /2012 20:37





Rabelais est un écrivain généreux. On connaît son Gargantua et son Pantagruel pour leurs festins et leurs banquets orgiaques où le salé et le sucré se mêlent sans antagonisme, où la monstruosité et l’avidité –termes qui découlent de nos jugements modernes- étaient encore les caractéristiques d’une convivialité partagée.


La Cuisine Rabelaisienne est un ouvrage collectif qui se propose d’aborder la culture culinaire du siècle de Rabelais en revenant sur les écrits de l’auteur et en les complétant de recettes issues de manuels de la même époque. Les aliments, regroupés par thème, font ressortir les habitudes alimentaires les plus courantes et marquent des usages singuliers, première étape d’un voyage dans le temps. La deuxième étape du voyage surgit lorsque, en se plongeant dans les extraits des textes de Rabelais, du manuel du Ménagier de Paris, du Bourgeois Parisien ou du Tractatus de Modo…, le lecteur réalise que l’ancien français subsiste encore, et pare les détails des recettes d’un accent désuet qui les rend encore plus appétissantes.






Grande place est accordée aux sauces, aux viandes, aux pâtisseries, aux légumes et au vin, le tout accompagné de gravures illustratives. On trouvera également des appendices dressant la liste des épices connues et utilisées au Moyen Âge, les différentes unités de mesures utilisées, un dressage de menus complets consommés lors de périodes particulières –jeûne, fête- et enfin, une adaptation moderne de quelques recettes typiques. Au menu : Brouet d’Allemagne d’œufs pochés en huile, Talemouse, Compote de navets, Carpe à l’étouffée, Brouet vert d’œufs au fromage, Brouet de verjus et de poulaille…


Cet ouvrage permet au lecteur de se rapprocher de Rabelais et de ses personnages à travers le partage et la compréhension d’une culture culinaire qui se différencie de la nôtre en de très nombreux points. Les passages sélectionnés des livres de Rabelais donnent d’ailleurs envie de retourner passer du bon temps dans son univers et de comprendre, mieux encore que la première fois, les raisons de la liesse et de l’énergie éternelles qui émanent de ses textes.


Un exemple de recette :




Une gravure d'époque :



Citation:

Le pain perdu

Pour faire tostées dorées, prenez du pain blanc dur et le trenchiez par tostées quarrées, et les rostir ung pou sur le grail, et avoir moyeulx d’oeufz batuz, et les envelopez très bien dedans iceulx moyeulx. Et avoir de bon sain chault et les dorer dedans sur le feu tant qu’elles soient belles et bien dorées, et puis les oster de dans la paelle, et mettez es platz, et du succre dessus.
 
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16 octobre 2012 2 16 /10 /octobre /2012 19:28





Au frémissement de moustache, un remugle de décadence parvient jusqu’à vos narines éclairées… Sans doute faites-vous partie des anachroniques de l’acabit d’Ignatius Reilly. Dans ce cas, autant vous prévenir tout de suite : la lecture de la Conjuration des imbéciles vous fera l’effet d’une révélation. Mieux que Batman, presque équivalent à Boèce, Ignatius se situe droit dans la lignée des contempteurs de leur époque. Lorsque les vices décriés par les bonnes mœurs –saleté, misanthropie, exclusion sociale et professionnelle- deviennent les totems revendiqués de la lutte contre le nivellement par le bas, Ignatius Reilly fait figure d’orateur hors-pair, toujours sûr de lui et des théories uniques dont il s’est fait l’auteur.


A contre-courant de tout et de tout le monde, Ignatius mène une vie qui se constitue à l’exact opposé du rêve américain. A trente ans, après avoir passé près de dix ans à l’université pour ramener une licence qui ne lui servira jamais, il retourne vivre chez sa « manman » dans un pauvre taudis entouré de voisins suspicieux et racoleurs. Entre joutes verbales et confrontations physiques, le fils et sa mère passent leur temps à se contredire à la manière d’un vieux couple à la relation platonique. Leurs sorties se limitent à la vieille boîte miteuse des « Folles nuits » -avec « bouligne » quelquefois pour la mère Reilly qui désire se socialiser et cinéma pour Ignatius qui, en observateur attentif de la décadence de son époque, n’assiste qu’aux séances des films les plus populaires afin de s’insurger contre le lavage d’esprit dont sont victimes ses contemporains. Gare ! La colère bloque le mécanisme d’ouverture de son anneau pylorique –qui ne l’empêche cependant pas de se nourrir de macarons, de beignets et de hot-dogs maintenant son obésité maladive-, et pour pallier à cette réaction psychosomatique, Ignatius déverse sa bile noire dans des montagnes de petits cahiers, tous gribouillés, à moitié achevés lorsqu’ils ne sont pas à peine commencés.


Ces petits cahiers froissés, recouverts de miettes de beignets et de traces de sperme, constituent un chef d’œuvre de politiquement incorrect. Leur humour ravageur tient à la fois à leur audace et au fossé qui les sépare du sérieux de la démarche d’Ignatius et de l’incohérence absurde de ses propos. Ses théories relèvent du surréalisme mais rien n’y fait : Ignatius s’y accroche avec conviction et ne doute jamais une seconde qu’il détient la vérité contre tous.


Personnage buté, grotesque, misanthrope, Ignatius est pourtant revigorant et libérateur. Qui ne lui a jamais été semblable une fois dans sa vie ? Il est le reflet de nos pensées les plus extrêmes, celles qu’on ressent parfois subrepticement avant de les chasser, rattrapés par la bonne couche de vernis policé et civilisé qu’on se doit de s’imposer pour vivre en bons termes avec la civilisation. Ignatius est drôle parce qu’il ose et assume l’insanité de ses convictions. On l’admire parce qu’il est sûr de lui, et on l’envie parce qu’il ne doute jamais et ne démord pas de ses théories, même dans l’adversité. Il est un personnage entier et honnête et même s’il n’a certainement pas les pieds sur terre, il vit dans un monde qu’il est le seul à percevoir de cette manière.


Sans se limiter à Ignatius, les personnages qui l’entourent –sa mère Reilly, son employeur Levy, son amie-ennemie Myrna, le policier Mancuso, le pédérastre Dorian…- constituent des figures secondaires atypiques, complètement anormales elles aussi mais d’une manière plus conventionnelle. Car Toole a ce talent : révéler, à travers l’excentricité d’Ignatius, la folie tout aussi vive qui touche ceux dont les comportements sont pourtant validés par la civilisation. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de la Conjuration des imbéciles : en s’exprimant d’un ton pince-sans-rire, John Kennedy Toole nous fait comprendre qu’Ignatius n’est pas plus dérangé qu’un autre, et il met ainsi en avant toute la folie des comportements contemporains.


Une lecture exaltante et excitante qui nous fait voir le monde à travers le prisme « du bon goût, de la décence, de la géométrie et de la théologie » -valeurs sûres et définitives d’une civilisation qui se respecte.

 

Quelques exemples des fameux écrits répertoriés dans les cahiers d'Ignatius ?

Citation:
« L’humble et vieux paysan, Pierre Laboureur, alla en ville afin de vendre ses enfants aux seigneurs de l’Ordre Nouveau, pour que ces derniers les utilisent à des fins pour le moins douteuses. (Voir Reilly, Ignatius J., Du sang sur les mains : Ce qu’il y avait de criminel dans tout cela, Une étude de quelques abus choisis parmi les plus représentatifs du XVIe siècle. Monographie, 2 pages, 1950, section des livres rares, couloir de gauche, deuxième bibliothèque du mémorial Howard-Tilton, Université de Tulane, La Nouvelle-Orléans, Louisiane. Note : J’ai fait donc de cette monographie singulière à la bibliothèque et la lui ai adressée par la poste. Je n’ai donc aucune certitude quant au fait que le manuscrit ait ou non été accepté. Il risque d’avoir été jeté à la poubelle, parce qu’il était rédigé au crayon, sur du papier de brouillon). Le cercle s’était élargi. La grande chaîne de l’être s’était rompue aussi facilement que la chaîne que forme un idiot à l’aide de trombones. Le nouveau destin de Pierre serait désormais tissé de mort, de destruction, d’anarchie, de progrès, d’ambition et d’amélioration personnelle. Destin hideux s’il en fut : il devait désormais affronter l’ultime perversion : ALLER AU TRAVAIL. »



Citation:

« Si Roswitha était encore parmi nous, nous nous tournerions vers elle pour solliciter ses conseils. Avec l’austérité tranquille de son monde médiéval, la célèbre nonne de Gandersheim exorciserait de son regard pénétrant de Sibylle légendaire les horreurs qui se matérialisent devant nous sous le nom de télévision. S’il était seulement possible de juxtaposer le globe oculaire de cette sainte femme et un tube cathodique, rapprochement facilité par la similitude des formes et des conceptions, à quelles explosions fantasmagoriques d’électrodes n’assisterait-on pas ! Les images de ces enfants lascivement virevoltants se décomposeraient en autant d’ions et de molécules, effectuant la catharsis que réclame nécessairement cette tragédie : la corruption des innocents. »




Une tranche de vie parmi tant d'autres dans la vie d'Ignatius...

Citation:

« Bondissant vigoureusement sur le flanc, Ignatius sentit monter un rot dans sa gorge mais, quand il ouvrit la bouche pleind ‘espoir, il n’émit qu’un hoquet ridicule. Cependant, le mouvement avait produit quelques effets physiologiques. Ignatius tâta la modeste érection qui piquait du nez dans le drap, referma la main dessus, et demeura immobile, cherchant à décider ce qu’il allait faire. Dans cette posture, sa chemise de nuit de flanelle rouge remontée sur la poitrine, son gros ventre saillant sur le matelas, il songea avec quelque tristesse qu’au bout de dix-huit ans de pratique de son violon d’Ingres il avait fini par en faire seulement un acte physique mécanique et répétitif, dépourvu de toutes les frasques de l’imagination et de l’invention qu’il avait autrefois été en mesure d’y apporter. Il n’avait pas été loin de se hausser jusqu’à l’œuvre d’art, jadis, pratiquant son violon d’Ingres avait l’adresse et la ferveur d’un artiste, d’un philosophe, d’un universitaire et d’un gentleman. Il conservait encore, dissimulés dans sa chambre, divers accessoires qu’il avait autrefois utilisés, un gant de caoutchouc, un fragment d’ombrelle de soi, un pot de col-cream. Il avait fini par trouver trop déprimante la nécessité de les ranger une fois que tout était fini. »




Une missive envoyée par Ignatius à un professeur qu'il ne devait certainement pas porter dans son coeur...

Citation:
Votre totale ignorance de ce que vous faites profession d’enseigner mérite la peine de mort. Vous ignorez probablement que saint Cassian d’Imola mourut sous les coups de stylet de ses élèves. Sa mort, martyre parfaitement honorable, en a fait le saint patron des enseignants.
Implorez-le, stupide engeance, minable joueur de golf, snobinard des courts, lampeur de coquetèles, pseudo-cuistre, car vous avez effectivement grand besoin d’un patronage céleste. Vos jours sont comptés mais vous ne mourrez pas en martyr, car vous ne défendez nulle sainte cause –vous mourrez comme le fieffé imbécile, l’âne bâté que vous êtes.
ZORRO.


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12 octobre 2012 5 12 /10 /octobre /2012 17:17







Au début du siècle dernier, Gringoire et Saulnier entreprirent de constituer un répertoire concis et complet de la cuisine française, en hommage au grand cuisinier Auguste Escoffier. Destiné essentiellement aux professionnels de la cuisine, l’ouvrage se présente sous la forme ergonomique d’un répertoire et sur moins de deux cent pages, il cumule un ensemble de près de 7000 recettes. Ce prodige tient à la concision : on ne trouvera ni protocole détaillé, ni illustration. Une entrée, les ingrédients et techniques nécessaires à la réalisation de la recette, et le tour est joué. La forme permet surtout de se remémorer rapidement une recette déjà connue ou de se donner des idées neuves qu’on ira approfondir et découvrir de manière plus détaillée dans d’autres ouvrages.


Cuisine du début du siècle dernier, il y a fort à parier qu’elle ne répondra plus que partiellement aux attentes du gastronome moderne. La place accordée aux fonds de cuisine et à la préparation des gibiers et abats, à des ingrédients devenus aujourd’hui désuets –truffes en tête- ne fera sans doute pas l’objet d’une utilisation courante mais permettra quand même de voyager dans le temps et de se figurer la composition de menus roboratifs, reflet d’une autre époque.







A côté de ces particularismes historiques, on retrouvera bien évidement de grands classiques –recettes de potages, de sauces, de crèmes, de pâtes…- et on découvrira de nouvelles manières d’accommoder les ingrédients de base. L’inventivité donne lieu à un foisonnement de déclinaisons. Un simple artichaut, et vous voici maître de le cuisinier sous forme de beignets, à la boulangère, façon Cussy, Diétrich, Grand Duc, Clamart, à l’Italienne, à la Hollandaise, à la Juive, en gratin, à la mode maraîchère, paysanne, provençale, en purée ou en vinaigrette ! Autant de déclinaisons sont proposées pour les viandes, les poissons et autres légumes. Les desserts réservent quant à eux la part la plus poétique du répertoire. Leur dénomination imagée, accompagnée d’une description succincte, laisse la part belle aux rêveries gourmandes… Imaginez la coupe Gressac, composée de glace vanille surmontée de trois petits macarons imbibés de kirsch, d’une demie pêche retournée dont la cavité serait remplie de groseilles rouges –le tout entouré de Crème Chantilly…


Pratique ou poétique, les deux aspects de ce répertoire se rejoignent souvent et nous rapprochent, par la gourmandise, de nos aïeux du siècle précédent.


Du salé :





Et du sucré :


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10 octobre 2012 3 10 /10 /octobre /2012 20:47
 





Impossible de parler du Quai de Ouistreham sans évoquer la « crise », ce concept vague et indéterminé qui détruit d’une part des structures économiques sur lesquelles on a pu tout parier, mais qui crée d’autre part, du fait de l’inconstance de sa définition, l’émulation de chercheurs en tout genre.


Florence Aubenas, journaliste dépassée par le phénomène, avoue d’emblée ne plus savoir à quoi s’en tenir lorsqu’on lui parle de crise. Comme Simone Weil en d’autres temps, elle décide de s’immerger dans l’environnement des couches populaires les plus défavorisées et d’emprunter la peau d’un travailleur précaire qui cumule les tares : aucun diplôme, aucune expérience professionnelle, pas de situation familiale, pas de voiture… Florence Aubenas ne se laisse aucune chance de faciliter son insertion professionnelle. Dans ces conditions extrêmes, elle se prend de plein fouet les réalités d’un monde professionnel qui ne laisse de répit à personne. Elle se confronte même à des difficultés qu’elle n’imaginait pas devoir évoquer dans son témoignage, comme lorsqu’il s’agit de trouver un logement pratique et décent. Mais dans ce domaine comme dans d’autres, les bonnes places sont déjà prises, et celui qui n’a pas de moyen de locomotion doit se résigner à prendre les transports en commun pour des trajets quotidiens épuisants.


Florence Aubenas s’investit totalement dans son expérience. Elle ne s’accorde aucune dérogation que pourrait lui permettre son véritable statut et laisse sa vraie vie aux vestiaires, allant même jusqu’à dissimuler son identité aux personnes qu’elle rencontre en dehors de son lieu de travail. La folle course à l’emploi débute et emmène Florence Aubenas de la découverte de l’absurdité administrative de Pôle Emploi à la fatigue du cumul de plusieurs emplois mal considérés, mal payés, fatigants et répétitifs –sans oublier les mobilisations de grève, les dimanches à l’hypermarché, et les moments divers passés à l’extérieur avec ces « défavorisés » avec lesquels elle tente de s’identifier. Il en résulte un témoignage dépouillé qui sied parfaitement au mode de vie que cherche à nous décrire Florence Aubenas. On peut connaître certaines facettes des difficultés que rencontrent les travailleurs précaires au quotidien, mais la journaliste réussit ici à en regrouper un large éventail qui résulte à la fois de son vécu au cours de l’expérience, mais aussi du récit des autres travailleurs précaires qu’elle rencontre sur le terrain.

Le bât blesse lorsque Florence Aubenas s’éloigne du simple récit pour mettre en place une sorte de fiction dans laquelle entrent fantasmes et stéréotypes à foison. Les travailleurs précaires que rencontre la journaliste sont ramenés à leur statut social de basse couche populaire ; même si leurs véritables noms ne peuvent pas être évoqués, on regrette que les surnoms que Florence Aubenas leur donne –Mimi, Fanfan…- ne leur confère pas davantage de dignité. Dans la suite de leurs portraits, la journaliste amplifie la caricature en se concentrant exclusivement sur leurs caractéristiques « populaires » ; même si on comprend que l’objectif de Florence Aubenas est de mettre en valeur les particularités d’une certaine couche sociale, on regrette toutefois cette démarche qui transforme son objet d’étude en bêtes de foire assoiffées de télévision, de sandwiches thon-mayo et de promenades en supermarché. Sans doute ces portraits ne sont-ils pas dressés sciemment dans l’intention de dénigrer les personnes étudiées ; au contraire, il semble que ce soit un débordement de bonnes intentions qui force le trait de Florence Aubenas et aboutisse à un résultat qui oscille entre misérabilisme et condescendance.


L’expérience s’arrête le jour où Florence Aubenas réussit enfin à trouver un véritable emploi –cette résolution montre déjà à elle seule toute la distance qui séparait la journaliste des réalités du monde professionnel. Alors que l’avant-propos justifiait l’écriture de ce livre par la volonté de définir plus clairement la notion de « crise », la conclusion élude le sujet. La crise vécue devient encore plus floue que la crise conceptuelle, tellement insignifiante à l’égard du labeur qu’elle nécessite au quotidien qu’elle ne mérite même plus d’être évoquée. Florence Aubenas lâche son lecteur à ses impressions et le laisse se débrouiller pour qu’il tire de la lecture de ce témoignage les leçons qu’il lui plaira. Pour terminer sur une petite note d’optimisme, la journaliste n’oublie pas d’évoquer la cordialité des relations qu’elle a nouées avec d’autres travailleurs précaires. Joie et bonne humeur malgré l’inhumanité des conditions de vie : voilà une bonne leçon de morale à adresser à ceux qui sont mieux lotis et qui peuvent se permettre de retrouver une existence confortable après quelques mois d’immersion laborieuse.


Une des descriptions caricaturales dont Florence Aubenas aime parsemer son texte (sans jamais lui opposer de contre-exemple) :

Citation:
« Je dis : « Comme on est bien sur ce banc. » La dame au pain au chocolat me regarde, étonnée : « Moi, je m’ennuie vraiment avec vous. A cette heure-ci, il y a Faites attention à la marche sur TF1, et ensuite les nouvelles. Parfois, je passe sur une autre chaîne, mais pas souvent. On serait tellement bien devant une télé. Comme elle me manque ! Ca me rend malade. » Si elle osait, elle monterait dans un des immeubles devant nous, sonnerait à une porte et dirait : « Je peux regarder votre télé ? » Les gens n’auraient pas peur, ils verraient bien qu’elle n’est pas dangereuse, elle se ferait toute petite sur le canapé. Ce serait le bonheur. »



Première surprise de Florence Aubenas :

Citation:
« Ma naïveté m’apparaît brusquement. Avec davantage de résolution que d’expérience, je suis venue à Caen chercher un emploi, persuadée que je finirais par en trouver un puisque j’étais prête à tout. J’imaginais bien que les conditions de travail pourraient se révéler pénibles, mais l’idée qu’on ne me proposerait rien était la seule hypothèse que je n’avais pas envisagée. »



Des extraits de sa "nouvelle vie" :

Citation:
« Le gros homme aux petits yeux s’approche avec un sourire. Il m’annonce d’un ton triomphant : « Je viens de marcher là où vous aviez passé la serpillière. Désolée, j’ai tout sali. » Il s’assoit à la table que je viens d’essuyer, pour tremper un gâteau dans son café. Des miettes s’éparpillent. Il renverse du café dedans. Laisse le biscuit dans la flaque et s’en va en disant : « Bon courage ». Je ne suis pas sûre qu’il le fasse exprès. Je le crois même moins méchant que les autres. »
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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 20:44






Tiraillé entre marketing et paranoïa alimentaire, plaisir et recommandations hygiéniques, le consommateur moderne soumis à l’abondance peut se poser des questions légitimes sur la nature des aliments qu’il consomme et les conséquences qu’impliquent les traitements industriels qu’on leur fait subir.


Malgré son titre en demi-teinte, Le lait, ami ou ennemi ? laisse deviner son positionnement sur la question : à partir du moment où le doute apparaît, il n’est plus impossible de ne pas trouver au moins une incrimination à adresser au lait et à ses produits dérivés. Reste à moduler sa propre réception des arguments en fonction de la progression du développement (cherche-t-on à nous convaincre avec des arguments objectifs ou à nous persuader par la force des sentiments ?) et de l’engagement personnel des auteurs (membres de lobbies alimentaires ou thérapeutes orientaux ?).


Natalie et Jean-Marie Delecroix ont reçu une formation à l’homéopathie à la médecine traditionnelle chinoise. Ils sont déjà les auteurs d’autres livres aux titres explicites : L’excès d’acidité, Les huiles essentielles, L’apprentissage de la nutrition au quotidien, 350 préceptes de vie saine… A partir de ces renseignements, on présage déjà de l’engagement des auteurs quant à la question du lait. Pourtant, on découvre avec surprise, au fil des pages, que leur réflexion ne développe pas une diatribe virulente adressée contre la consommation de cet aliment : une telle prise de position aurait parue suspecte d’emblée et aurait discrédité le propos. La façon dont les auteurs étayent leurs preuves est plus subtile et passe par l’exposé d’arguments objectifs accompagnés de petites notes personnelles qui viennent habilement orienter l’opinion du lecteur, en le prenant parfois à la force d’images d’Epinal (c’est de votre faute, consommateur avide, si la belle vache qui broutait dans son champ a dû être enfermée dans des batteries exigües). Le fait est avéré, mais il aurait été plus appréciable de le lire sans que les auteurs nous donnent l’impression d’être des consommateurs mal informés et inconscients de la portée de leurs actes.


Face à des arguments à la fois économiques (les coûts entraînent la disparition des petits cheptels), écologiques, sanitaires et diététiques, le lait est désigné comme l’aliment malsain par excellence. Chiffres à l’appui, la hausse du nombre des cancers et l’épidémie d’obésité sont directement reliés à la consommation accrue des produits laitiers. La modification des conditions de vie globale –hausse de la consommation de viande, de plats industriels, utilisation des O.G.M, des pesticides, pollution urbaine, pollution des domiciles, stress, sédentarité…- n’est pas évoquée par ailleurs et s’efface doucement derrière l’image –de plus en plus effrayante !- des produits laitiers.


Attention, vous risquez de finir comme Elephantman :

Citation:
Le lait de vache contient les informations de croissance du petit veau : +400 kg. Celui de maman ne « dit » pas la même chose. Il contient des prostaglandines et des hormones de croissance adaptées. Avez-vous déjà observé un bœuf de dos, aux côtés d’un homme ? Une nette différence de corpulence et d’expansion tissulaire ! Le lait de vache est adapté aux tissus du petit veau : il fait pousser les chairs donc les tumeurs chez l’homme et il n’est pas anormal de le voir supprimé dans les centres de cancéreux… un peu trop tard.








La lecture finit par devenir rapidement lassante : les auteurs alignent les chiffres et statistiques comme autant de sophismes dénués de toute signification. On apprend peu de choses sur les véritables effets délétères que le lait peut effectivement provoquer sur l’organisme du fait des conditions industrielles qui précèdent sa production. Un peu de science et d’explications concrètes n’auraient pas été de refus et auraient certainement aidé le lecteur à comprendre les mécanismes mis en jeu dans son organisme lors de l’absorption des produits laitiers.


Forts de leur formation en médecine chinoise traditionnelle, les auteurs n’hésitent pas à mettre en comparaison le mode de vie occidental (malsain) avec le mode de vie oriental –on n’évite pas une énième évocation du mythe de l’archipel d’Okinawa. Tout végétaux et tout céréales, ils prennent le lecteur pour un morfale avide de chips et de fromages qu’il grignote devant sa télé avant d’aller pioncer, et lui recommandent de laisser tomber son mode de vie dégénéré pour se convertir à la douceur d’un petit-déjeuner composé de crème miracle DEJENA -dont le principal attrait est de n’être pas disponible dans le commerce (graines de courges, huile de première pression à froid de noisette, banane, graines germées, amandes, « bonnes » céréales, lait de riz, huile essentielle de citron, figues, huile de nigelle, crème de soja, sirop d’agave…).


Après s’être longuement fait rappeler son statut de destructeur du monde et de ses ressources naturelles, le lecteur trouvera une seconde partie dans laquelle sont énumérés tous les produits laitiers et leurs variations. Fromages, crèmes, laits, yaourts et beurres sont déclinés sous toutes leurs formes, accompagnés d’un petit descriptif de quelques lignes qui se concentre avant tout sur leurs caractéristiques nocives –taux de matières grasses en tête. Cette énumération plate qui n’apprendra rien à personne est aussitôt suivie d’une troisième partie, consacrée cette fois aux produits « laitiers » végétaux. La forme de la présentation reste la même, mais les descriptifs, cette fois, mettent l’accent sur les caractéristiques positives des produits –minéraux et bonnes graisses en tête.


La dernière partie du livre propose un petit recueil de recettes préparées à base de laits végétaux. Elles permettront au lecteur nouvellement conquis à la cause de ces produits de cuisiner ses plats habituels (crêpes, gâteaux et crèmes) afin que la transition ne soit pas trop difficile.


Il y a du vrai dans le propos de ce livre ; ainsi, il serait certainement recommandé de troquer de temps en temps les produits laitiers animaux pour des produits laitiers végétaux. Il est dommage toutefois que les auteurs de ce livre tentent de nous le faire comprendre par le moyen de la manipulation sentimentale –culpabilisation en tête. De toute façon, on sortira déçu de la lecture de ce livre qui ne propose aucune explication rationnelle quant aux phénomènes induits par la consommation de ces produits sur l’organisme, et qui se contente de laisser flotter le consommateur dans son éternelle sphère d’incertitudes et de contradictions.
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6 octobre 2012 6 06 /10 /octobre /2012 17:17





L’amour et la haine se divise en deux parties apparemment antagonistes mais finalement complémentaires : La haine, le désir de possession et l’agressivité de Joan Riviere, et L’amour, la culpabilité et le besoin de réparation de Mélanie Klein.


En 1937, dans un climat d’ébullition politique, la psychanalyse se tourne vers l’humain et analyse ses sentiments et leurs sources de motivation. L’amour et la haine, deux sentiments puissants desquels semblent découler l’infinité des autres sentiments qui ne seraient que leur variation, sont analysés et confrontés avant d’être finalement réunis dans leur complémentarité. C’est pourquoi le livre est séparé en deux conférences distinctes qui permettent de mieux mettre en valeur leurs différences et le moment où, dans leurs apogées, haine et amour trouvent un élan moteur identique.


Joan Riviere commence par évoquer l’agressivité et cherche à expliquer les raisons de l’existence d’un tel sentiment. Le postulat de base est le suivant : pourquoi, dans un monde où les agressions objectives sont finalement bien rares, l’être humain se sent-il si souvent menacé ? La responsabilité de chacun est mise en jeu dans cette nouvelle façon de considérer le comportement de l’agressivité. En revenant aux sources de l’enfance, Joan Riviere se penche sur les conséquences qui découlent du sentiment de dépendance du bébé à l’égard de ses proches. La manière dont sera vécue cette dépendance influencera la force de la projection agressive du bébé sur les êtres et les choses qui l’entourent et modèlera son comportement futur. Cette projection est dotée de plusieurs caractéristiques : la dispersion –qui évite que la haine se concentre sur un seul objet- ou le rejet. Plusieurs comportements découlent de cette réaction et en plusieurs parties, Joan Riviere aborde le mépris, l’envie, le désir de possession, la jalousie ou encore l’amour du pouvoir.


Mélanie Klein vient à la suite de cette première partie pour s’intéresser à l’origine de l’amour. En évitant de considérer ce sentiment comme naturel, elle en fait le corolaire lumineux de la haine. Le bébé est de nouveau considéré comme un être humain à part entière, doté d’une sensibilité toute-puissante qui conditionnera son comportement des années à venir. Dans la partie précédente, la dépendance était évoquée. Ici, l’objet de la dépendance est nommé : il s’agit du sein et de la tendresse maternelle. Si la dépendance entraîne la haine, le sentiment de départ est celui d’un bien-être qui fera naître un attachement –postulat de l’amour. Le bébé –plus tard l’adulte- se trouve alors déchiré entre cet amour originel et la haine qu’il éprouve à l’égard de l’objet de son attachement. De là apparaît une culpabilité inconsciente qui se traduit dans les actes par un besoin de réparation. L’amour devient visible et se traduit en gestes ou paroles.


Cette dualité entre haine et amour conditionne une grande partie du comportement de l’être humain. Son histoire psychique expliquera ses futurs choix amoureux, et son identification au père ou à la mère fera de lui un parent modèle ou non. A ce stade du développement de la pensée de Mélanie Klein, on ne peut s’empêcher de grincer des dents : sa réflexion est encore bourrée de poncifs propres au début du 20e siècle. La famille se décline selon la sacro-sainte composition du père, de la mère, des frères et des sœurs. Au-delà de ce modèle, il semble que l’enfant n’existe pas et le cas de son développement personnel n’est pas évoqué. De plus, on retrouve les vieux poncifs de la psychanalyse de Freud, complexe d’Œdipe, recherche du pénis et vénération de la mère porteuse en vrac :


« Dans l’ensemble, les hommes ont plus d’assurance que les femmes. L’homme possède un organe sexuel externe qu’il peut voir et il sait qu’il fonctionne. Les femmes ne peuvent pas être rassurées quant à leurs aptitudes d’une façon aussi évidente. Pour cela, les filles doivent attendre de nombreuses années. Ce n’est qu’après que l’homme ait joué son rôle et qu’un enfant soit né qu’elles obtiennent la preuve absolue de leurs aptitudes sexuelles. »


La réflexion redevient intéressante lorsque Mélanie Klein s’éloigne du strict sentiment amoureux pour aborder le cas des amitiés, l’origine des sentiments altruistes ou généreux et, plus largement, l’amour étendu aux choses –qu’il s’agisse de la puissance créatrice ou de l’amour matériel. Quid, enfin, de l’amour de soi-même, résultante de toutes les composantes précédentes et aboutissement ultime du plaisir et du sens qu’un être humain saura donner à son existence.


Il faut sans doute replacer ce recueil dans son contexte pour admirer toute son audace. Alors qu’il est si facile de désigner autrui pour identifier les forces du mal, Mélanie Klein et Joan Riviere trouvent une explication rationnelle à l’origine du sentiment d’agression qui motive la haine et les sentiments eux-mêmes agressifs ressentis par l’individu. Quelques défauts inhérents au contexte psychanalytique du moment et à l’emprise des concepts les plus vivaces ne sauront diminuer la portée de cette réflexion courageuse qui donne à l’individu souffrant les moyens d’identifier les causes de son mal-être. Si cette démarche ne le transformera pas radicalement, elle lui donnera toutefois les moyens d’améliorer son existence, ainsi que Mélanie Klein le conclut superbement :


« Si, au fond de notre inconscient, nous sommes devenus capables d’effacer dans une certaine mesure les griefs ressentis contre nos parents, nous pouvons alors être en paix avec nous-même et aimer les autres dans le vrai sens du mot. »

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