Les adaptations d’œuvres littéraires unanimement reconnues pour leurs qualités ne sont pas des projets risqués. Lorsque cette adaptation s’inspire d’un livre de Jack London, elle
l’est encore moins (essayez plutôt d’adapter en bande dessinée un livre comme
Orlando de Virginia Woolf par exemple…) Avec Jack London, la transposition du texte
au dessin suscite moins d’interrogations. La haute teneur du récit en actions, en lieux et en personnages clairement définis offre des valeurs sûres qui constituent une base
stable. Mieux encore : en choisissant Jack London comme support d’une adaptation, Riff Reb’s s’est également assuré un support littéraire de choix. Jack London est un prototype
hollywoodien de très grande qualité : richesse des actions, prose lyrique et puissante, mêlées à des réflexions métaphysiques dépouillées du jargon philosophique, fournissent les
ingrédients qui éradiquent l’ennui à coups de machettes.
Mais à trop vanter Jack London, on finirait par oublier Riff Reb’s… Devant une œuvre aussi réussie que l’original
Loup des mers, il fallait avoir le courage de se
plonger dans les méandres du texte pour en retrancher certains épisodes, abrégeant certains évènements et se focalisant davantage sur certaines scènes pour en fournir un condensé
qui tiendrait sur un peu plus d’une centaine de planches. Jusqu’à quel point les textes et dialogues se sont-ils échappés de leur support original ? Aucune indication ne nous est
fournie et à moins d’avoir le livre de Jack London sous la main, on ne pourra le savoir. Il n’empêche, cela sent le Jack à plein nez : délicieuses railleries, entremêlement de la
prose distinguée et du harponnage ordurier aussitôt suivi de métaphysique pragmatique, l’auteur original ne semble jamais bien loin.
Le dessin de Riff Reb’s suit cette ligne de conduite imposée par le genre de Jack London et transpose en dessin le caractère intransigeant et lyrique de sa prose. Les traits nets
et précis opposent leur rigueur aux tons éclatants –bien que sombres- des couleurs. Entre deux planches s’intercale parfois une double page de gravure en noir et blanc –reflet sur
un monde qu’on situe entre la réalité terrestre et l’imagination céleste. Son travail sur le texte de Jack London est une réussite sur tous les tableaux, et si le Loup des mers
avait pu concevoir ce regret :
« Mon tort à moi est d’avoir mis le nez dans les livres », le nôtre serait plutôt de n’avoir pas
encore mis le nez dans l’œuvre originale de Jack London.
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"Au moindre mouvement, on voyait ses muscles jouer et rouler sous sa peau cuivrée. J’étais aussi impressionné que si j’avais visité la salle
des machines d’un cuirassé."