Plus qu'un roman graphique, ce livre est un roman pur, dans le sens où toute la vie du personnage nous est racontée sur un volume quand même assez conséquent (mince alors, on ne pourra
pas dire sur combien de pages puisque leur nombre n'est pas indiqué !).
J'ai l'impression que cet album sert de base à la réflexion de Mazzucchelli sur la question de la dualité. La dualité est toujours présente à chaque moment de l'histoire. Asterios en parle
d'ailleurs très bien, mais on la retrouve aussi symbolisée dans sa relation avec Hana (Hana la douce qui se livre avec beaucoup de confiance aux autres : ses paroles sont rapportées dans un
phylactère aux formes rondes / Asterios l'égocentrique qui ne peut pas s'empêcher de critiquer et de dénigrer tous ceux qu'il rencontre : ses paroles sont rapportées dans un phylactère aux formes
rectilignes), dans la mise en scène de l'histoire (alternance entre le passé et le présent, ou comment l'un permet d'expliquer l'autre et réciproquement)...
Sur plusieurs pages, cette réflexion se développe de manière très intéressante :
"Bien entendu je comprends que les choses ne sont pas noires ou blanches... qu'en réalité il y a un continuum de possibilités entre les extrêmes. Mais pourquoi les choix se font-ils toujours autour d'un spectre linéaire avec deux pôles, plutôt que, disons, au sein d'une sphère de possibilités ?"
Concernant l'alternance entre le passé et le présent d'Astérios, je dois dire que son passé m'a plus intéressée. Son enfance, l'histoire de son frère jumeau, sa carrière, sa rencontre et sa vie
avec Hana sont bien plus passionnantes que sa nouvelle vie chez le garagiste du coin, épisode heureusement compensé par la très charismatique Ursula Major (chaman dans sa vie antérieure) qui nous
fait partager sa vision du monde très poétique et qui la rend ultra-sympathique
Ce que j'apprécie d'ailleurs dans ce livre c'est toutes les petites anecdotes que Mazzucchelli nous glisse à travers les aventures de ses personnages. Ca ressemble d'une certaine façon à ce que
faisait Bernard Werber lorsqu'il était au meilleur de sa forme dans son livre Les Fourmis. Toujours bien placées, elles nous éclairent sur l'histoire des personnages et nous
amusent en même temps par leur côté didactique.
"L'activité solaire génère des ondes électromagnétiques d'une fréquence extrêmement basse qui influent sur toutes sortes de choses, comme la façon dont germe le blé, dont les bactéries se développent et dont les insectes se comportent... Ecoutez, les scientifiques qui ont étudié les mollusques ont découvert que même en laboratoire ces derniers orientent leurs mouvements selon la phase du mois lunaire. Et des huîtres originaires de Long Island et réimplantées dans des aquariums sans lumière en plein Midwest alternent ouverture et fermeture en coïncidant avec des marées qui pourraient y exister, sauf que ce n'est pas le cas. "
"Le premier empereur de Chine, Qin Shihliang, s'était préparé à l'éternité en ordonnant qu'à sa mort une réplique de sa vaste armée soit enterrée à ses côtés. Sans aucun doute un progrès par rapport à la tradition observée par les souverains locaux qui faisaient enterrer une escorte entière vivante. Sept mille soldats en terre cuite montent la garde dans sa tombe, imperturbables, depuis deux millénaires."
Les bonnes répliques fusent aussi de toutes parts. Astérios, qui semble plutôt sensible dans ses réflexions, n'hésite pas à se montrer tranchant et acerbe lorsqu'il parle, par exemple,à ses
étudiants d'architecture :
"Vous avez juste deux choses à mettre au point là-dedans : l'intérieur et l'extérieur."
Et puis, comme ça l'a déjà été dit à plusieurs reprises, il y a de très bonnes idées dans ce livre. L'utilisation des traits mauves, bleus et rouges par exemple donne une coloration particulière
aux dessins. J'ai trouvé une explication assez juste concernant l'utilisation des couleurs :
Citation: |
Mazzucchelli n'utilise que trois couleurs en tout et pour tout dans tout le livre : le bleu (cyan), le rouge (magenta) et le jaune. Trois couleurs primaires mais qui correspondent à chaque fois à un concept précis : le bleu et le rouge évoquent le passé d'Asterios et d'Hana, le jaune tout ce qui se passe après l'incendie du domicile d'Asterios. |
Lien : link
Mais plus encore j'aime la façon qu'a trouvé Mazzucchelli pour nous montrer la désintégration ressentie par Astérios lorsqu'il se trouve dans une situation confuse -par exemple une dispute avec
Hana- : il devient de plus en plus immatériel, représenté seulement, à la manière de ses plans d'architecture, par des cylindres, des cubes et des lignes.
Je pense que lorsque Mazzucchelli s'est lancé dans l'élaboration de ce livre, il s'est dit : "Ce livre me permettra de trancher sur la dualité des choses" ou "Ce livre ne me permettra pas de
trancher sur la dualité des choses". Pour finir, je pense qu'il a réussi à se faire un avis, et la fin nous le dit plutôt clairement
Très bonne découverte pour moi en tout cas !