Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 18:48






La faute aux chinois : signe de contemporanéité dans l’histoire intemporelle de la lutte des classes. Dans la famille de Louis Meunier, on travaillait déjà à l’usine du temps du père et du grand-père, et si la parenté plus ancienne n’est pas évoquée, c’est sans doute parce que le domaine du réel se cantonne à celui des souvenirs.


Comme son père et son grand-père, Louis Meunier coupe des têtes de poulet. Les bestioles sont représentées avec plus d’expressivité que le personnage, dont l’indifférence semble traduire une certaine forme de soumission naturelle. La « violence symbolique » dont parle Bourdieu –et qui est citée dans l’album- paraît totalement étrangère à Louis Meunier. Il ne s’agit, après tout, que de passer ses journées au travail –qu’aurait-il fait à la place ?- et de boire, dormir et manger en rentrant chez soi.






L’usine est même un lieu de rencontres non dépourvu d’intérêt : Louis Meunier y fait la connaissance de Suzanne avec qui il se marie. Par la même occasion, il se « marie » avec Jean-Claude, le frère de Suzanne, lui aussi employé à l’usine et garde du corps personnel de la jeune épouse. Un enfant plus tard, les difficultés financières commencent à s’accumuler et les tensions dans le couple deviennent plus nombreuses. Jean-Claude, qui veille au bon grain, conseille à Louis de passer à la vitesse supérieure. Ce n’est pas en se contentant de travailler à l’usine qu’il pourra procurer une vie décente à sa famille. Pour mettre un peu de beurre dans les épinards, Louis, encouragé par son beau-frère, se promènera de petits crimes en tueries innocentes, troquant les têtes de poulets pour des têtes de concierges.





La critique de la lutte entre classes sociales semble réduite à son aspect le plus grossier et le plus ouvertement provocateur. Pourtant, dans l’album, la reconversion de Louis Meunier semble aussi naturelle et instinctive que la facilité avec laquelle il s’était plié dès sa jeunesse au rythme usant de l’usine de poulets. De l’ouvrier pauvre à l’ouvrier aisé, il n’y a qu’un pas à franchir, qui met en jeu les mêmes mécanismes de soumission à l’autorité. Cette continuité dans le processus d’asservissement, liée à un sentiment de libération des contraintes financières et du carcan de la classe ouvrière, procure à l’album un grinçant que viennent relever d’humanité les sentiments contenus qui lient entre eux les personnages. Ce sont ces mêmes sentiments, d’ailleurs, qui sont à l’origine de la reconversion de Louis Meunier…


La faute aux chinois ne se propose rien de moins que de ridiculiser le concept de « violence symbolique » attribué à Bourdieu : symbolique, vraiment ? S’il avait connu l’existence de Louis Meunier et de Jean-Claude, pas sûr que le sociologue se serait contenté d’une expression aussi évasive.


En exergue :

Citation:
Il nous appartient d’accomplir le négatif, le positif nous a déjà été donné.
Kafka



Partager cet article
Repost0

commentaires