Alors que Bret Easton Ellis s’attaque, dans Glamorama, aux mêmes thèmes que dans American Psycho -le règne de l’apparence, la superficialité des relations
humaines, la célébrité et tout ce qu’elle a d’inhumain- le traitement n’est pas le même.
Dans American Psycho, les conséquences d’un mode de vie individualiste à l’extrême débordaient sous forme d’agressivité mais la violence restait toutefois confinée au microcosme
des personnages. Dans Glamorama, la violence s’est fait terrorisme. Personne n’est épargné. De la minute à l’autre, les campus remplis d’étudiants joviaux se transforment en
champ de guerre, les passagers d’un avion –mode de transport représentatif de la classe jeune et dynamique des Etats-Unis- révèlent tout ce qu’ils ont de plus larvaire, de plus méprisant,
lorsqu’ils se battent contre la mort alors que leur avion s’écrase au sol.
Que ce soit dans les grandes catastrophes ou dans les évènements les plus anodins d’une vie, la menace gronde toujours…
« Je fonce au premier étage de nouveau, à une vitesse inquiétante, me débattant dans la foule, trop de gens qui passent, trop de visages indistincts, que des profils, des gens qui me tendent
des fleurs, des gens en train de parler sur leur portable, tous formant une masse ivre en mouvement, et je traverse l’obscurité complètement éveillé et les gens ne font que défiler dans la
pénombre, constamment en route vers autre chose. »
Il en résulte une ambiance de malaise plus diffuse que dans American Psycho. En tant que lecteur, on se sent soi-même pris au piège. Cela ressemble à une conspiration. C’est
finalement très actuel…
« […] il y a des plateaux de minuscules crackers tartinés d’autruche, de l’opossum sur des brochettes en bambou, des têtes de crevettes enroulées dans de la vigne, d’énormes assiettes de
tentacules disposées sur des bouquets de persil, mais je ne peux rien avaler et je suis à la recherche d’un sofa en cuir sur lequel m’effondrer parce que je suis incapable de dire si les gens ne
s’intéressent vraiment à rien comme ils en ont l’air ou s’ils s’ennuient à mort tout simplement. Quoiqu’il en soit –c’est contagieux. Les gens passent leur temps à chasser les mouches quand ils
ne sont pas trop occupés à murmurer ou à se cacher. Je me contente de dire « Hi ». Je suis les instructions. C’est vraiment une fête alarmante et chaque invité est un monstre. C’est aussi un
miroir. »
Le dégoût de l’humanité transparaît derrière chaque page écrite par Bret Easton Ellis. Un tel mépris, une telle joie à détruire les hommes, pourraient finir par lasser. Mais ici ce n’est pas le
cas. L’humanité est décrite dans son aspect le plus répugnant. Rien n’est bon à en tirer. Le nihilisme de Bret Easton Ellis est dangereusement contagieux, et les scènes d’hécatombe deviennent une
victoire du bien sur le mal. Qui aurait envie de laisser vivre une humanité telle que celle décrite dans Glamorama ?
Autre particularité de Glamorama : les comportements de chacun semblent être ordonnés par un grand maître ultime. Figure divine ? Peu probable, à moins que les réalisateurs,
metteurs en scène et autres techniciens du spectacle ne soient les incarnations d’une nouvelle religion polythéiste qui s’empare des hommes comme des comédiens d’un nouveau film. Leurs bouches
prononcent des répliques dont ils ont à peine conscience, leurs gestes sont écrits à l’avance, rien n’est laissé au hasard. Complètement lobotomisés, les personnages agissent, courent, parlent,
se déplacent, dans une absurdité d’autant plus criante qu’ils n’en comprennent pas le sens.
Là encore, le malaise s’accentue.
« Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai remarqué la présence de l’équipe de cinéma, y compris celle de Felix, le directeur de la photographie, bien qu’aucun d’entre eux n’ait semblé
bouleversé, et puis un petit pan de brouillard a commencé à s’éloigner et j’ai compris que peut-être aucun d’entre eux ne savait rien à propos de Sam Ho et de ce qui lui était arrivé, la façon
monstrueuse dont il était mort, comment sa main s’était contractée misérablement, le tatouage du mot ESCLAVE devenant flou à cause de l’intensité du tremblement de tout son corps. […]
Quelqu’un m’avait donné un autre verre de champagne et quelqu’un d’autre avait allumé ma cigarette qui pendait à mes lèvres depuis une demi-heure et je m’étais aperçu que ce que je pensais de
moins en moins, c’était « Mais peut-être que c’est moi qui ai raison et eux qui ont tort » parce que j’étais docile, docile. »
Pour apprécier Glamorama, il faut apprécier le style de Bret Easton Ellis. Encore une fois, il s’agit d’un roman long, qui prend son temps pour planter le décor et pour laisser
les personnages se mouvoir dans le vide sur quelques dizaines/centaines de pages.
On retrouve toujours les mêmes énumérations de noms, de prénoms, de marques, de vêtements, d’objets de décoration, passages d’une futilité d’autant plus criante qu’ils sont souvent accolés à des
paragraphes d’une cruauté froide. Que l’on passe du rire jaune à la terreur la plus glaciale, le malaise ne disparaît jamais.
Une interview de Bret Easton Ellis concernant Glamoramaest lisible link