Lorsque Renée s’entaille le bras, ce ne sont pas des gouttes de sang qui s’échappent d’elle mais des répliques innombrables d’un petit enfant bossu au visage déformé par la terreur… Ce petit
garçon fait écho aux évènements vécus par Renée ; il semblerait que pas un jour ne se passe sans que sa vision ne s’impose à elle. Pas que ça l’enchante mais sans lui, Renée serait seule… sa
solitude la pousse d’ailleurs à s’accrocher au premier venu –au premier musicien venu. Si l’humanité lui semble laide, seuls ceux capables de produire un peu de beauté musicale la
réconfortent. C’est ainsi que Renée se surprend à suivre un vieux musicien de jazz qu’elle invite chez elle pour une nuit avant de découvrir qu’il est marié. Les sentiments ne sont pas chose
habile à manier : il s’y mêle dépendance et dégoût de l’autre, haine de soi-même, veulerie, lâcheté… Et lorsque le passé s’entasse par-dessus tout, on peut y rattacher des fantasmes parfois
cruels qui essaient de combler le manque d’amour originel, cause de toute la tristesse des personnages créés par Ludovic Debeurme.
A l’histoire de Renée viennent s’ajouter les histoires déjà évoquées dans le premier volume intitulé Lucille. On retrouve donc cette dernière, guérie de son
anorexie par l’amour qu’elle partage avec Arthur. Malheureusement, celui-ci est mis au bagne et cohabite en cellule avec des détenus difficiles à cerner ; où la promiscuité imposée ressemble
parfois à s’y méprendre à l’harmonie supposée de la vie conjugale…
« Certains fous, on ne devrait pas les associer… Aucune magie à la sortie de l’éprouvette. »
Et petit à petit, alors qu’il avait réussi à surmonter son passé et sa généalogie, Arthur redevient Vladimir, le flambeau de son père mort en mer. Il s’éloigne de la réalité, perd Lucille et
finit par se perdre lui-même totalement.
En variant les thèmes, en faisant intervenir de nouveaux personnages à la psychologie fouillée et aux caractères crédibles, Ludovic Debeurme fait intervenir dans Renée le même
processus que celui mis en œuvre dans Lucille. Il prend ses personnages et les imbibe de désespoir. Il en ressort de petites figures sans consistance, molles, incapables de
s’extraire elles-mêmes du bain morbide dans lequel elles se sont plongées. Ludovic Debeurme appuie le trait et n’a pas peur de jouer sur le pathétique. Et puis, peu à peu, il fait se croiser les
bons personnages. Dans Lucille, la rencontre de la jeune fille avec Arthur leur fut salvatrice ; dans Renée, ce sera l’amitié liée entre les deux souffrantes qui
leur permettra de s’élever un peu de leur réalité crasse et de surmonter les souvenirs lancinants des failles éprouvées.
Avec Ludovic Debeurme, le bonheur n’est jamais total. Il ressemble plutôt à de la mélancolie et semble très fragile. Si le malheur est vécu concrètement par les personnages, la joie, elle, se
symbolise par des rêveries incertaines et des visions hallucinées. Encore une fois, il s’agirait presque d’un échec, et on se demande si tout a vraiment été résolu à l’issue de la lecture de ces
deux volumes. Un sentiment d’inachevé demeure encore…
Tant de chemin parcouru pour une récompense aussi minuscule ? …
Citation: |
C’est tellement dur d’avoir à lutter contre soi. On y gagne si peu… Pour tout ce qu’on laisse en chemin. |