Au premier abord, la RDA présentée par Christian Petzold n’a pas l’air d’être la destination touristique préférée des hommes habitués au confort de leur liberté moderne. A peine arrivée sur ces
territoires de l’espionnage et de la méfiance réciproques, Barbara est observée depuis une fenêtre par André, le médecin-chef de l’hôpital au sein duquel elle va faire ses premiers pas. Ici, on
se découvre plus dans l’observation des gestes et des comportements que dans les paroles. Les mots semblent vouloir piéger lorsqu’ils se transforment en question, et ils servent à poser des
barrières entre les individus lorsqu’ils forment une réponse. Finalement, il est plus facile d’éviter d’y avoir recours. Barbara se coupe volontairement de tout rapport avec ceux de son entourage
qui ne semblent pas pâtir des règles en vigueur dans la RDA : ses voisins, ses collègues, et surtout André. En revanche, elle cède totalement à la compassion lorsqu’il s’agit de victimes : les
échoués de l’hôpital, auxquels elle s’identifie avec une passion qui finit par devenir plus bavarde que n’importe quelle confession personnelle.
Ici, on relève deux failles qui agacent un peu : l’économie des mots qui oblige à la multiplication des scènes chargées de sous-entendus ; le caractère stéréotypé des personnages secondaires. Si
Barbara et André sont des personnages bien travaillés et dont l’ambivalence se révèle peu à peu avec beaucoup de subtilité, ce n’est pas le cas des personnages qui gravitent autour d’eux, et qui
sont souvent réduits à un trait caractéristique.
En cherchant à tout prix à taire ce qui a trait au passé de Barbara, le réalisateur commet également l’erreur de rendre son dilemme amoureux improbable. A la chaleur et à la joie des
retrouvailles dans les bois, on imagine que Barbara et son amant Jörg, heureux habitant de l’Ouest, se connaissent depuis de nombreuses années et tiennent sincèrement l’un à l’autre. Mais les
hésitations qui surgissent immédiatement lorsque Jörg propose à Barbara de passer à son tour sur le territoire de l’Ouest, et le rapprochement qu’elle effectue entre sa situation et celle d’une
prostituée, nous permettent de douter de la qualité de leur relation. Quoi qu’il en soit, le revirement subi de Barbara, qui exclut toute possibilité d’une vie commune avec Jörg en RFA pour
privilégier l’hypothèse d’une relation avec cet André, qu’elle connaît finalement bien peu, apparaît comme un choix absurde et absolument pas convaincant. Presque à faire passer les envies de
fuir la RDA pour des caprices de gosses habitués au faste et au confort du monde capitaliste, alors qu’il serait si simple d’être heureux, de vivre d’amour et d’eau fraîche dans cette société où
tout le monde espionne tout le monde –mais bien sûr, André et Barbara sont des exceptions, et ils ont eu la chance de se rencontrer…
Pourquoi pas… Après tout, la RFA et la RDA n’appartiennent pas au domaine de mon vécu. Mais j’ai quand même des doutes en ce qui concerne l’innocuité de la RDA. Dans le fond d’ailleurs, Christian
Petzold semble ne pas vouloir les démentir lui qui fait tout pour plonger son film dans une ambiance froide et déshumanisée. Dans ce cas, souhaite-t-il nous dire que de l’autre côté du mur, la
réalité est encore plus inhumaine ? Cela signifierait que Barbara est un monstre, qui envoie sa protégée Stella au Danemark tandis qu’elle reste fricoter avec André.
Beaucoup d’incohérences pour un film qui prétend pourtant au sérieux… La représentation du climat social et politique d’une région à un endroit donné, évoquée à travers le prisme d’une histoire
d’amour prévisible et pas franchement excitante, me semble disproportionnée et mal adaptée au propos. En tout cas, si on ne connaissait pas la RDA, ce film donnerait presque envie d’y rester…
sans toutefois nous empêcher de nous dire qu’on fait peut-être là une grossière erreur…