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16 mai 2013 4 16 /05 /mai /2013 13:58



Après le Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, les deux romans qui ont assis la réputation de Louis-Ferdinand Céline, il semblerait que celui-ci ait tout dit. Oui mais voilà, son éditeur Gallimard lui presse le trognon pour qu’il extirpe de ses tripes une nouvelle fournée de petits pains brûlants. Céline aurait pu refuser, mais il a besoin de manger et de boire, comme tout le monde, et ce n’est pas sa triste fonction de médecin généraliste qui va lui fournir de quoi prolonger la durée d’une existence décente : ses patients pauvres n’ont pas le sous pour le payer, tandis que les plus huppés le méprisent pour sa condition et essayent d’échapper à leurs créances à chaque fois qu’ils le peuvent. Céline est donc obliger de consentir à la demande de son éditeur. Et ça l’énerve, puisqu’il ne semble plus avoir beaucoup de choses à raconter. Cette situation constituera justement le point de départ D’un château l’autre. Et de gueuler contre l’éditeur avide des gains espérés, et de gueuler contre sa patientèle ingrate, et de gueuler contre les écrivains célèbres rangés à la même enseigne que lui…Lorsqu’il vitupère, Louis-Ferdinand Céline est toujours exaltant : on se demande quels néologismes vont lui inspirer ses rancœurs et jusqu’à quels sommets ses énumérations rageuses vont parvenir. Et ce goût du lecteur, Céline le connaît. Sans doute aussi méprisant envers lui qu’envers ses patients, il lui balance en travers de la figure des envolées haineuses et ricanantes à ne plus pouvoir s’arrêter. Là où autrefois, ses emportements semblaient légitimes et motivés par des convictions sincères, ils deviennent ici figure de style, marque apposée de l’écrivain Céline. On le lit s’emporter contre n’importe qui, sans raison, dans une apparence de gratuité qui passe totalement à côté de l’effet désiré :


« […] elle avait rien vu !... bluffeuse, simagreuse, fille à flics !... donneuse !... tout le palier approuvait bien qu’elle était provoqueuse, moucharde, pétasse à bourriques ! et c’est tout !... qu’il était temps que les noirs arrivent, la scalpent ! lui coupent le bouton !... qu’elle se tairait, après ! »


Peut-être pourrait-on penser que Louis-Ferdinand Céline s’est vraiment laissé dégoûter par la vie et par ses semblables depuis la parution de ses derniers romans –ce qui confèrerait alors un surplus de légitimité à ses diatribes incessantes. Mais les réflexions qu’il fait tourner autour de lui-même font naître le doute : un écrivain qui réfléchit autant à la réputation que lui ont apporté ses romans et qui se déçoit de ne recevoir pas davantage de reconnaissance, un écrivain qui se demande toutes les dix pages ce que ses lecteurs peuvent bien attendre de lui dans ce nouveau roman, peut-il réellement éprouver du mépris pour ses semblables ?


« Personne m’a pardonné le Voyage… depuis le Voyage mon compte est bon !... encore je me serais appelé Vlazine… Vlazine Progrogrof… je serais né à Tarnopol-sur-Don… mais Courbevoie Seine !... Tarnopol-sur-Don j’aurais le Nobel depuis belle !... mais moi d’ici, même pas séphardim !... on ne sait où me foutre !... m’effacer mieux !... honte de honte !... quelle oubliette ? quels rats supplier ? La Vrounze aux Vrouzains !... »



Il paraît cependant qu’outre ces larmoiements, il y ait une histoire dans D’un château l’autre. En effet, au cours de la lecture, on prend vaguement conscience que Céline nous emmène de son piteux logement de centre-ville et de sa piètre profession de médecin à la description de la vie se déroulant dans le château de Sigmaringen. Ici, ce sont les membres du gouvernement de Vichy qui se sont reclus en exil. On retrouve, entre autres figures historiques : le Maréchal Pétain, Pierre Laval ou encore Otto Abetz, tout occupés à nourrir leurs idéaux périmés et à forniquer dans l’insalubrité la plus complète. Après la description de l’indécence qui surplombe la vie de ses semblables « populaires », Louis-Ferdinand Céline prend un malin plaisir à rabaisser les grandes figures historiques pour les ramener à leur véritable nature protoplasmique. Pas de jaloux : les grands comme les petits sont logés à la même enseigne.


Pour pallier à ce fond qui manque de consistance, malheureusement, Louis-Ferdinand Céline a (trop) réfléchi sur la forme de son nouveau roman. Le style « Céline », ah ! tout le monde connaît –aime ou déteste- mais il faut apporter un peu de variation pour retenir l’attention d’un peuple de lecteurs par nature versatile. Attention à la farandole des « points d’exclamation suivi de leurs points de suspension ». Au début, on espère que ce tic convulsif ne sied qu’à un certain discours qui aura tôt fait de se conclure. Mais les pages se tournent (avec difficulté) et ne laissent plus le moindre espoir que cette manie prenne fin.


« Encore mes rancœurs !... vous m’excuserez d’un peu de gâtisme… mais pas tellement que je vous lasse !... moi et mes trois points !... un peu de discrétion !... mon style, soi-disant original !... tous les véritables écrivains vous diront ce qu’il faut en penser !... et ce qu’en pense Brottin !... et ce qu’en pense Gertrut ! mais l’épicier ce qu’il en pense ?... voilà l’important !... voilà ce qui me fait réfléchir !... »


Jusqu’à présent, je n’avais jamais compris la fatigue que pouvaient éprouver certains des lecteurs de Louis-Ferdinand Céline. Le Voyage au bout de la nuit était majestueux –comment pouvait-on s’arrêter sur quelques détails qui ne pouvaient en aucun cas nuire au propos de ce livre ? Mais après avoir lu D’un château l’autre (lecture qui ressemble davantage à une lutte contre l’auteur qu’à une cohésion avec ses pensées), je comprends l’énervement qu’il a pu susciter et, avec Jean Renoir, j’approuve cette considération :


« M. Céline fait beaucoup penser à une dame qui aurait des difficultés périodiques ; ça lui fait mal au ventre, alors elle crie et elle accuse son mari. La force de ses hurlements et la verdeur de son langage amusent la première fois ; la deuxième fois, on bâille un peu ; les fois suivantes, on fiche le camp et on la laisse crier toute seule. »



Tout ça ne donnerait pas envie de se frotter de nouveau à l'écrivain, si le souvenir de Voyage au bout de la nuit ne restait pas aussi puissant.

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commentaires

E
Selon un certain Stéphane Zagdanski, dans une émission diffusée sur Arte en 2011 les pamphlets de Céline sont des « textes très drôles, étonnants de comique »,propos qu’il répète en espérant qu’ils produisent un sens.La thèse très célinienne de l’écrivain clown,paranoïaque et délirant est grotesque.Cette émission est un tissu d’erreurs,de contre-vérités,un galimatias de non-sens inspirés par un inquiétant aveuglement.Cet aveuglement,très célinien également,est délirant,débilitant,nocif,dangereux.Il porte un nom :l’antisémitisme.Les « pamphlets » de L.F. Destouches ne sont pas « stupéfiants » mais criminels.Non « Bagatelles pour un massacre » n’est pas un « traité de style » :selon LF.Destouches la littérature c’est de la merde et,pour la bien pratiquer,il conviendrait de « bien chier » (« chie pas juste qui veut »).Est-ce une position esthétique ?Non,c’est la volonté de promouvoir un projet esthétique inspiré par l’abjection.Non,l’histoire du XXème siècle n’est pas un « délire »,la littérature ne l’est pas davantage. « Un écrivain, un génie est en lutte contre son époque, il ne collabore pas avec son époque, il ne fait pas confiance à son temps »ajoute M.Z.Ce M.Z.est visiblement peu informé et se laisse aveugler par son amour pour ledit Céline qui échappa au poteau d’exécution parce qu’il prit la fuite, la « merde au cul »….Il est attesté que M.LF Destouches a été un collaborateur actif et zélé des nazis (agent du Sicherheitsdienst ou SD dirigé par Heydrich) et a même appelé au meurtre de différents écrivains parmi lesquels Robert Desnos, assassiné dans le camp de Terezin.Robert Desnos, lui, a résisté à son temps avec un courage exemplaire et l’a payé de sa vie..L’antisémitisme, indissociable de la haine de l’Occident démocratique, a été une affaire très sérieuse,la seule sans doute,pour Céline :si on l’occulte il reste bien peu de choses de son « œuvre ».Pour ma part je préfère amplement la truculence langagière de Rabelais ou celle de Clément Marot.Certains voudraient à toute force réhabiliter Céline pour des raisons peu avouables.Qu’ils se rassurent : Céline est bien parvenu à se hisser au sommet d’un seul podium, celui des plus grands écrivains racistes et antisémites de tous les temps.
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B
Au passage, le pseudonyme (le mien) est toujours Bardamu, j'ai fait une faute.
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C
Quelle hargne subite...<br /> Je vous ai écrit que je n'ai lu que le Voyage, ce livre-ci et Casse-Pipe... Comment aurais-je connaître les propos qu'il a écrits dans ses pamphlets ? ...
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H
Tant de hargne répondant à tant de… oserais-je dire &quot;naïveté&quot; ? Il faut dire que lire Céline sans connaître ses positions antisémites forcenées, c'est du jamais vu. Ou de la mauvaise foi car, je m'excuse, mais il est très clair que Céline est une ordure quand on lit «D'un château l'autre» («Les Juifs, après tout, ont moins souffert que les collabos», «Pétain est le dernier roi de France (…) Philippe le Dernier» etc.). Si vous ne l'avez pas remarqué, je vous conseille non seulement de relire le livre mais de vous documenter sur l'auteur, sur des ouvrages comme «Bagatelles pour un massacre», «L'Ecole des cadavres» et «Les Beaux draps» et, accessoirement, de voir le documentaire «Voyage au bout de Céline» disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=Dz2QmHzkjYc
C
Merci Bardamu pour ces interventions. Je comprends mieux votre point de vue et l'intérêt qu'on peut trouver à ce livre ou à Casse-Pipe. Il faut sans doute posséder une oreille musicale avertie, ce qui n'est pas mon cas, arriver à lier la forme de l'écriture et l'émotion qui la sous-tend. Je ne détiens pas cette sensibilité particulière et c'est la raison pour laquelle je reste trop loin de ces romans de Céline. Mais je comprends cependant tout à fait votre enthousiasme.<br /> Je n'avais pas remarqué que D'un château l'autre était écrit sans un seul point final en 300 pages... c'est effectivement une forme de prouesse. <br /> Hormis le Voyage, d'Un château l'autre et Casse-Pipe, je n'ai rien lu d'autre de Céline. Quant à ses opinions politiques, je ne les juge pas car il est beaucoup trop facile de condamner à la distance du 21e siècle que de se demander quelles auraient pu être nos opinions politiques dans le contexte du début du 20e siècle.
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P
Il est tout à fait inexact de dire qu'il n'y a aucun point final dans "D'un château l'autre". J'en suis à la page 80, et j'en ai déjà relevé deux. Ces affirmations -sans grand intérêt d'ailleurs- sont d'autant plus irritantes lorsqu'elles sont fausses.<br /> "J'allais pas expliquer ça là•" p.63<br /> "Je me marre comme Émile raconte•" p.99
B
&quot; Quant à ses opinions politiques, je ne les juge pas car il est beaucoup trop facile de condamner à la distance du 21e siècle que de se demander quelles auraient pu être nos opinions politiques dans le contexte du début du 20e siècle.&quot; Là je crois ne pas rejoindre votre discours à la &quot;Lacombe Lucien&quot;.<br /> Car Louis-Ferdinand Céline avait largement le choix entre résister, collaborer, soutenir les nazis ardemment ou ne rien faire. Il n'était pas inquiété (comme Maurice Sachs par exemple). Il aurait pu se taire. Mais depuis 1936, depuis les mauvaises critiques de &quot;Mort à crédit&quot;, il est devenu un antisémite notoire, attribuant les mauvaises critiques de son livre aux Juifs. D'où &quot;Bagatelles pour un massacre&quot;, &quot;Les Beaux draps&quot; et &quot;L'École des cadavres&quot;. Vous ne les jugez pas ? Vous ne jugez pas donc Pétain, ni Barbie, ni Mengele, ni aucun nazi ? Cela me paraît bien &quot;wishy washy&quot; comme on dit en anglais, et même assez peu courageux. Car Céline n'était pas collabo : pour lui, Vichy ne tuait pas assez de Juifs. &quot;Il faut saigner les Juifs (…) je les tuerais tous sans coup férir&quot; écrit-il dans &quot;Bagatelles pour un massacre&quot;. Et vous ne jugez pas ? Eh bien dites donc ! J'ai presque envie de dire que votre anémie critique est dangereuse! <br /> Ensuite les prises de position répugnantes de Céline ne s'arrêtent pas à la Seconde Guerre : jusqu'à sa mort, il continue de soutenir les vieux nazis, a une correspondance avec des SS planqués, soutient les premiers négationnistes (Rassinier par exemple, et &quot;Le Complot d'Ulysse&quot; qui sort en 1950) et reste donc jusqu'à son dernier soupir, un nazi, un antisémitisme et un paranoïaque convaincu et borné.<br /> Nous n'avons pas attendu le XXIe pour juger cette ordure : son procès a eu lieu dès qu'il fut rapatrié en France après son séjour en prison (bien fait !) au Danemark.<br /> En ne jugeant pas monsieur Colimasson, vous vous mettez dans une neutralité fort peu sympathique qui pourrait passer pour du soutient envers la Collaboration.<br /> <br /> Je vous saurais gré de me prouver le contraire,<br /> <br /> Bardamu.
B
Bonjour monsieur Colimasson,<br /> J'ai lu votre critique avec intérêt et je remarque que dans vos lignes très intéressantes (et c'est rare de nos jours avec toutes ces flopées de blogs littéraires (ou qui tentent de l'être) insipides) vous avez omis plusieurs points capitaux pour comprendre ce chef d'œuvre que constitue à mes yeux «D'un château l'autre», tout comme le constituent d'ailleurs tous les romans de Céline sans exception. Et même sa fabuleuse pièce de théâtre, «L'Église». Mais passons !<br /> Vous oubliez donc dans votre article la principale motivation de Céline pour écrire ce roman à charge, et c'est non seulement un sentiment d'injustice, mais aussi un sentiment de profonde jalousie de cet écrivain marginal puisque nazi (non pas collabo, mais hitlérien convaincu jusqu'à son dernier souffle) et relégué au second plan qui n'est en fait tout simplement rien d'autres que jaloux comme un pou d'un André Malraux ou d'un François Mauriac qui eux, glanent des prix Nobel et autres Goncourt dont Céline rêve nuit et jour. C'est pourquoi il déclare vouloir pendre “Malraux et Mauriac à la même corde !”. <br /> Voilà tout de même je pense la base des séquences les plus violentes du livre qui, par ailleurs, a mérité son statut d'œuvre controversée, puisque dans certains passages, Céline compare Pétain à un roi (“Philippe le Dernier”), s'extasie devant la diplomatie de Laval, dit que les Juifs ont moins souffert que les collabos et que Truman et Hitler, au bout du compte, c'est kif kif bourricot !<br /> Ça ais-je envie de dire, c'est Céline, on ne le changera pas et on peut même lire à la rigueur les passages les plus abjects du roman secoué d'un rire jaune qui était le nôtre quand Céline comparait les noirs à des fourmis dans «Voyage au bout de la nuit».<br /> Je pense aussi que «D'un château l'autre» mérite un autre traitement que celui que vous lui livrez parce qu'il est l'un des rares livres de la langue française à ne pas comporter je crois le moindre point final en plus de 300 pages. Perec a écrit un livre sans la lettre &quot;e&quot;, Sollers un livre entier avec une seule phrase («Paradis»), Céline un livre entier sans point final. Une vague de fureur et de colère dirigée contre une société de ploutocrates et de communisses soit disant injustes et meurtriers comme pas deux. <br /> La rancœur de Céline est fascinante, tout comme sa façon de se démener. C'est ce qui fait toute la qualité et la vie de son texte, qui soulève un épisode de la Collaboration trop peu connu avec force détails croustillants et pittoresques.<br /> <br /> Du grand Céline de mon point de vue.<br /> <br /> Question subsidiaire : qu'avez-vous lu de l'auteur mis à part &quot;Voyage&quot; ?<br /> <br /> Bardamu.
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P
J'ai répondu à Colimasson concernant une certaine affirmation, alors que vous en êtes l'auteur. Je vous la colle ci-dessous.<br /> Il y a précisément des points finaux dans le texte. Pas par hasard. Ils mettent en place une rupture dans le récit, et, étant fort rares, n'en dont précisément que plus importants.<br /> L'analyse littéraire est un métier, il serait souhaitable de s'en souvenir a une époque où il est de bon ton de tirer à boulets rouges sur les universitaires, et une mode pitoyable de s'improviser critique lorsque l'on n'en maîtrise pas les savoirs ni les techniques.<br /> Ainsi va la litté-rature sur l'internet, où, comme en médecine, tout un chacun débite sans rougir des informations inexactes, sans le moindre du monde s'inquiéter d'induire en erreur les lecteurs.<br /> Pour information, j'ai lu tout Céline, y compris lettres, courriers et notes. Les pamphlets, d'un style pitoyable et d'une haine fastidieuse me dont vite tombé des mains...<br /> <br /> Il est tout à fait inexact de dire qu'il n'y a aucun point final dans "D'un château l'autre". J'en suis à la page 80, et j'en ai déjà relevé deux. Ces affirmations -sans grand intérêt d'ailleurs- sont d'autant plus irritantes lorsqu'elles sont fausses.<br /> "J'allais pas expliquer ça là•" p.63<br /> "Je me marre comme Émile raconte•" p.99