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2 décembre 2012 7 02 /12 /décembre /2012 17:56






Le Mariage de Figaro nous permet de prendre la mesure du gouffre qui sépare la réception des œuvres aujourd’hui et leur réception deux siècles plus tôt. Cette pièce, censurée ? Pour le lecteur contemporain –comme pour Beaumarchais à son époque-, la réaction sera : incompréhension. Pour le lecteur, d’abord, parce que le message de la pièce ne semble pas virulent –seulement moqueur. Pour Beaumarchais, ensuite, parce qu’il pensait qu’en donnant à son commentaire critique des privilèges de la société monarchique la forme de la comédie, il susciterait des enthousiasmes joyeux avant de provoquer la colère et l’animosité des spectateurs :


« Oh ! que j’ai de regrets de n’avoir pas fait de ce sujet moral une tragédie bien sanguinaire ! Mettant un poignard à la main de l’époux outragé, que je n’aurais pas nommé Figaro, dans sa jalouse fureur je lui aurais fait noblement poignarder le puissant vicieux ; et comme il aurait vengé son honneur dans des vers carrés bien ronflants, et que mon jaloux, tout au moins général d’armée, aurait eu pour rival quelque tyran bien horrible et régnant au plus mal sur un peuple désolé ; tout cela, très loin de nos mœurs, n’aurait, je crois, blessé personne ; on eût crié : Bravo ! ouvrage bien moral ! Nous étions sauvés, moi et mon Figaro sauvage. »



Dans sa préface, Beaumarchais dénonce également l’hypocrisie des spectateurs. Il défend ainsi sa pièce de critiques qu’il juge injustifiées en invoquant l’humiliation subie par ceux dont elle vilipende les privilèges et autres mœurs condamnables :


« Il y a souvent très loin du mal que l’on dit d’un ouvrage à celui qu’on en pense. Le trait qui nous poursuit, le mot qui importune reste enseveli dans le cœur, pendant que la bouche se venge en blâmant presque tout le reste. De sorte qu’on peut regarder comme un point établi au théâtre, qu’en fait de reproche à l’auteur, ce qui nous affecte le plus est ce dont on parle le moins. »


Cette préface est indispensable au Mariage de Figaro, sans quoi il serait difficile d’attribuer à la pièce sa véritable valeur –celle dont elle s’est dotée lors de sa première représentation et qui la place comme l’une des explications potentielles à l’avènement de la Révolution française.


Le Mariage de Figaro n’est pas désagréable à lire et doit également être très plaisant à voir au théâtre. Une ribambelle de personnages colorés, excentriques, d’âges et de classes sociales différentes, sont rassemblés sur le lieu du château du Comte. Ils tissent entre eux des intrigues entremêlant mariages, libertinage, apprentissages et guerre, sans oublier d’y mêler travestissements et échanges d’identités. A l’intrigue principale, mettant en scène un Figaro qui veut préserver son aimée Suzanne du droit de cuissage qu’espère exercer sur elle le Comte, des intrigues secondaires se mettent en place et s’entrecroisent sans répit pour le lecteur. Les répliques sont souvent cinglantes et joueuses et évitent toute forme de monotonie. Malgré tous ces aspects positifs, outre l’intérêt historique de la pièce, il sera difficile de se passionner pour les revendications des personnages. Peut-être, finalement, les critiques du Mariage de Figaro n’avaient-ils pas tort ? Le trop grand foisonnement des intrigues finit par constituer un rideau opaque qui amoindrit la charge critique des propos des personnages. Face à la liesse éperdue que semble constituer leur quotidien, on finit presque par douter de leurs revendications au changement.





La lecture n’est peut-être pas le biais idéal pour prendre connaissance du Mariage de Figaro, et la représentation théâtrale m’aurait peut-être davantage convaincue du talent de Beaumarchais à représenter, dans l’agitation enjouée de ses personnages, le couvert d’une plus violente mais tout aussi agitée remise en question des principes de la monarchie...
Citation:


FIGARO. - […] Avec God-dam, en Angleterre, on ne manque de rien, nulle part. –Voulez-vous tâter d’un bon poulet gras : entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon (il tourne la broche), God-dam ! on vous apporte un pied de bœuf salé, sans pain. C’est admirable ! Aimez-vous à boire un coup d’excellent bourgogne ou de clairet, rien que celui-ci (il débouche une bouteille) : God-dam ! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction ! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches : mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah ! God-dam ! elle vous sangle un soufflet de crocheteur : preuve qu’elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci par-là quelques autres mots en conversant ; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue […].






"Qu’au seul nom de Figaro,
J’entende crier : Bravo !
Et que tout ce coq-à-l’âne,
Son procès et sa Suzanne
Causent un bruit général
C’est mal
Très mal.
Mais cela m’est bien égal,
Je pense comme mon grand-père :
J’aime mieux Molière."


Chanson attribuée à M. de Champcenetz
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