Volpone est une pièce de théâtre -il aurait aussi pu être une fable. Son personnage
principal, Volpone, est un vieillard qui a accumulé une richesse qui ferait saliver d'envie bon nombre de ses semblables. Sans amis
ni famille, et par crainte d'être délaissé, il feint d'être à l'article de la mort. Si ceux qui l'entourent ne sont pas animés de nobles intentions, et s'ils espèrent avant tout pouvoir récupérer
son héritage, Volpone réussit au moins à ne pas être seul. La vieillesse semblait déjà être un lourd fardeau au 17e siècle
et Volpone montre qu'un peu d'or dans sa guenille peut changer bien des égards dûs aux vieillards. Ce n'est pas pour
rien que Jonson appelle aussi Volpone le "renard" et il continue plus loin, avec les prétendants à l'héritage, à affubler des caractères d'animaux
à ses personnages. Le cher discipline de Volpone, son complice dans l'art de simuler une agonie, s'appelle Mosca, autrement dit "la mouche". Il aide le vieillard
à faire tourner en bourrique Voltore -le "vautour"-, Corbaccio -la "corneille"- et Corvino -le "corbeau". Entre autres personnages apparaîtront également Bonario, Canina et Columba, dont les
caractères transparaissent immédiatement dans les dénominations. Il sera toutefois malaisé de jongler entre ces différents personnages qui finissent par se ranger dans les deux catégories presque
classiques : les mauvais et les moins pires. Ainsi les trois vautours se mêlent-ils souvent dans un ballet tordu, alternant entre sourires forcés adressés à Volpone et grimaces balancées à Mosca, dans l'espoir d'apprendre ces deux informations cruciales : quand le
vieillard va-t-il se décider à mourir, et qui sera son héritier ?
Cette intrigue principale se double d'une intrigue mineure qui emmêle les caractères et ralentit
considérablement le rythme de progression de la première. Il semblerait que seuls le premier et le dernier acte soient véritablement dévolus à celle-ci, les actes centraux servant à donner de la
longueur à une comédie qui veille à respecter les règles de la dramaturgie classique. Sur le papier, Volpone devient parfois éthéré. On se détache de la lecture en attendant le retour à l'intrigue principale qui, non
seulement plus cynique, permettait également de présenter avec plus d'audace le caractère bouffon des personnages et leurs obsessions pour un amour qui n'a rien d'humain, qu'il soit amour-propre
ou amour de l'or -les deux se confondant souvent. On se rend compte alors que la forme ne suffit pas à captiver son auditoire et Benjamin Jonson ne parvient pas à enthousiasmer par la seule
beauté de ses tirades. Rival de Shakespeare, on se demande parfois qui a copié l'autre tant leurs verve endiablées semblent se poursuivre l'une et l'autre dans la recherche de la plus grande
puissance de harangue.
"Ces coquins honteux, rogneux, pouilleux, miteux et marmiteux, avec un pauvre liard d'antimoine au
naturel, galamment encortiqué de divers cartouches, peuvent fort bien, sans nul remords, vous tuer une vingtaine de gens par semaine; mais ces gaillards décharnés et faméliques, qui ont les
organes de l'âme à moitié bouchés par les terrestres obstructions, ne manquent point de trouver des zélateurs parmi les pauvres artisans racornis, mangeurs de salades, qui sont ravis d'avoir un
sou de purgatif, dût-il les dépêcher dans l'autre monde!"
On s'accroche à ces belles pièces de langue jusqu'à ce que survienne enfin le dernier acte qui,
renouant avec l'intrigue principale, permet au lecteur de retrouver enfin la connivence qui lui avait échappé. On regrette que les oiseaux de malheur qui s'agitent autour
de Volpone n'aient pas eu le courage de rester plus longtemps au chevet du vieillard. Le cynisme semble avoir honte de
lui-même et traverse la pièce à toute vitesse, se laissant plus comprendre qu'il n'ose vraiment se faire voir. Benjamin Jonson tiendrait-il lui aussi du vautour ? ...
Cela me rajeunit pour le moins de vingt ans."
- Maurice Castelain (introduction) a écrit:
- "L'éloge de la Folie et trois dialogues de Lucien, traduits par Erasme, sont la source évidente de beaucoup d'idées, d'images, d'expressions que l'on admirait jusqu'ici comme étant de [Benjamin Josnon]. Le mot plagiat n'avait point alors le sens défavorable que nous y attachons: Shakespeare et Molière "prenaient leur bien où ils le trouvaient". Jonson, qui avait plus de culture et moins de génie, empruntait davantage encore."
*peinture de Bernard Buffet