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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 18:00



Avec Si j’étais vous… ,Julien Green choisit de s’attaquer à un fantasme sans doute universellement partagé, à un moment ou à un autre de la vie de tout homme : la possibilité de devenir quelqu’un d’autre au gré de ses envies, et de changer de corps à chaque fois que le désir s’en fait sentir.

Fabien est un jeune homme esseulé qui se morfond dans une vie trop étroite à la fois matériellement –car il manque d’argent- mais aussi spirituellement –car il n’est constitué que d’une religion qui a cessé de lui suffire mais qui le cadenasse encore dans des schémas de pensée limitants. Avant de se vouer une haine trop intense, il rêve de pouvoir devenir un autre, comme si un seul changement d’identité sociale pouvait suffire à lui apporter le bonheur.

Un soir, lors d’une de ses nombreuses sorties nocturnes, il croise la route d’un vieil homme qui se présente à lui sous le nom de M. Brittomart. Celui-ci devient sa clé d’accès à d’autres corps, d’autres âmes : d’autres identités. Il suffit à présent d’une formule magique pour que Fabien échange sa place avec celle de n’importe qui d’autre. Il n’hésite pas longtemps et son choix se porte sur celui qui représente pour lui la réussite matérielle : le vieux M. Poujars, son employeur de bureau. Mais la détention d’une fortune suffit-elle à compenser les maux de la vieillesse et les tourments d’une âme veule ? Autant jouir de la force physique et de la beauté animale… De Poujars, Fabien passe à Paul Esménard mais manque de se perdre dans son esprit limité dont les schémas de fonctionnement finissent par le conduire au meurtre. Brittomart intervient avant que Fabien ne commette d’autres catastrophes et lui propose d’investir le corps d’Emmanuel Fruges, un esprit brillant. Peut-être trop ? Son intelligence le mène souvent à l’auto-flagellation. Mais au moins, Fabien ne risque pas d’oublier d’où il vient…

En effet, Julien Green introduit une condition intéressante qui corse les échanges d’identité : Fabien, en passant d’homme en homme, adopte les traits de caractère de son occupant d’origine, et ses souvenirs s’effacent au profit de ceux de sa proie. Mais alors, qui est donc vraiment Fabien, si ni ses caractéristiques, ni ses souvenirs se s’avèrent pérennes dans ce processus d’échange ? La première partie du livre développe essentiellement ces réflexions. Le ton, qui était plutôt badin dans les premières pages, surprend alors par sa tournure plus grave. Julien Green nous amène à réfléchir sur les conditions de l’identité bien au-delà de ce qu’une simple histoire d’échanges de corps aurait pu nous porter à imaginer.

Malheureusement, il accole à cette première partie une seconde partie beaucoup moins stimulante. Les conditions étant posées, l’auteur cherche à appliquer le processus d’échange au sein d’une trame dramatique classique à base d’intrigues amoureuses. On change de point de vue : que se passe-t-il lorsque l’amante secrète se trouve confrontée à l’objet de sa passion –investi par l’âme d’un autre ? Après nous avoir poussés à nous interroger sur notre connaissance de nous-même, Julien Green nous interroge sur ce que nous pensons savoir des autres. Malgré des perspectives stimulantes, ce changement de point de vue n’offre rien d’intéressant au lecteur. La réflexion est limitée par les contraintes liées à l’enjeu dramatique : prouver au lecteur que la pauvre Elise, éloignée de force de son amant Camille, le connaît pourtant bien mieux que son épouse légitime Stéphanie. Ceci ayant été démontré, et Julien Green se trouvant satisfait d’avoir pu prouver par la même occasion que la société bourgeoise est remplie de dogmes absurdes, il est temps pour Fabien de retrouver son corps d’origine. La fin relève d’un manque d’imagination aussi décevant que le manque de prise de risques qui caractérise la seconde partie.

Si j’étais vous, Julien Green, je recommencerais cette seconde partie… mais le transfert marche-t-il avec l’identité d’un défunt ?

A propos de ce roman, Julien Green en dit un peu plus dans sa préface :

Citation:
« A mesure qu’on avance en âge, ce désir bizarre de déménager corps et âme s’atténue. Si peu satisfait du personnage qu’on joue dans le monde, on se méfie de ce que cache la tranquillité apparente du voisin. Car, dans toute vie humaine, il y a un drame, et la plupart du temps il demeure secret. Derrière cette façade sereine, que de difficultés nous n’entrevoyons même pas, quand ce ne serait que l’insondable ennui dont Bossuet nous parle en connaisseur ! »
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