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25 mars 2013 1 25 /03 /mars /2013 20:10





Avant qu’Einstein ne théorise sa loi de la relativité générale, les contes de fées étaient encore capables de transformer le pire laideron de ses personnages en beauté fatale, réelle et tangible.

Après qu’Einstein ait théorisé sa loi de la relativité générale, les contes de fées ont destitué leurs personnages de leur magie : le pire laideron restera objectivement laid, mais échappera aux humiliations et aux brimades imposées aux gens de pauvre apparence en incarnant l’image subjective de la beauté absolue.

Pas facile les contes de fées à l’ère de la relativité générale ! Kerascoët et Hubert ont eu la très bonne idée de s’inspirer d’un mythe ancien et connu pour l’adapter à des modes de pensées plus modernes. Dans Beauté, l’histoire se déroule toujours dans un Moyen Âge peu surprenant, avec villageois pauvres et rustres d’une part, et noblesse riche et distinguée d’autre part, mais cette notion moderne de relativité des goûts et des concepts introduit une sorte d’anachronisme qui fait toute l’originalité de l’album.





Morue, pauvre jeune fille laide et puant le poisson, lasse des brimades et humiliations qu’elle subit quotidiennement, rencontre un jour la fée Mab, cachée sous le déguisement d’un crapaud au-dessus duquel Morue a versé une larme de compassion. Lorsque la fée permet à Morue d’exercer un de ses vœux, la jeune fille choisit aussitôt d’obtenir la beauté. « Si Mab ne peut changer ta nature, elle peut en changer la perception ». Morue ne deviendra pas vraiment belle, mais elle sera « aux yeux des autres l’idée de beauté faite femme ». Mab s’éclipse. Morue contemple son reflet dans un point d’eau pour vérifier si son vœu a été correctement exécuté. Quel malheur ! Morue est toujours aussi laide ! Mais de retour chez elle, le charme agit : hommes comme femmes, adultes comme enfants, tous sont stupéfaits et comme enchantés par la beauté nouvelle de Morue. L’horreur semble avoir glissé de son apparence au comportement de ses semblables. Les hommes enchantés s’entretuent pour s’attirer les faveurs de Morue ; les femmes rendues folles de jalousie pourchassent la belle et la brûlent, et si Morue réussit à échapper in extremis à leur excitation meurtrière, ce n’est pas le cas de la mère qui périt de la beauté de la fille.




Véritable promotion sociale, la beauté de Morue lui permettra finalement de s’extraire de sa pauvreté en s’attirant les faveurs du prince local. Mais Morue peut-elle se contenter de cette modeste élévation sociale ? La jeune fille se laisse griser par les compliments. Si Hubert et Kerascoët choisissent par moments de nous la représenter à travers les yeux de ses congénères –personnage alors splendide-, aux yeux du lecteur, elle continue la plupart du temps à apparaître dans toute sa laideur. Et pourtant, nous finissons presque par croire à notre tour que Morue est réellement devenue belle, car son assurance et sa confiance nous éblouissent. Un peu trop peut-être ? Jusqu’où ira Morue dans ses prétentions à obtenir le meilleur ? Le premier volume de la série se termine en nous laissant supposer que le sort risque de n’être pas toujours aussi favorable à notre pauvre Morue s’acharnant à s’extirper de sa vase…


Citation:
A force d’écailler les poissons, l’odeur avait pénétré la peau de Morue si profondément qu’aucun bain, aucun savon ne pouvaient l’en faire partir. Morue sentait le poisson du lever au coucher, hiver comme été.


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