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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 10:53




Le format atypique de cette bande dessinée -500 pages au compteur- annonce d’emblée le caractère pas moins étonnant de son contenu. Aucune crainte à avoir quant à la lisibilité de cet ouvrage : malgré un nombre de pages élevé, l’histoire s’égrène tranquillement, ménageant de longues plages de silence ou de contemplation. Pas plus de deux ou trois séquences par page (difficile de parler de « case » lorsqu’aucun cadre ne vient délimiter de contour précis) et un dessin épuré au possible. La sensation de se balader dans le vide n’est jamais loin. Sensation qui décrit parfaitement ce que ressentent les deux personnages de cette histoire, et qui permet au lecteur de se familiariser immédiatement avec leur quotidien. Lucille et Arthur flottent au milieu d’une existence vide dont ils espèrent bientôt voir l'issue –à moins qu’un miracle ne se produise.

Chez les deux adolescents, la source du désespoir est familiale. Arthur a grandi sous la domination d’un père violent et alcoolique qui a fini par se suicider, comme son grand-père auparavant. A la mort du patriarche, le fils reçoit son prénom en guise d’offrande posthume, portant jusque dans sa dénomination la malédiction rodante du suicide… Quant à Lucille, elle grandit sous le joug étouffant d’une mère trop protectrice. Le dégoût de son corps, ses relations ambigües avec les hommes et une sexualité obsédante sont désignés comme symptômes tout trouvés de son anorexie.


Pour donner un nouvel élan à leur existence mal foutue, à deux doigts de se terminer, fallait-il que les deux désespérés se rencontrent ? Peut-être pas forcément, mais en tout cas, leurs chemins se croisent lorsque Arthur vient livrer à Lucille des paquets entiers remplis de Nutrilor. Surprise dans sa faiblesse et dans sa nudité maladive, Lucille ne peut pas mentir à Arthur. C’est le point de départ d’une relation franche qui permettra à deux sensibilités éprouvées de se rapprocher. Les expériences vécues par chacun sont peut-être différentes mais elles se rejoignent dans l’émergence d’une émotion commune qui permettra à Lucille et Arthur de se sentir en phase.

Si Lucille et Arthur sont incapables de se sauver eux-mêmes, en revanche, ils semblent entièrement dévoués à la cause de l’autre. Ils trouvent le courage de sortir de leur existence déplaisante et prennent la fuite vers la Toscane, où ils seront hébergés dans un grand domaine en échange de quelques services. On comprend alors quelle symbolique se dissimule derrière les représentations fréquentes de Lucille et d’Arthur en insectes : petites larves enveloppées dans un cocon trop étroit, elles ne vont pas tarder à révéler le fond exact de leur personnalité. En d’autres termes, le récit de leur escapade est également le récit d’une résilience commune. Le bonheur partagé avec l’autre semble pouvoir abolir le passé, et même s’il revient encore à travers quelques réminiscences et autres mécanismes bien accrochés, il a perdu de sa puissance. Mais le fait est que ce passé a rendu Lucille et Arthur définitivement vulnérables et qu’ils sont mal armés pour faire face aux affronts du quotidien. Un pas de travers, à la moindre difficulté qui surgit, leur bonheur difficilement acquis s’émiette et la malédiction réapparaît, aussi vive qu’auparavant.


On le voit, l’histoire de Lucille et Arthur est très nuancée et ne s’inscrit ni dans la complaisance dans le malheur, ni dans l’enchantement halluciné du bonheur retrouvé. On pourra peut-être se montrer froissé de quelques raccourcis faciles empruntés par Ludovic Debeurme lorsqu’il s’agit d’évoquer le mal-être d’Arthur ou la maladie de Lucille –bien trop entachée par le complexe œdipien- mais on les lui pardonne sans trop de difficultés. Parce qu’il a voulu aborder l’histoire de ses deux personnages sans se montrer trop bavard, on comprend qu’il ait dû consentir à quelques facilités qui se montrent de toute façon bien loin des clichés grotesques que l’on peut parfois trouver dans d’autres récits du même genre. L’essentiel n’était sans doute pas de revenir sur les causes de la fragilité des personnages mais de partager avec eux leurs tentatives de s’arracher de leur passé dans le partage d’une existence commune. Lucille est un récit juste et touchant dont l’humilité permet de faire oublier ses quelques défauts.

De nombreux détails font mouche...


Citation:
Je compte… Je compte tout…les mouettes… les rafales de vent… mes pas, bien sûr… mes pas… les heures… les feuilles… les mots… Les mots dans les phrases…
Pourquoi je compte… Je n’en sais rien…
Je ne peux pas m’en empêcher. Si je ne le fais pas, je crois que quelque chose de grave va arriver… Que quelqu’un va tomber malade… Que mon père… Que mon père va mourir… A cause de moi…
Peut-être que j’voudrais bien qu’il crève, en fait.


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3 juin 2012 7 03 /06 /juin /2012 15:47




Raymond reprend un peu du poil de la bête… Après s’être relativement reposé dans le tome 3, ce nouveau volume de la série lui permettra de déployer les forces ardentes de sa soixantaine bien révolue. Le voici prêt à s’imposer de nouveau sur le devant de la scène.



Il était temps… Reagan et Gorbatchev ne font rien de bon. Pourquoi ne pas réunir tout le gratin politique au coin de la table formica, à la bonne franquette, comme au temps de Yalta ? Etrangement, personne ne répond à l’invitation du pauvre Calbuth. Son aura se serait-elle dispersée ? Bien décidé à affronter la vérité, Raymond ouvre le dictionnaire et cherche l’entrée « Calbuth ». Calbuth, Calbuth… Que dit-on à son propos ? Vieux caleçon usé ? Quoi ? C’est là tout le souvenir qu’il laisse à cette troupe d’indigènes lettrés à l’origine du dictionnaire, troupe qu’il a pourtant sauvée, du haut de la grandeur de ses idées révolutionnaires ?
Qu’à cela ne tienne, Raymond troque son costume de sauveur du monde et emprunte celui du flibustier en charentaises, justicier déchu et rabaissé par les mœurs modernes. Il œuvre à l’ombre des coulisses des programmes télévisés et sauve les héroïnes torturées de ses films préférés en appelant la régie de TF1. Il ne méprise pas non plus la culture underground et son esprit critique, amateur de bonnes toiles, l’encourage à aller voir plusieurs fois de suite le grand cru « Embroche-moi par tous les trous ». Est-ce à force de se laisser influencer par l’état d’esprit contestataire de ces séries Z que Raymond finira par s’adonner à la criminalité ? Quoi qu’il en soit, les images à collectionner de zébus disparaissent les unes à la suite des autres dans les boîtes de Vache-qui-rit de la supérette du coin…


Nous aurions pu craindre que Raymond ne finisse par nous lasser avec ses habitudes de bon vieux papi-gâteau. Ce quatrième tome de la série nous prouve que ce n’est pas (encore ?) le cas et vient raffermir la foi des lecteurs dévoués à la cause de Saint-Calbuth !

Attention : une astuce du tonnerre, spécialement pensée par Raymond pour vous (imbécile lecteur !) :




Citation:
Comment faire du feu sans allumettes ? Tu veux faire du feu mais tu n’as pas d’allumettes ?
- Non
Alors, fouille tes poches… Tu as peut-être un briquet ?
- Oui !!
Eh bien, utilise le briquet, c’est aussi bien.
- Ah oui ! Pas con !!



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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 13:29




Le mot « maman » contenu dans le titre de l’album est à l’origine d’une grave erreur de classement. L’ouvrage s’est malencontreusement perdu dans le rayon enfants de la bibliothèque municipale –dans ce cas, il aurait également très bien pu se perdre dans le rayon médical, et cela aurait peut-être même été plus pertinent.

Bien solide serait l’enfant prêt à lire ce récit tiré de l’expérience de Brian Fies, adulte sans que cela ne le dispense d’éprouver une peine bien compréhensible devant le cancer de sa mère. Il trouve un moyen comme un autre pour expier son inquiétude : la publication en feuilleton de l’évolution de la maladie de sa mère sous la forme d’une bande dessinée. Initialement regroupées sur son blog, les vignettes ont finalement été assemblées dans un album plutôt court et dense puisque Brian Fies réussit à évoquer, en moins de cent pages, toute la durée qui a séparé le début et la fin de la maladie –début et fin relatifs car se pose la question de savoir depuis quand sévissait la maladie, et jusqu’où sévira-t-elle, en dehors des pronostics médicaux ?



Brian replace sa mère dans son contexte familial et rappelle son passé, mais les singularités évoquées, prises entre les pinces mortelles du crabe, n’arrivent pas à faire oublier la menace qui plane toujours en arrière-fond. Les joies semblent artificielles, dérisoires. Pourtant, elles s’avèreront nécessaires. Peut-être même vitales ? C’est la question posée en filigrane dans cet album. Elle pousse également à s’interroger sur l’influence de l’environnement sur le psychisme, et donc sur la progression de la maladie.

Tout au long de son traitement, la mère de Brian Fies a en effet été bien entourée. Outre son fils, elle bénéficie du soutien de ses deux filles : l’une est infirmière (cela tombe bien) et l’autre vit sous le même toit qu’elle. Tous l’assistent au quotidien et suivent attentivement ses rendez-vous médicaux, les diagnostics et le pronostic vital.
Si « Maman » fera finalement partie des 5% de miraculés qui survivent à un cancer du cerveau, c’est peut-être parce qu’elle a eu le privilège d’être aussi bien entourée. En ce sens, le récit du cancer de Maman est un récit doré, loin de la déchéance qui peut concerner un plus grand nombre de malades…


Brian Fies a mis dans cet album toute son érudition au service de la compréhension d’un mal auquel il n’avait jamais été confronté jusqu’alors. Il met en forme les idées et les interrogations qui découlent de ses recherches de manière ludique. Les formes, les tons et les couleurs varient, surprenant sans cesse le lecteur, le déstabilisant comme si on le confrontait à son tour aux caprices du cancer. Le plaisir visible que Brian Fies a pris à réaliser la fresque de l’évolution du cancer de sa mère se transmet sans peine au lecteur. Il ne doit toutefois jamais faire oublier que cette activité créatrice a permis avant tout à Brian Fies de supporter le long traitement de sa mère et de ne jamais démissionner, même lorsque l’’issue fatale semblait inévitable.


 

Citation:
Quel peut être votre état quand une tumeur maligne au milieu du cerveau est le moindre de vos soucis ?



Citation:
Le cancer est en trois dimensions. Il a un volume. Ainsi, lorsque la longueur d’une tumeur passe par exemple de 13 à 10 cm, c’est en fait une différence de volume de 103 / 133) = (1000 / 2197), soit environ la moitié. Vous voyez pourquoi comprendre les maths peut aider ?





Citation:
Toutes les salles d’attente que nous fréquentons ont des puzzles. A première vue, cela semble anodin… Une façon comme une autre de tuer le temps en patientant. Mais je réalise que je n’ai jamais vu de puzzles dans un autre cabinet médical. Je pense que c’est à cause de la fréquence des visites, parfois quotidiennes. On peut placer huit ou neuf pièces, revenir le lendemain et trouver le même puzzle qui nous attend, un peu plus complet.



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26 mai 2012 6 26 /05 /mai /2012 21:54




Calbuth un jour, Calbuth toujours. On le passe à la machine, il revient propre quoiqu’un peu plus élimé à chaque fois… Mais il suffit de le porter avec une paire de chaussettes différentes pour en renouveler l’intérêt. Avec Raymond, ça marche comme ça.

Au bout du troisième tome, on commence à être habitué à ses loufoqueries et à ses habitudes peu communes, même s’il se démène tout son saoul pour trouver de nouvelles manières de relancer l’intérêt. Sans doute influencé par la mode des reality shows, il s’imagine livrant une lutte sans merci dans les conversations qu’il mène avec ses pauvres voisins, lorsque ceux-ci pensaient seulement être invités à prendre le thé autour d’une nappe à carreaux. Qui propose les sujets de conversation les plus originaux ? Qui maîtrise le mieux la thématique des fuites d’eaux qui causent la sinistrose de l’immeuble ? Qui propose les divertissements les plus intéressants ? Assurément, Raymond Calbuth, lorsqu’il passe un diaporama de ses radiographies de poumons, bat la concurrence à plate couture. Peu d’autres originalités dans cet album. On y retrouve surtout des leitmotiv qui jouent sur le comique de répétition –pas facile à manier car il faut savoir doser.



Plus très surprenant le Calbuth dans ce troisième tome… En même temps, il semble plus familier, et transporte plus facilement le lecteur avec lui dans les folles embardées de son esprit. Moins de surprises mais plus d’attendrissement devant cette personnalité hors-norme de la BD beauf. La routine commence à s’installer ? Gare…

Pour les artistes en herbe qui souhaiteraient se pencher sur le cas Calbuth :



Pour les anatomistes désireux d'étudier la composition morphologique du couple :



Citation:
- Ah dis donc ! On est vraiment envahis par les sondages ! Y en a même sur les paquets de biscuits.
- Ah bon ? Et qu’est-ce que ça donne ?
- « Chocolat : 25%. Farine de froment : 20%. Matière grasse : 30%. Agent émulsifiant : 0,3%. Sans opinion : 0% ». Remarque c’est intéressant. Je savais pas que le chocolat ne recueillait que 25% des suffrages.


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24 mai 2012 4 24 /05 /mai /2012 11:16




Gouzi-Gouza, les zombies sont de retour, et ils vont vous jouer un mauvais tour (celui de vous faire perdre quelques dizaines de minutes de lecture, même si on peut aussi lire ce comics sur le trône ou dans les embouteillages pour faire passer le temps). Mais peut-être êtes-vous une âme sensible ? Dans ce cas, vous frissonnerez dès la première page. En bon pavlovien que vous êtes (peut-être), la lecture de cette sentence stéréotypée devrait vous faire couler des sueurs froides : « Après tout ce que j’ai vu et fait, je ne crois plus en rien du tout ». Damned, qu’allons-nous lire de si terrible ? On se crispe sur le trône, on fait vrombir le moteur, et on tourne les pages…

C’est vrai que la toute jeune Adeline n’est pas épargnée. Derrière la façade rutilante d’une vie bourgeoise dans un grand ranch se cachent, bien sûr, des immondices qui ne conviennent pas à une famille de haut rang. Sa jeune sœur Emily se fait régulièrement violer par son père. Ce n’est un secret pour personne, et lorsque Adeline décide de se révolter contre cet état de fait, son père lui fait regretter ses ardeurs en lui imposant le même sort. Adeline décide de sortir le flingue pour se venger définitivement, mais voilà-t’y pas qu’au même moment se ramène une horde de zombies à quatre neurones.



Ces bestioles n’ont jamais été réputées pour leur vivacité d’esprit, mais celles de Crossed frappent particulièrement par leur air hébété de spectateurs de La Roue de la Fortune. Sans doute leur langage est-il un peu plus châtié (« Je veux bouffer sa chatte », « Le jus coule sur la bite de papa », « J’ai mis du sang plein son énorme pine ») et leurs mœurs étranges les font se parer d’accessoires au goût douteux (les bébés déchiquetés servent de slip et les bites sont autant de perles qui permettent aux femmes de se parer de colliers somptueux). Heureusement, grâce à Papa, les zombies sont balayés d’un revers de main, mais le ranch menacé doit être rapidement abandonné. Prétexte à une belle déambulation dans les Etats-Unis sauvages, à jouer au chat et à la souris avec des bandes de zombies de plus en plus denses.
Prétexte à réflexion philosophique ? Il ne faudrait pas exagérer non plus… Ce n’est pas parce que Dieu est évoqué (« Dieu veut faire table rase du passé », « Un seul esprit, un seul but, un seul Dieu ») qu’il faudrait croire tout de suite qu’on a affaire à un monument théologique.
Réflexion politique ? La communauté des survivants, appelée fort originalement « Nouvel Eden », n’est rien d’autre qu’une bande de fuyards à flingues commandés par l’homme le plus brutal de la fratrie, j’ai nommé « Papa ». Oh, oh, oh, comment accepter cette contradiction flagrante entre l’homme chef de tribu et l’homme violeur de petite fille ? Nous voilà partis sur des considérations fameuses concernant le Mal, ses rapports avec le Bien, et la part de ces notions contenue dans chaque individu.

On préfèrerait que Crossed ne nous inflige pas sa philosophie de comptoir et que l’histoire se contente de nous bourriner quelques zombies sexuellement assoiffés qui eux, au moins, n’ont pas la prétention d’éduquer leurs pauvres lecteurs. Les auteurs touchent presque leur but : à force de prendre leurs lecteurs pour des êtres aussi déficients que ces zombies, on finit par s’attacher davantage à ces derniers qu’à la communauté fière et imbue des survivants. Un peu plus et on se mettrait à hurler en cœur avec les zombies : « Coupe ta bite ! Bouffe ta chatte ! » (attention aux voisins quand même) pour que razzia soit faite des cow-boys modernes qui se prennent pour les derniers représentants de la race humaine. Pour un peu plus de réconfort, il vaudrait franchement mieux qu’ils disparaissent.




Après une débauche de gore et de pas-propre, le rideau se baisse –voire se casse carrément la gueule sur la scène- et laisse tout pantelant… La fin est minable et essaierait même de faire chialer le patibulaire qui aurait survécu au massacre zombie des pages précédentes. Quoi, se dit-on : tout ça pour ça ? Le papier est-il si bon marché qu’on s’en serve pour torcher des pages de pipi-caca ? Bon, il est vrai que certaines illustrations sont mignonettes et que les couleurs montrent une véritable intention de capter l’œil amorphe du lecteur désintéressé (à raison), mais pourquoi s’encombrer d’autant de pages ? Un poster et hop, le tour est joué.
Allez, bonne nuit. Vous ne devriez normalement pas faire de cauchemars…

Petite galerie du gore et du pas-propre :












Mais il y a aussi de beaux paysages avec des chevaux fougueux qui courent, crinière au vent :

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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 14:52



Ce n’est pas que l’histoire tourne en rond, mais tout de même, les surprises vont s’amenuisant… Ou comment le début de lassitude du lecteur est confirmé par les remarques désobligeantes que l’auteure fait tenir aux deux représentants de la Raison (Papa et Maman) lorsqu’ils parlent de Chi : « Pourquoi elle ne comprend pas ? Elle n’a vraiment rien dans la tête ». Ceci dit, les parents non plus ne sont pas des flèches, qui assimilent sans cesse ce petit chaton débile à n’importe quel enfant de bas âge –allant même parfois jusqu’à le confondre avec leur propre fils. Enfin, faisons preuve d’un peu d’indulgence : il faut bien reconnaître qu’ils arrivent parfois à établir une différence entre leur enfant et leur chat, osant courageusement avancer : « Chi et Yohei agissaient de la même façon ? Mais enfin, un chat et un humain… Ca devait être dû au hasard ». Aaaah, oui, en effet !



Mais laissons-là ces pauvres maîtres esclaves de leur chat et suivons Chi, partie à la découverte du monde sauvage du parc de jeux. C’est ici que se situe l’essentiel des rebondissements du 5e tome –un peu d’action, diantre ! Nous suivons donc l’animal à travers sa découverte des toboggans, des insectes et du sens de l’orientation. Tout s’enchaîne, d’un tome à un autre, avec une limpidité presque mécanique, qui finirait presque par rendre effrayante cette innocente histoire de petit chaton qui ne grandit jamais. A l’emménagement du tome 4 succède la légitimité de la possession de Chi dans un appartement, ce qui lui donne la possibilité de faire ses premiers pas dans la rue. Chi y rencontrera un chat qui tient à lui faire rencontrer sa mère maternelle, évènement que l’on réservera au tome 6 de la série, cela semble évident…




Peut-être est-ce pour corser un peu l’intérêt des péripéties que Chi devient de plus en plus crétine au fil des épisodes ? On comprend l’objectif de cette dégradation… Cela permet à l’intrigue de s’étirer en longueur et de légitimer le fait qu’un chapitre entier puisse être consacré à la découverte du fonctionnement d’une chatière. C’est la rançon du succès ! Ca rend rarement brillant... Pauvre Chi… Mais la fin est proche ! Jusque-là, accroche-toi pour ne pas perdre totalement le ciboulot.


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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 15:18



La vie de Raymond Calbuth devient franchement plus palpitante dans ce second tome de la série… Il va falloir s’accrocher pour ne pas tomber du caddie de supermarché !

Raymond Calbuth, la soixantaine bien révolue, a compris qu’il était temps pour lui de faire ses armes dans la politique. Comprenez, Reagan ni Gorbatchev ne peuvent se passer de ses conseils, de son âme de vainqueur et de diplomate… A tel point que Calbuth (le Raymond, pas le caleçon), décide finalement de tout laisser tomber pour laisser ces deux femmelettes de Reagan et de Gorbatchev se débrouiller tout seuls. Marre de devoir tout faire ! Ils sont assez grands maintenant pour comprendre que la paix de l’humanité peut être atteinte à travers une bonne partie de Scrabble.



Plutôt que de perdre son âme dans les affres de la vie politique, Raymond se tourne plutôt vers sa douce et tendre Monique. Ses bigoudis n’ont rien perdu au charme de sa jeunesse… Mais pour raviver un amour qui risque malgré tout de s’effriter d’ici quelques trente ou quarante années, Raymond se démène et rivalise d’inventivité pour procurer du frisson à sa vie de couple… Et c’est parti pour de folles escapades ! Partis au flambeau dans l’exploration de leur propre appartement, considéré à la manière d’un tombeau égyptien, ils découvrent d’antiques objets sacrés, tel le calendrier 1987 de Ronchin… Ceci fait, pourquoi ne pas passer les vacances d’été en promenade dans le métro ? Les stations « Danone Nature », « Monsieur Meuble » ou « Omo sans Bouillir » sont porteuses de l’indéniable charme exotique des contrées lointaines, accessibles aux seuls porte-monnaie bien fournis.



On le comprend, ce deuxième tome de la série se veut plus intime que le premier. Raymond Calbuth, plein d’une générosité sans égale, fournit également au lecteur pauvre moult idées lui permettant de partir en vacances à bas prix ; au lecteur macho il essayera d’infuser sa divine galanterie, et lui apprendra qu’un voyage de noces dans la salle de bains de l’appartement conjugal peut donner des ailes à deux pauvres colocataires qui n’avaient jamais commencé à s’ignorer…




Citation:
-Mais tu vois, Monique, y a un truc injuste : le type qui nage le 100 mètres-brasse en 50 secondes ou qui court le 110 mètres-haies en 13 secondes, c’est un superman adulé par le public, et moi quand je dis au bistrot que je fais l’amour à ma femme en 12 secondes, je passe pour une lopette.


Citation:

Le soleil va s’éteindre dans 5 milliards d’années. Ils l’ont dit à la radio. C’est la fin du système solaire. Nous sommes foutus ! Tu te rends compte… Dans à peine 5 milliards d’années… J’aurai jamais le temps de faire tout ce que j’ai prévu ! Même en comptant les jours fériés !


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20 avril 2012 5 20 /04 /avril /2012 15:22




La Terre a été profondément chamboulée par ce que les survivants appellent le Coup de Sang. Dans un monde post-apocalyptique, quelques hommes errent sans véritable but. Au volant de sa Ferrari solaire, Lawrence, un ancien aumônier de l'armée, croise la route de deux jeunes hommes en piteux état : Roem et son ami Merkt …



Qu’est-ce que Shakespeare pourrait bien venir faire dans ce paysage post-apocalyptique ? Après l’épisode du « Coup de Sang », qui ne laissa sur Terre qu’une poignée de survivants, les landes désertes s’étendent jusqu’à l’horizon… De grandes routes, des bâtiments de temps en temps, et un ciel déchaîné surplombant une atmosphère nauséeuse de pétrole. Avec ça, essayez de survivre. Essayez de vous dire que votre vie a encore un quelconque intérêt.
C’est peut-être afin de ne pas anéantir ce dernier moteur de la survie que les rescapés se regroupent ? Lorsque Lawrence, à bord de sa Ferrari solaire, croise la route de Roem et de son ami Merkt, il leur propose de venir s’installer avec le reste de sa tribu. Plus on est de fous, mieux on survit. Une telle proposition ne se refuse pas. La communauté s’agrandit…

Tybb, Roem, Merkt, Lawrence, Julia… font étrangement écho à Tybalt, Roméo, Mercutio, Laurent et Juliette de la célèbre pièce de Shakespeare… Simple coïncidence ? Peut-être… Après tous, les noms ne sont pas exactement les mêmes que ceux des héros de la pièce originale, et les premiers ne sauraient être plus que des dérivés dégénérés des seconds.
D’où vient alors cette focalisation abrutie sur la ressemblance entre la troupe de Shakespeare et la troupe de survivants ? Dans un monde vide où tout a encore moins de sens qu’en temps normal, les esprits essaient peut-être, tout simplement, de se raccrocher à quelque chose de connu. Après la fin du monde, la fin de l’histoire n’a pas encore sonné. La dernière bouchée de foie gras avalée, que reste-t-il encore à faire ? Alors que tout semblait définitivement achevé, la saison des amours repart pour un nouveau tour de piste… Julia et Roem sont électrisés l’un par l’autre. Le charme agit sans explications. Ils n’ont pas besoin de se parler, et subissent le retour de la tragédie sans que leur volonté ne semble agir une seconde. L’histoire reprend…





Enki Bilal n’a pas fait preuve d’une imagination démente pour constituer l’intrigue de cet album. Pour qu’on ne lui reproche pas le manque d’inspiration, il a tout de même tenu à transposer cette histoire dans un cadre qui ne ressemble en rien à l’Angleterre du 16e siècle. Ici, nous ne sommes nulle part ; le soleil, même, ne se couche peut-être plus à l’ouest. Le ciel et la terre se fondent sous une couche de gris parfois éclairés de bleu et de rouge vif. Ca flambe, au loin… Les personnages, désabusés, sont débarrassés de tous les seconds rôles de la pièce originale de Shakespeare. L’huis clos en fonctionne d’autant mieux. Malgré ces différences, Shakespeare rejaillit de la bouche de Julia, Roem et consorts comme si un désastre apocalyptique n’avait jamais pu les séparer de leurs racines culturelles. Et la survenue inopinée du dramaturge est du plus bel effet : Shakespeare s’intègre sans difficultés aux planches noires dessinées par Enki Bilal. La poésie des mots se joint dans une commune mesure à la rêverie de tableaux sombres. Hélas, tout Shakespeare ne pouvait pas figurer dans un album –d’ailleurs, il ne le devait pas non plus sous peine que Julia et Roem perde son statut d’œuvre originale- mais le reste des paroles semble fade et peu consistant lorsque Shakespeare se tait. Le revival, d’ailleurs, ne se met pas en place immédiatement, et il est expédié en quelques dizaines de pages.



Julia et Roem, malgré sa singulière beauté, correspond à l’univers post-apocalyptique duquel il a surgi : pareil au souvenir d’un vieillard qui se serait laissé bercer par Roméo et Juliette dans sa jeunesse, il ne fournit que des bribes de poésie confuse au milieu d’un désert de pétrole destructeur.

Citation:

C’est ici, au moment du petit rire jaune du dénommé Tybb, en réaction à la phrase du dénommé Roem, compagnon du dénommé Merkt, que moi, le dénommé Lawrence, j’ai commencé à me poser des questions sur le hasard des rencontres patronymiques… Si j’osais, je dirais qu’il ne manque plus qu’une fille et qu’elle s’appellerait Juliette…
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11 avril 2012 3 11 /04 /avril /2012 15:32
Black Hole (1993-2004)



Jeune adolescent des seventies vivant dans l’Amérique imaginaire de Charles Burns ? Prenez garde à vos arrières, la crève, aussi appelée « peste ado », se propage à vive allure… Un rapport sexuel avec une personne contaminée, et vous voilà porteur à votre tour de la maladie. Pire, il suffit d’un simple postillon malencontreusement ingurgité pour que le mal se développe…
Vous voilà contaminé… La déchéance physique se manifeste. Singulière, ses symptômes sauront s’exprimer d’une manière différente pour chaque individu infecté. Chez l’un, la maladie se traduira par l’ouverture d’une petite bouche en bas du cou ; pas maline, celle-ci raconte tout ce que le malade essaie de dissimuler dès lors que le sommeil lui fait perdre le contrôle de lui-même. La maladie affublera l’autre d’une petite queue qui se régénère à la moindre tentative de mutilation ; voici une caractéristique qui vaut bien d’être nommée « Dame Lézard »… Bien qu’impressionnantes, ces marques physiques de la maladie peuvent encore être dissimulées. Malheureusement, pour la plupart, le mal se manifeste par des irruptions cutanées monstrueuses, des boursouflures et autres déformations qui font oublier l’humanité originelle des victimes de la crève.



Les monstres ne sont presque jamais rejetés de la société. Ils n’ont pas besoin d’attendre que les autres prennent la mesure puisque, la plupart du temps, ils s’en excluent d’eux-mêmes. Ils préfèrent se regrouper dans des villas abandonnées ou dresser des campements dans les grandes forêts qui entourent leur ville pour mener, ensemble, un mode de vie à la mesure de leur monstruosité. Si la maladie surgit au cours de leur existence comme un cheveu sur la soupe, elle ne semble finalement pas déranger davantage ces adolescents qu’une mauvaise note à l’école, un rendez-vous désastreux ou une soirée pourrie. Elle s’inscrit dans la continuité de leur existence morne, voire, elle se présente à eux comme l’évènement à l’origine d’un nouveau départ. Ce peut être l’occasion de se retirer d’un quotidien confortable mais aseptisé, et de rejoindre l’idéal utopique d’une vie en communauté, proche de la nature. Mais après quelques semaines de camping, l’ennui et les mauvaises habitudes se rappliquent comme dans le passé et les monstres retournent dans le confort moderne des villas qu’ils parasitent en quelques jours. Ils regardent la télé, mangent et se torchent la gueule jusqu’à l’os pour se donner du courage dans l’éventualité de (peut-être ?) baiser. L’insouciance domine, à moins qu’il ne s’agisse de désespoir. La maladie semble n’effrayer personne. Elle consiste seulement à séparer la population en deux clans distincts. Elle est aussi prétexte à l’épanouissement du style de Charles Burns, tout en glauque et en difformité. Dans un style lourd, uniquement fait de noir et de blanc, de grands paysages surréalistes apparaissent parfois avant de se recentrer sur les portraits hideux des pestiférés. Pas de grandes réflexions dans le texte, rien qui ne pourrait laisser penser que la crève saurait induire un changement dans les mentalités de la population. De bout en bout, on reste dans le quotidien crasse.



Alors, pestiféré ? Plusieurs solutions s’offrent à vous : avoir le bonheur de se faire assassiner par un autre malade qui désire vous libérer de votre situation ; avoir le courage de prendre le flingue pour en finir par soi-même ; enfin, se replier loin des autres, et attendre, attendre…
Rien de réjouissant, mais Charles Burns réussit à amener ce constat en restant cohérent d’un bout à l’autre des six tomes qui constituent cette série et à préserver le style inimitable qui est le sien…

 

 

Des aperçus épisode par épisode ?



Tome 1 : Sciences naturelles



C’était comme une horrible partie de chat… On finit par découvrir qu’il s’agissait d’une nouvelle maladie qui n’affectait que les adolescents. On la surnomma la « peste ado » et « la crève ». Les symptômes en étaient aussi variés qu’imprévisibles… Certains s’en tiraient à bon compte –quelques bosses ou une vilaine éruption cutanée –d’autres devenaient des monstres ou il leur poussait de nouveaux membres… Mais quels que fussent les symptômes… Une fois touché, on était « le chat » pour toujours.


Tome 2 : Métamorphoses



C’était si fort entre nous que c’en était incroyable. On s’aimait et rien d’autre au monde n’avait d’importance. Le reste du monde pouvait bien crever, on s’en fichait royalement. On pensait que ça ne finirait jamais : comment quelque chose d’aussi bien pourrait-il tourner au vinaigre ? Et pourtant, c’est arrivé. Un jour, c’était fini. On s’est réveillés, on s’est regardés et il n’y avait plus rien.



Tome 3 : Visions



Ils étaient dans la chambre de John, à regarder la télé avec toutes les lumières éteintes… Sauf qu’ils ne la regardaient pas vraiment : ils l’avaient réglée entre deux chaînes et tout ce qu’on voyait, c’était de la neige. Ils étaient en train de s’imaginer qu’ils faisaient partie d’une tribu sauvage, ou un truc comme ça… La télé, c’était leur feu de camp.


Tome 4 : Reine des Lézards



Dans les bras de Rob, je l’ai senti qui s’endormait. Sa respiration est devenue profonde et régulière… Et alors, ça a commencé. Comme un cliquetis, au début, puis une voix claire et haut perchée qui s’élevait de la bouche sur sa poitrine, minuscule et triste. Une voix d’enfant.



Tome 5 : Grandes vacances



Je suis content d’être défoncé… J’ai au moins ça. Les choses sont moins moches… Tout est précis, propre et clair.


Tome 6 : Bleu profond



On a le cerveau trop gros… On pense trop et ça nous rend tous dingues. On a hérité de ce merveilleux don d’intelligence et de conscience de soi et on l’a gaspillé… Complètement gâché. On serait heureux si on pouvait vivre une vie simple, s’apprécier les uns les autres et… Enfin, je ne sais pas, moi, vivre dans une ferme et y faire pousser des légumes… Tu vois, revenir à la nature… Mais, hé, fais pas attention à ce que je raconte, pour ce que j’en sais, de tout ça…

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3 avril 2012 2 03 /04 /avril /2012 16:55



Jésus et Bouddha en ont marre du ciel. Ils ont décidé de s’octroyer quelques vacances bien méritées et louent un appartement dans le Japon des années 2000. On ne les savait pas copains, mais bon, pourquoi pas, après tout… Le rôle crucial qu’ils ont pu jouer dans l’histoire de l’humanité ne devient plus qu’un lointain passé d’acteurs désormais révolu. A présent eux-mêmes, c’est-à-dire communs et triviaux, ils se réunissent en coulisse et essaient de rester anonymes au milieu d’une foule qui, de toute façon, a perdu toute notion religieuse. D’ailleurs, Jésus évoque seulement Johnny Deep, et les japonais s’évertuent vainement à appuyer sur le front de Bouddha qu’ils prennent pour un interrupteur.



Toutefois, les mauvaises habitudes professionnelles ne disparaissent pas de si vite. Avoir tenu le rôle de Jésus ou de Bouddha, ça laisse des traces. Il suffit que Jésus soit un peu contrarié pour que s’ouvrent ses stigmates, tandis que Bouddha émet une aura lumineuse sitôt qu’il est touché par la félicité. Leurs aptitudes physiques et spirituelles leur permettent de remporter le gros lot à la fête foraine ou d’affronter le grand-huit en toute quiétude. Entre deux attractions, Jésus et Bouddha vont faire du shopping. Jésus ne résiste pas aux attraits des boutiques et vide son porte-monnaie sans compter. Lorsqu’il ne reste plus rien dans le frigo, Bouddha lui propose de rendre comestible le plat de pierres qu’il lui présente…



Le mythe tombe en miettes. Jésus et Bouddha ont très bien réussi à s’adapter au monde des années 2000 et s’avèrent aussi futiles et dispersés que leurs semblables. C’est bien la peine de vivre aussi longtemps pour rester aussi con.
Le choix est clairement assumé d’exploiter deux figures sacrées pour les transposer dans le milieu trivial du Japon consumériste. Le ressort comique de l’histoire tient entièrement au décalage ainsi produit, et génère en effet quelques situations truculentes, mais pas de quoi en défriser Bouddha. Surtout, le rythme s’épuise rapidement. Les scénettes s’enchaînent mais ne suivent pas de fil conducteur spécifique. Jésus et Bouddha sont livrés à eux-mêmes, dans un quotidien vidé de toute signification. Sur un tome, la matière à explorer est suffisante. Elle pourrait même suffire à combler un deuxième tome. Mais lorsqu’on sait que cette série en comporte sept au total, on a un peu du mal à imaginer comment les gags vont pouvoir se renouveler. Peut-être Johnny Deep finira-t-il par retrouver Jésus pour lui casser la gueule et de lui demander de retourner gentiment dans son ciel ?


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