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17 octobre 2013 4 17 /10 /octobre /2013 12:29



« L’or et la chair » : voici les deux mots par lesquels Emile Zola résumait ce second volume de la série des Rougon-Macquart.

« L’or » : bien mal acquis par transactions immobilières frauduleuses, bien mal dépensé en vêtements de luxe, soirées somptueuses et copinages illicites.
« La chair » : tentation inéluctable d’une société en débauche qui, après s’être permise des illégitimités dans les actes publiques, ne voit pas quelles raisons lui interdirait de se permettre des illégitimités dans les actes intimes.


Ainsi se commettent sans presque le vouloir –en tout cas sans le savoir- les hérésies les plus touchantes d’innocence. Celles-ci conduisent d’une part à la Curée, cet étonnant passage historique qui eut lieu sous Napoléon III lors des grands travaux historiques effectués par le baron Haussmann, et d’autre part aux premiers sentiments de malaise existentiels connus par l’homme moderne –un avant-goût de l’american dream déchu.


Aristide Saccard, marié par intérêt à Renée Béraud du Châtel, spécule sur des immeubles qu’il compte ensuite revendre lors de la construction des grands boulevards de Paris. Il ne se refuse aucun luxe et en fait également profiter sa compagne qu’il ne voit qu’entre deux maîtresses, lorsqu’elle-même ne se trouve pas en compagnie d’un amant. Bientôt, Renée s’éprend de Maxime, un jeune dandin de dix ans son cadet. Leur relation d’abord amicale ne tardera pas à prendre des tournures plus scabreuses. Précisons que Maxime est le fils issu du premier mariage d’Aristide Saccard. Inceste et adultère, savamment relevés d’homosexualité et de chronophilie, constituent le côté outrageant de cette Curée aussi politiquement que moralement réprouvable.


« On ne pouvait voter contre un pouvoir qui faisait pousser, dans le terreau des millions, une fleur comme cette Renée, une si étrange fleur de volupté, à la chair de soie, aux nudités de statue, vivante jouissance qui laissait derrière elle une odeur de plaisir tiède. »


A ceux qui ont voulu bannir la Curée du paysage littéraire à cause d’outrage à la pudeur, Emile Zola répondit : « J’ai voulu, dans cette nouvelle Phèdre, montrer à quel effroyable écroulement on en arrive quand les mœurs sont pourries et que les liens de la famille n’existent plus ». Et qu’on ne dise pas que le message n’est pas clair ! Il suffit de lire le roman jusqu’à son dénouement tragique et désespéré pour comprendre qu’une existence qui ne sait plus donner de priorité à ses valeurs ne vaut que déchéance.


Après un premier volume panoramique et essentiellement descriptif, Emile Zola effectue une plongée étroite sur l’arbre généalogique de ses Rougon-Macquart et change la teneur de sa verve, pour nous livrer un témoignage subjectif sur cette période de spéculation effrénée connue sous le règne de Napoléon III. Pour nous aider et s’aider soi-même à la compréhension, Emile Zola se projette avec une telle force dans la vie et la psychologie de ses personnages que certains ont pu croire qu’il partageait avec eux leurs conceptions et leurs valeurs. Son talent est tel qu’il aura réussi à duper certains lecteurs inattentifs jusqu’à se confondre avec ses sujets et à se faire passer pour un « hermaphrodite étrange venu à son heure dans une société qui pourrissait ».





Citation:
« Maxime et Renée, les sens faussés, se sentaient emportés dans ces noces puissantes de la terre. Le sol, à travers la peau d’ours, leur brûlait le dos, et, des hautes palmes, tombaient sur eux des gouttes de chaleur. La sève qui montait aux flancs des arbres les pénétrait, eux aussi, leur donnait des désirs fous de croissance immédiate, de reproduction gigantesque. Ils entraient dans le rut de la serre. C’était alors, au milieu de la lueur pâle, que des visions les hébétaient, des cauchemars dans lesquels ils assistaient longuement aux amours des Palmiers et des Fougères ; les feuillages prenaient des apparences confuses et équivoques, que leurs désirs fixaient en images sensuelles ; des murmures, des chuchotements leur venaient des massifs, voix pâmées, soupirs d’extase, cris étouffés de douleur, rires lointains, tout ce que leurs propres baisers avaient de bavard, et que l’écho leur renvoyait. »



Citation:
« Il accepta Renée parce qu’elle s’imposa à lui, et il glissa jusqu’à sa couche, sans le vouloir, sans le prévoir. Quand il y eut roulé, il y resta, parce qu’il y faisait chaud et qu’il s’oubliait au fond de tous les trous où il tombait. Dans les commencements, il goûta même des satisfactions d’amour-propre. C’était la première femme mariée qu’il possédait. Il ne songeait pas que le mari était son père. »



Citation:
« Ah ! que sa pauvre tête souffrait ! comme elle sentait, à cette heure, la fausseté de cette imagination qui lui faisait croire qu’elle vivait dans une sphère bien heureuse de jouissance et d’impunités divines ! Elle avait vécu au pays de la honte, et elle était châtiée par l’abandon de tout son corps, par la mort de son être qui agonisait. Elle pleurait de ne pas avoir écouté les grandes voix des arbres. »




*peinture de Louis-Léopold Boilly

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commentaires

N
C'est une bonne littérature à découvrir!
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