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25 novembre 2013 1 25 /11 /novembre /2013 09:44



Là où Zola passe, la sérénité trépasse.
La vie à Plassans, petite ville tranquille inspirée sur le modèle d’Aix-en-Provence, se déroule dans une relative paisibilité. Une fêlure se présente toutefois depuis l’acquisition du bourg par les légitimistes, suite aux intrigues qui s’étaient déroulées dans l’épisode fondateur de la série. Avant que Plassans ne se recroqueville à nouveau sur elle-même pour s’endormir, Emile Zola lui envoie l’abbé Faujas. Derrière ses airs discrets, malgré son apparent refus de la mondanité et des éclats populaires, ce prêtre bonapartiste, envoyé par le pouvoir pour reconquérir la ville de Plassans, sèmera bientôt une douce zizanie entre les familles et les groupes politiques. La famille des Rougon intervient encore une fois directement puisque cet abbé de mauvais augure loue une chambre de la maison dans laquelle logent François Mouret, ses trois enfants et son épouse Marthe, fille de Pierre et de Félicité Rougon.


Dans un premier temps, les sentiments qui animent l’intérêt de la famille tiennent essentiellement de la curiosité. L’écart temporel qui sépare notre époque de celle d’Emile Zola devient particulièrement frappant dans ce volume de la série : alors que l’arrivée de l’abbé remuait hier les fantasmes, les craintes et la fascination des voisins, le lecteur d’aujourd’hui ne voit là qu’un banal personnage, ni meilleur ni pire que les autres, ne méritant sans doute pas tous les éclats que la suite du roman nous exposera. Avouons toutefois que l’époque ne change rien à cette observation : un nouveau voisin qui demeure reclus chez lui et qui semble vouloir éviter tout contact mondain attire forcément l’intérêt de ses congénères. L’abbé cache-t-il un secret ? Quelles sont ses pensées ? Quelles sont ses intentions ? Pourquoi a-t-il voulu s’installer à Plassans et quel mauvais secret cherche-t-il à fuir ? Toute la première partie du livre servira à résoudre cette intrigue et dans un duel qui finira par détruire leur famille, François et Marthe cherchent tantôt à intégrer l’abbé dans leur foyer, tantôt à l’en éloigner lorsque les dégâts commencent à devenir trop visibles. D’ailleurs, l’abbé n’est jamais directement coupable du moindre mauvais acte ; ce sont les personnes qui gravitent autour de lui qui, à cause de leurs intérêts personnels, finissent par détruire toutes les fondations de vies longuement construites.


La répulsion et la fascination ne sont pas si étrangères que ça l’une à l’autre et lorsque l’abbé Faujas commence à cheminer parmi les foules mondaines, la liesse des habitants de Plassans devient incontrôlable. Peut-être suffisait-il seulement de suivre ce conseil pour dominer sans qu’il n’y paraisse toute une ville : « Retenez bien ceci, plaisez aux femmes, si vous voulez que Plassans soit à vous ». L’abbé Faujas s’échappe alors du contrôle de François et de Marthe. L’enthousiasme passe de leur foyer à Plassans toute entière et l’abbé, tout pleutre, maladroit et timide qu’il apparaissait au début du livre, démontre alors des prodiges de malversation et de manipulation pour mener à bien son intrigue politique. Pendant ce temps, le foyer de François et de Félicité finit complètement par s’étioler, la folie et la maladie s’abattant sur les têtes de la famille comme la condamnation éternelle de cette lignée maudite.


La conquête de Plassans a sans doute perdu de son actualité immédiate. Cet épisode paraîtra sans doute plus éloigné au lecteur d’aujourd’hui que les autres épisodes de la série. Toutefois, Emile Zola réussit encore une fois à dégager une visée universelle de ses intrigues en se basant paradoxalement sur la prolifération des détails psychologiques qui caractérisent ses personnages. Si l’on oublie les intrigues cléricales et politiques, cette Conquête de Plassans devient un livre aiguisé dénonçant les manipulations de toutes formes, la dévotion aveugle et la cupidité sans morale. Rien que du très connu, certes, mais Emile Zola prend son temps pour décrire les ravages de ces mœurs et la tragédie n’en est que plus foudroyante et imprévisible. Si le leitmotiv de l’écrivain est le suivant : « La vie entière, c'est fait pour pleurer et pour se mettre en colère », il apparaîtra encore une fois de manière éloquente dans le cheminement fatal de la branche des Rougon.



Citation:
[La chambre] sentait le prêtre, pensait-il ; elle sentait un homme autrement fait que les autres, qui souffle sa bougie pour changer de chemise, qui ne laisse traîner ni ses caleçons ni ses rasoirs. Ce qui le contrariait, c’était de ne rien trouver d’oublié sur les meubles ni dans les coins qui pût lui donner matière à hypothèses. La pièce était comme ce diable d’homme, muette, froide, polie, impénétrable. Sa vive surprise fut de ne pas y éprouver, ainsi qu’il s’y attendait, une impression de misère ; au contraire, elle lui produisait un effet qu’il avait ressenti autrefois, un jour qu’il était entré dans le salon très richement meublé d’un préfet de Marseille. Le grand christ semblait l’emplir de ses bras noirs.



Citation:
Eh bien ! vous avez tort de vous négliger. C’est à peine si votre barbe est faite, vous ne vous peignez plus, vos cheveux sont ébouriffés comme si vous veniez de vous battre à coups de poing. […] Vous compromettez votre succès.
Il se mit à rire d’un rire de défi, en branlant sa tête inculte et puissante.

- Maintenant, c’est fait, se contenta-t-il de répondre ; il faudra bien qu’elles me prennent mal peigné.

Plassans, en effet, dut le prendre mal peigné. Du prêtre souple se dégageait une figure sombre, despotique, pliant toutes les volontés. Sa face redevenue terreuse avait des regards d’aigle ; ses grosses mains se fut levaient, pleines de menaces et de châtiments. La ville fut positivement terrifiée, en voyant le maître qu’elle s’était donné grandir ainsi démesurément, avec la défroque immonde, l’odeur forte, le poil roussi d’un diable. La peur sourde des femmes affermit encore son pouvoir. Il fut cruel pour ses pénitentes, et pas une n’osa le quitter ; elles venaient à lui avec des frissons dont elles goûtaient la fièvre.



*photo de Jessica Craig Martin : quoi ? c'est un peu anachronique ? oh, si peu...

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commentaires

D
Même si ce n'est pas le plus passionnant de la série j'avais aimé ce roman là<br /> je ne le trouve pas si éloigné de nous quand on voit à quelle bassesse, quelles invectives et quels mensonges sont prêts les politiques aujourd'hui !!
Répondre
C
<br /> <br /> Pour la critique des méthodes politiques, ce roman est même, encore, très actuel. Mais il l'est beaucoup moins pour le lien entre religion et politique... à moins que ce ne soit qu'une apparence<br /> ?<br /> <br /> <br /> <br />