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21 août 2011 7 21 /08 /août /2011 09:25




Après l’évocation de la vie des juifs dans les ghettos, le tome 2 de la série Maus s’attarde sur les camps de concentration – Auschwitz pour Vladeck, le père d’Art, et Birkenau pour Anja, sa mère-, passant de la mort, de la maladie et de la souffrance à l’espoir, qui culmine lors de la libération des juifs à la fin de la guerre.

Le récit se fait plus haletant que dans le premier tome. La mort rôde partout. Pour survivre dans les camps, il faut être rusé, comme Vladeck n’hésite pas à le répéter. Il faut savoir user de ses talents, de la moindre de ses connaissances, que ce soit en tant que zingueur, que cordonnier, ou qu’il s’agisse de la maîtrise de l’anglais, pour trouver de l’intérêt aux yeux de ceux qui ont du pouvoir et pour trouver à manger. Il faut détenir les informations qui sont utiles : savoir se placer à l’extrême gauche d’un bataillon de juifs lorsque les allemands arrivent pour remplir leurs fourgons, car ils auront probablement déjà assez de monde lorsqu’ils arriveront à la moitié du bataillon ; se placer au bon endroit de la file lors de la distribution de la soupe au navet, de façon à ne pas avoir le bouillon inconsistant du début, sans risquer de trouver la casserole vide lorsque vient son tour de se faire servir. Mais le hasard joue également un rôle non négligeable dans la survie des déportés, et la terreur que ceux-ci ont supportée, Art Spiegelman arrive à nous la faire ressentir sous la forme d’une tension qui ne faiblit pas à un instant, même si on la sait ridiculeusement moindre à celle ressentie en réalité.




Parallèlement à ce récit d’un rescapé des camps de concentration, Art Spiegelman inclut de nombreuses pages de réflexion sur son travail d’écriture. Il commence à rédiger le tome 2 de la série en 1986, quatre ans après la mort de Vladeck. Entre-temps, son fils est né, et le premier tome de la série a été publié et a rencontré un grand succès. Art Spiegelman subit de nombreuses pressions de la part des journalistes et des hommes d’affaires qui le harcèlent pour adapter son ouvrage sous forme cinématographique. Cette cupidité le dépossède et renforce encore son sentiment de culpabilité vis-à-vis de ce qu’a subi son père. Comment arriver à devenir quelqu’un lorsque l’on a été élevé par un rescapé de la seconde guerre mondiale ? Et comment ne pas se sentir coupable lorsqu’on arrive à devenir quelqu’un malgré ce qui est arrivé à son père ? Ce sont les questions que se pose Art Spiegelman dans cet ouvrage, et auxquelles il essaie de répondre avec toute la sincérité dont il peut faire preuve.




Avec un recul d’un demi-siècle, Art Spiegelman livre un point de vue neuf sur la Shoah et sur ses implications sur les générations suivantes. Son talent est si grand qu’il parvient même à transférer à son lecteur sa culpabilité. A-t-on le droit d’éprouver tant de plaisir à lire le récit de ce qui fut la tragédie d’un jeune homme ? Sans doute pas, mais il est impossible de faire autrement…


Réflexions sur l’utilisation du médium de la bande dessinée pour raconter l’histoire de Vladeck :





Dans le second tome comme dans le premier, on retrouve encore des scènes de la vie d’Art Spiegelman et de Vladeck. L’avarice du vieil homme ne le présente pas toujours sous son meilleur jour :




Une photo de Vladeck. Surprise, ce n’est pas une souris…



« - Samuel Beckett a dit : « Chaque mot est comme une tache inutile sur le silence et le néant. »
- Oui.
- D’un autre côté, il l’a dit. »

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20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 09:21



Synopsis :

En août 1957, à Hiroshima. Dans la pénombre d'une chambre, un couple nu, enlacé. Elle, une jeune actrice francaise d'une trentaine d'années venue pour jouer dans un film sur la paix. Lui, un architecte japonais. C'est l'histoire de leur impossible amour.


Film sur l’oubli, sur le devoir de mémoire, sur la bombe atomique, sur la seconde guerre mondiale… Difficile de ne pas se laisser écraser par tous les grands termes qui qualifient Hiroshima mon amour. Forcément inquiétant, lorsqu’on entre dans ce film, on se sent tout petit, obligé de s’écraser… Après tout, qui sommes nous pour oser souiller de nos yeux cette grande réalisation à visée humanitaire ?

Dès les premières images, nous voilà pris d’assauts par les figures des revenants d’Hiroshima, grands mutilés comparés à ces plantes qui ont ressurgi de sous terre quelques jours après le grand rasage nucléaire… Sur les banderoles ils défilent, dans la mémoire aussi, ils font leur apparition, comme des visions qu’il faudrait ne jamais laisser s’estomper.

Les premières scènes sont belles. Tournées dans une atmosphère ouateuse qui tranche avec les images de la mort à Hiroshima, les phrases tournent en boucle, donnent un rythme martial à l’histoire, et évoquent l’impossibilité de communiquer les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale.
Le film résume parfaitement bien cette difficulté. Souhaitant aborder le sujet de la bombe atomique, il réussit à ne jamais en parler pendant une heure et demie, préférant y faire allusion par des métaphores, des images détournées, et un jeu d’acteur parfois douteux, souvent grossier.




Hiroshima mon amour évoque le sujet de la bombe atomique avec une extrême finesse, mais aussi avec tant de précautions que le film donne l’impression de n’être qu’un exercice stylistique, une façon de recycler une tragédie pour en faire un film que l’on regarde confortablement, assis chez soi, sur son canapé ou au cinéma. Et c’est long, long, long. La première demi-heure retient l’attention, mais les deux autres qui suivent n’en sont qu’une redite littéraire. Et la difficulté, avec un film abordant un sujet tel qu’Hiroshima, c’est de dire qu’on ne l’a pas apprécié. Et pourtant, c’est mon cas… Non pas que le sujet ne soit pas à la hauteur de mes attentes, mais parce que le réalisateur a cru bon de le réduire à un pur sujet d’abstraction artistique.

Pour ceux qui veulent lire le scénario complet de Marguerite Duras, c’est possible : link




Et Alain Resnais a donné une explication de son film dans une interview consultable link

Je n’ai pas eu le courage d’en lire la totalité. Trop de paroles obscures. Un film qui doit s’accompagner d’une grille de lecture pour être compris dans sa globalité ne peut pas être fondamentalement réussi. Cela signifie que le réalisateur n’est pas parvenu à s’exprimer de manière limpide, ou qu’il se plaît à cheminer dans les hautes strates de la pensée intellectuelle. Dans un cas comme dans un autre, je considère cela comme un désavantage.

« Ce qui frappe le spectateur, c’est la multiplicité des strates temporelles présentées ensemble dans le film. Lorsque l’héroïne parle du passé, il ne s’agit pas de raconter une histoire d’il y a quatorze ans, mais de recréer à l’écran sa mémoire présente. C’est pourquoi, de plus en plus fréquemment dans le film, des plans de Nevers vont s’immiscer entre des plans d’Hiroshima. […]Le film est donc construit sur deux axes :
– l’interpénétration du passé et du présent dans la mémoire, qui se manifeste ici à l’occasion de l’aveu fait au Japonais, sans doute parce que l’aventure avec lui – un étranger, parlant français avec accent, etc. – correspond pour la femme exactement à ce qui lui est arrivé à Nevers ;
– l’interpénétration de l’individuel et de l’histoire universelle. Le drame de Nevers vient faire écho au cataclysme nucléaire mondial, à l’occasion du hasard de cette rencontre avec un Japonais à Hiroshima ; et on apprend vers la fin, lorsqu’elle achève de se raconter, que pour elle Hiroshima a coïncidé exactement avec son arrivée à Paris, c’est-à-dire au fond la sortie de sa réclusion à Nevers et le deuil de son premier amour, moment où elle comprit qu’« on ne meurt pas d’amour ». […]La forme singulière du film est justifiée très exactement par cette structure : l’irruption de plans sans lien narratif immédiat avec les précédents montre simplement le surgissement du passé dans la conscience, dans un ordre qui n’est pas celui d’une narration faite pour un autre, mais celui des évocations ressenties par une conscience. […]C’est pourquoi, à la toute fin, en écho à ce début de film, elle dira : « Hiroshima, c’est ton nom » ; à quoi il répondra : « Ton nom, c’est Nevers ». Ces deux phrases marquent la clôture du film selon ses deux dimensions, l’interpénétration du passé et du présent, la correspondance du drame individuel et du cataclysme universel. Le film peut s’achever ainsi, alors que selon une logique narrative objective il reste en suspens, puisque la Française n’a pas encore pris son avion. »

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19 août 2011 5 19 /08 /août /2011 09:24




Alors que Bret Easton Ellis s’attaque, dans Glamorama, aux mêmes thèmes que dans American Psycho -le règne de l’apparence, la superficialité des relations humaines, la célébrité et tout ce qu’elle a d’inhumain- le traitement n’est pas le même.

Dans American Psycho, les conséquences d’un mode de vie individualiste à l’extrême débordaient sous forme d’agressivité mais la violence restait toutefois confinée au microcosme des personnages. Dans Glamorama, la violence s’est fait terrorisme. Personne n’est épargné. De la minute à l’autre, les campus remplis d’étudiants joviaux se transforment en champ de guerre, les passagers d’un avion –mode de transport représentatif de la classe jeune et dynamique des Etats-Unis- révèlent tout ce qu’ils ont de plus larvaire, de plus méprisant, lorsqu’ils se battent contre la mort alors que leur avion s’écrase au sol.
Que ce soit dans les grandes catastrophes ou dans les évènements les plus anodins d’une vie, la menace gronde toujours…

« Je fonce au premier étage de nouveau, à une vitesse inquiétante, me débattant dans la foule, trop de gens qui passent, trop de visages indistincts, que des profils, des gens qui me tendent des fleurs, des gens en train de parler sur leur portable, tous formant une masse ivre en mouvement, et je traverse l’obscurité complètement éveillé et les gens ne font que défiler dans la pénombre, constamment en route vers autre chose. »

Il en résulte une ambiance de malaise plus diffuse que dans American Psycho. En tant que lecteur, on se sent soi-même pris au piège. Cela ressemble à une conspiration. C’est finalement très actuel…

« […] il y a des plateaux de minuscules crackers tartinés d’autruche, de l’opossum sur des brochettes en bambou, des têtes de crevettes enroulées dans de la vigne, d’énormes assiettes de tentacules disposées sur des bouquets de persil, mais je ne peux rien avaler et je suis à la recherche d’un sofa en cuir sur lequel m’effondrer parce que je suis incapable de dire si les gens ne s’intéressent vraiment à rien comme ils en ont l’air ou s’ils s’ennuient à mort tout simplement. Quoiqu’il en soit –c’est contagieux. Les gens passent leur temps à chasser les mouches quand ils ne sont pas trop occupés à murmurer ou à se cacher. Je me contente de dire « Hi ». Je suis les instructions. C’est vraiment une fête alarmante et chaque invité est un monstre. C’est aussi un miroir. »

Le dégoût de l’humanité transparaît derrière chaque page écrite par Bret Easton Ellis. Un tel mépris, une telle joie à détruire les hommes, pourraient finir par lasser. Mais ici ce n’est pas le cas. L’humanité est décrite dans son aspect le plus répugnant. Rien n’est bon à en tirer. Le nihilisme de Bret Easton Ellis est dangereusement contagieux, et les scènes d’hécatombe deviennent une victoire du bien sur le mal. Qui aurait envie de laisser vivre une humanité telle que celle décrite dans Glamorama ?

Autre particularité de Glamorama : les comportements de chacun semblent être ordonnés par un grand maître ultime. Figure divine ? Peu probable, à moins que les réalisateurs, metteurs en scène et autres techniciens du spectacle ne soient les incarnations d’une nouvelle religion polythéiste qui s’empare des hommes comme des comédiens d’un nouveau film. Leurs bouches prononcent des répliques dont ils ont à peine conscience, leurs gestes sont écrits à l’avance, rien n’est laissé au hasard. Complètement lobotomisés, les personnages agissent, courent, parlent, se déplacent, dans une absurdité d’autant plus criante qu’ils n’en comprennent pas le sens.
Là encore, le malaise s’accentue.


« Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai remarqué la présence de l’équipe de cinéma, y compris celle de Felix, le directeur de la photographie, bien qu’aucun d’entre eux n’ait semblé bouleversé, et puis un petit pan de brouillard a commencé à s’éloigner et j’ai compris que peut-être aucun d’entre eux ne savait rien à propos de Sam Ho et de ce qui lui était arrivé, la façon monstrueuse dont il était mort, comment sa main s’était contractée misérablement, le tatouage du mot ESCLAVE devenant flou à cause de l’intensité du tremblement de tout son corps. […]
Quelqu’un m’avait donné un autre verre de champagne et quelqu’un d’autre avait allumé ma cigarette qui pendait à mes lèvres depuis une demi-heure et je m’étais aperçu que ce que je pensais de moins en moins, c’était « Mais peut-être que c’est moi qui ai raison et eux qui ont tort » parce que j’étais docile, docile. »


Pour apprécier Glamorama, il faut apprécier le style de Bret Easton Ellis. Encore une fois, il s’agit d’un roman long, qui prend son temps pour planter le décor et pour laisser les personnages se mouvoir dans le vide sur quelques dizaines/centaines de pages.
On retrouve toujours les mêmes énumérations de noms, de prénoms, de marques, de vêtements, d’objets de décoration, passages d’une futilité d’autant plus criante qu’ils sont souvent accolés à des paragraphes d’une cruauté froide. Que l’on passe du rire jaune à la terreur la plus glaciale, le malaise ne disparaît jamais.



Une interview de Bret Easton Ellis concernant Glamoramaest lisible link

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18 août 2011 4 18 /08 /août /2011 09:32



Synopsis:

Après le décès de son père pendant la Seconde Guerre mondiale, Pink est élevé par une mère tyrannique. Devenu rock star, il mène une vie tourmentée et s'enferme sur lui-même dans sa chambre d'hôtel. Peu à peu, il sombre dans la drogue tandis que la folie commence à s'emparer de lui.



Mise en images de l’album concept The Wall de Pink Floyd, le film d’Alan Parker confère une autre dimension à l’histoire de Pink, musicien célèbre qui devient fou à cause de l’influence néfaste que les autres exercent sur lui.




Pink, personnage dans lequel Rogers Waters a investi une grande partie de son propre passé et de sa personnalité, a grandi en survivant à son père, mort au combat, à sa mère, castratrice et dévoreuse de joie, à ses instituteurs, époux brimés qui déversent leur frustration sur les enfants, et à sa femme, qui s’est détournée de lui pour un homme qui saurait lui consacrer du temps.
Dans un besoin de reconnaissance, dans la volonté d’unir et d’être uni, il s’imagine sur scène (à moins que ce ne soit la réalité ?), devant un parterre d’admirateurs prêts à damner leur âme pour l’écouter. Mais dans sa folie noire, Pink s’imagine en dictateur, provocations nazies et marches militaires délivrées en même temps que sa propagande dépressive. Une vision bien glauque de la musique et du rapport des musiciens avec leurs auditeurs, que l’on retrouve d’ailleurs dans certains propos de Rogers Waters :

« Peut-être que l'entraînement à voir les choses d'un point de vue architectural m'a aidé à visualiser mes sentiments d'aliénation par rapport au public rock. Ceci fut le point de départ pour The Wall. Le fait qu'il incarna par la suite un récit auto-biographique était d'un certain point de vue secondaire par rapport au gros de la chose qui fut un constat, très théâtral, disant : « Tout ça n'est pas merdique ? Je suis là sur scène pendant que vous êtes tous là en bas et c'est pas horrible ? Qu'est-ce qu'on est en train de foutre là ? » »


— Roger Waters, Wikipédia English, juin 1987.



Les dialogues incorporés au film sont rares. Alan Parker a fait relevé le défi i d’illustrer l’histoire de Pink en utilisant seulement les chansons de l’album The Wall. Le pari était risqué, mais le résultat est éblouissant. Les chansons, adaptées aux scènes tantôt lumineuses d’une enfance enjolivée, tantôt obscures d’un présent sans saveur, s’enrichissent d’une densité qui apportera encore davantage d’intérêt à l’album des Pink Floyd. D’autres scènes en dessin animé, réalisées par le caricaturiste Gerald Scarfe, brillent d’ingéniosité et, dans un style psychédélique parfaitement adapté aux Pink Floyd, rapportent les scènes fantasmées par un personnage qui s’enfonce de plus en plus dans la schizophrénie.






The trial par Gerald Scarfe



Si vous ne savez pas ce que veut désigner ce « mur » qui donne son nom à l’album le plus respecté des Pink Floyd, ce film vous l’apprendra et confèrera au groupe encore un peu plus de grandeur qu’il n’en avait déjà.
Pink Floyd, the Wall réussit parfaitement à transmettre tout l’amour et le respect d’un homme (Alan Parker) pour les créations musicales d’un groupe, et plus encore, de celui qui en fut l’une des pièces motrices (Rogers Waters).




Un film qui se regarde dans son intégralité pour l’histoire, mais dont chacune des scènes peut être (re)visionnée indépendamment pour le plaisir.

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17 août 2011 3 17 /08 /août /2011 09:14




La promesse de l’aube, avec l’air de s’attacher aux problèmes du sentiment maternel et de l’éducation, reste surtout une autobiographie nombriliste et pas modeste pour un sou. Peut-on pardonner à Gary l’estime démesurée qu’il se porte après avoir lu ce livre ? Justement, c’est bien là que se situe le problème : Gary est-il victime de son éducation ou s’en sert-il allégrement comme d’un prétexte pour justifier tout l’amour propre qui dégouline de lui et qui imprègne chacune des pages de son roman ?

Pour ce qui est de l’autobiographie en elle-même, rien à dire… Sur une trame chronologique parfois faite de flashbacks ou de remarques de l’auteur, on suit progressivement le parcours de l’écrivain, sans se perdre dans les dédales tumultueux de son existence. Même si le ton sature parfois du côté du mélo (des restes de ses essais de comédien ?…), heureusement, Romain Gary n’oublie jamais de ponctuer ses anecdotes par des touches humoristiques. Sans cela, certains passages bien lourds auraient eu du mal à se laisser digérer.

« Je n’ai pas réussi à redresser le monde, à vaincre la bêtise et la méchanceté, à rendre la dignité et la justice aux hommes, mais j’ai tout de même gagné le tournoi de ping-pong à Nice, en 1931, et je fais encore, chaque matin, mes douze tractions, couché, alors, il n’y a pas lieu de se décourager. »


D’anecdotes en grands évènements, Romain Gary emmène peu à peu son lecteur vers un dénouement surprenant qui m’a laissée pantoise… Sans rien laisser prédire de ce qui attendait le jeune Gary, nous voilà glissé dans sa peau lorsqu’il apprend la vérité au sujet de sa mère… Cette découverte donne envie de relire les derniers chapitres pour trouver un indice qui aurait pu nous instruire du dénouement avant le terme, mais rien ne filtre… L’envie de retrouver des signes précurseurs à cette révélation était peut-être aussi à la base du travail d’écriture de Romain Gary ?

Reste malheureusement, en contrepoint négatif à ce talent d’écrivain, une fierté et une autosatisfaction que je ne tolère pas dans les textes autobiographiques. Lorsque Romain Gary ne rapporte pas les éloges que sa mère lui adressait ou les compliments qu’il se dédie personnellement, c’est pour nous raconter des anecdotes qui le placent dans le sillage, voire au-dessus, de tel ou tel personnage important, dont il n’oublie évidemment pas de citer les noms avant de nous faire la liste des familiarités qu’il s’autorisait vis-à-vis d’eux. Certes, le talent est fait de beaux romans et de belles phrases rassemblées en une œuvre, mais il manque, dans celle de Romain Gary, le recul et la distanciation nécessaire à tout esprit critique.

« […] j’ai toujours su que je n’avais pas d’autre mission ; que je n’existais, en quelque sorte, que par procuration ; que la force mystérieuse mais juste qui préside au destin des hommes m’avait jeté dans le plateau de la balance pour rétablir l’équilibre d’une vie de sacrifices et d’abnégation. Je croyais à une logique secrète et souriante, dissimulée aux recoins les plus ténébreux de la vie. Je croyais à l’honorabilité du monde. Je ne pouvais voir le visage désemparé de ma mère sans sentir grandir dans ma poitrine une extraordinaire confiance dans mon destin. »

Comment un style si mature peut-il s’accorder avec une pensée aussi enfantine et orgueilleuse ? Romain Gary s’en explique dans cette Promesse de l’aube, que l’on peut dire avec tendresse ou un peu de pitié, au choix…




« Etait-ce vraiment moi, ce garçon frémissant et acharné, si naïvement fidèle à un conte de nourrice et tout entier tendu vers quelque merveilleuse maîtrise de son destin ? Ma mère m’avait raconté trop de jolies histoires avec trop de talent et dans ces heures balbutiantes de l’aube où chaque fibre d’un enfant se trempe à jamais de la marque reçue, nous nous étions fait trop de promesses et je me sentais tenu. Avec, au cœur, un tel besoin d’élévation, tout devenait abîme et chute. »

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16 août 2011 2 16 /08 /août /2011 09:27




Résumé :

A l’auberge du Coq Vert, les casseroles fument, les portes claquent et les sentiments contrariés sont légion. Au coeur de cette fresque enlevée : Polpette le cuisinier, Fausto le baron propriétaire, Alméria l’employée volcanique et une tribu de furets vindicatifs... Le jour où Fausto apprend l’arrivée de son père, puissant monarque qu’il n’a pas vu depuis ses 7 ans, c’est le branle-bas de combat dans l’auberge...


De la couleur, il y en a dans cet album ! Les planches sont rayonnantes et vives, à l’image de la joie et de la bonne humeur qui se dégagent de ses personnages.




Au centre de tous, Polpette le cuisinier, qui alimente les habitants du Coq Vert et en profite pour nous livrer quelques extraits de son viandier, allègrement parsemés au fil des planches lorsque vient l’heure du repas. Entre un petit-déjeuner, un apéro et un dîner bien costaud, le lecteur pourra profiter des talents culinaires de Polpotte à force de steaks Diane, de bouillons ou encore de Hot Toddy. Des préparations qui ouvrent l’appétit et qui répandent leurs effluves réconfortants sur le reste des pages…


Le bloody Mary de Polpotte…


Le Queen Fiz…


Le Hot Toddy…


L’action se déroule uniquement dans le domaine du Coq vert et dans ses parages les plus proches, paysages naturels et forêts en pagaille. Avec un soin minutieux et un souci du détail apportés à l’élaboration d’un monde imaginaire des plus enfantins, Julien Neel et Olivier Milhaud dressent le portrait de personnages très différenciés et dont la confrontation est à la source de scènes burlesques et de dialogues savoureux.




Le domaine du Coq Vert, résumé dans un croquis détaillé à la fin de l’album, prend quant à lui l’apparence d’une société utopique autosuffisante, qui renouerait avec les plaisirs simples de la nature. D’ailleurs, il est difficile de dater l’époque des aventures qui se trament entre ses murs…
Le Coq Vert me fait penser au village de champignons des Schtroumpfs. Après réflexion, le nombre de points communs entre les deux sociétés me semble très important…



Le plan du Coq Vert…



Le viandier de Polpette ne propose donc rien d’ambitieux au niveau de la réflexion ou de l’originalité, mais je salue tout de même la bonne humeur et la joie qui imprègnent chacune de ces pages. Sans devenir écœurant, cet album saura illuminer les esprits de ceux qui voudront bien s’y abandonner. Un divertissement beau et réconfortant…



L’amour des choses et du travail bien fait parcourt le domaine du Coq Vert jusqu’au choix des ingrédients qui viendront parfumer les plats de Polpotte…


Ci-dessous, l’avis des bêtes trouvé sur le site Bodoï :




Et pour les gourmands qui aimeraient lire plus de recettes, le blog d’Olivier Milhaud : link

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15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 09:27



Synopsis :

Le professeur Laborit part de l'exemple de trois destinées pour illustrer ses théories scientifiques sur le comportement humain.

Trois destinées, celles d'un journaliste directeur des informations d'un poste de radio, d'un fils d'agriculteur recyclé dans une industrie textile elle-même en mutation, et celle d'une fille d'ouvrier devenue styliste, s'entrecroisent en contrepoint des théories formulées depuis son laboratoire par le professeur Laborit, biologiste et analyste des comportements des rats et des hommes vivant en société.


Sous la forme quasi-documentaire, Alain Resnais, en s’aidant des principes et des expériences scientifiques que le professeur Laborit a effectué sur des rats, a voulu illustrer sa vision de la vie en réalisant Mon oncle d’Amérique.




On peut s’amuser en regardant ce film qui propose un scénario et une trame de facture classique, mais pour que le spectateur n’oublie jamais qu’il regarde un film intellectuel (voyons !...), Resnais ne peut s’empêcher d’intercaler des leçons magistrales toutes les dix minutes.
Ce film s’inspire clairement des découvertes en matière de psychiatrie et de psychologie. Les propos et explications du film étaient peut-être novateurs pour l’époque, mais les leçons du prof Laborit ont été ressassées et rabâchées aux oreilles de n’importe quel quidam depuis. Du coup, j’ai parfois eu l’impression de devoir me taper les explications barbantes d’un prof qui essaierait encore de m’expliquer comment faire une addition alors que j’en suis au calcul différentiel. Et comme si cela ne suffisait pas, les acteurs se transforment de temps à autre en souris, pour mieux montrer la ressemblance des hommes avec les comportements stéréotypés des rats de laboratoire qui servent de modèle à la compréhension de la psychologie humaine. Avec ça, si le spectateur n’a pas compris le parallèle entre les expériences de Laborit et les destinées des personnages du film…




Saluons donc la démarche de Resnais qui a eu envie de faire une autre forme de cinéma que celle, conventionnelle, qui se contente « seulement » de mettre en scène des histoires. Il nous a permis de réaliser que les films classiques sont parfois les meilleurs, surtout lorsqu’ils évitent de prendre leur spectateur pour un crétin qui mériterait bien de s’instruire, pour une fois qu’il essaie de perdre son temps en le consacrant à une activité intelligente et rentable.
Il fallait au moins ça pour transformer cette histoire de mœurs classique en un film qui se distingue des autres productions. Bel effort, qui reste toutefois énervant et fatigant tant ses intentions sont à peine voilées…

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 09:20



« Contempler des monceaux de nourriture durable, n’est-ce point voir du temps de reste et des actes épargnés ? Une caisse de biscuits, c’est tout un mois de paresse et de vie. »
Valéry


Ouvrage post soixante-huitard, La société de consommation propose une réflexion novatrice sur cette idéologie qui se répand aujourd’hui sur la quasi-totalité de la planète.

Visionnaire, Baudrillard semblait avoir compris que la société de consommation déclinerait et finirait par se mordre la queue très rapidement. Après avoir vécu pendant des millénaires dans une société constituée d’hommes, voilà que nous vivons depuis peu dans une société principalement constituée d’objets. Leur cycle de vie est court : de l’achat jusqu’à la destruction en passant par l’utilisation (facultative), les objets doivent se renouveler avec frénésie, et pour justifier les achats compulsifs, le dogme du plaisir et du jouir-à-tout-prix a été établi comme moteur du système.

« A proprement parler, les hommes de l’opulence ne sont plus tellement environnés, comme ils le furent de tout temps, par d’autres hommes que par des OBJETS. Leur commerce quotidien n’est plus tellement celui de leurs semblables que, statistiquement selon une courbe croissante, la réception et la manipulation de biens et de messages, depuis l’organisation domestique très complexe et ses dizaines d’esclaves techniques jusqu’au « mobilier urbain » et toute la machinerie matérielle des communications et des activités professionnelles, jusqu’au spectacle permanent de la célébration de l’objet dans la publicité et les centaines de messages journaliers venus des mass média, du fourmillement mineur des gadgets vaguement obsessionnels jusqu’aux psychodrames symboliques qu’alimentent les objets nocturnes qui viennent nous hanter jusque dans nos rêves. »

« Il n’est pas question pour le consommateur, pour le citoyen moderne de se dérober à cette contrainte de bonheur et de jouissance, qui est l’équivalent dans la nouvelle éthique de la contrainte traditionnelle de travail et de production. L’homme moderne passe de moins en moins de temps de sa vie à la production dans le travail, mais de plus en plus à la production et innovation continuelle de ses propres besoins et de son bien-être. Il doit veiller à mobiliser constamment toutes ses virtualités, toutes ses capacités consommatives. S’il l’oublie, on lui rappellera gentiment et instamment qu’il n’a pas le droit de ne pas être heureux. Il n’est donc pas vrai qu’il soit passif : c’est une activité continuelle qu’il déploie, qu’il doit déployer. Sinon, il courrait le risque de se contenter de ce qu’il a et de devenir asocial. »

Pourtant, Baudrillard n’y voit là qu’une justification facile pour couvrir la véritable nature de la société de consommation : il ne s’agit en réalité de rien d’autre qu’une société de différenciation à travers laquelle les hommes s’expriment dans un nouveau langage, celui des objets.

« Les différences « personnalisantes » n’opposent plus les individus les uns aux autres, elles se hiérarchisent toutes sur une échelle indéfinie, et convergent dans des modèles à partir desquels elles sont subtilement produites et reproduites. Si bien que se différencier, c’est précisément s’affilier à un modèle, se qualifier par référence à un modèle abstrait, à une figure combinatoire de mode, et donc par là se dessaisir de toute différence réelle, de toute singularité, qui, elle, ne peut advenir que dans la relation concrète, conflictuelle, aux autres et au monde. »

La société de consommation est un nouveau mode de communication. Plus des que objets, nous achetons des signes, des symboles qui nous réfèrent à un modèle et à travers lequel nous rejoignons une communauté ou une manière de penser. C’est la raison pour laquelle la consommation est un cycle sans fin. Les besoins de l’homme en tant qu’être social sont intarissables, et ce sont eux qui constituent le moteur de la société de consommation, davantage que la sensation d’un manque objectif.

Dissimuler tout cela sous le couvert du désir est néfaste, surtout lorsque l’on nous fait croire que celui-ci est bon par nature. C’est oublier toute l’ambivalence du désir, que nous ressentons mais que nous ne comprenons pas. La violence, l’agressivité et la fatigue des victimes de la société de consommation découleraient de cette ignorance. Lorsque rien d’extérieur à la personne ne peut servir d’exutoire à sa violence, celle-ci ne peut s’en prendre qu’à elle-même.

« Les moralistes […] parlent tous de culpabilité. […] Or, il est clair que cette culpabilité […] s’approfondit […] au fil de l’abondance. Un gigantesque processus d’accumulation primitive d’angoisse, de culpabilité, de refus, court parallèlement au processus d’expansion et de satisfaction, et c’est ce contentieux qui alimente la subversion violente, impulsive, les acting-out meurtriers contre l’ordre même du bonheur. […] La culpabilité, le « malaise », les incompatibilités profondes sont au cœur du système actuel lui-même, et produits par lui au fil de son évolution logique. / Forcée de s’adapter au PRINCIPE DE BESOIN, au PRINCIPE D’UTILITE (principe de réalité économique), c’est-à-dire à la corrélation toujours pleine et positive d’un produit quelconque (objet, bien, service) et d’une satisfaction, par indexation de l’une sur l’autre, contrainte à cette finalité concertée, unilatérale et toujours positive, toute la négativité du désir, autre versant de l’AMBILVALENCE [économistes et psychologues vivent d’équivalence et de rationalité : ils postulent que tout s’accomplit dans l’orientation positive du sujet vers l’objet dans le besoin. Si celui-ci est satisfait, tout est dit. Ils oublient qu’il n’y a pas de « besoin satisfait », c’est-à-dire quelque chose d’achevé, où il n’y ait que de la positivité, ceci n’existe pas, il n’y a que du désir, et le désir est ambivalent], donc toute cette postulation inverse est laissée pour compte, censurée par la satisfaction même (qui n’est pas la jouissance : la jouissance est, elle, ambivalente) et, ne trouvant plus à s’investir, cristallise en un gigantesque potentiel d’angoisse. »

Le message de Baudrillard est fataliste. Impossible d’échapper à la société de consommation. Sa dénonciation ne se réfère qu’à elle, les marginaux sont uniquement des individus qui en exacerbent certains traits particuliers, et la volonté de consommer « différemment » est un signe sur-ostentatoire.

« Certes, l’homme riche qui conduit sa 2CV n’éblouit plus, c’est plus subtil : il se surdifférencie, il se surdistingue par la manière de consommer, par le style. Il maintient absolument son privilège en passant de l’ostentation à la discrétion (surostentatoire), en passant de l’ostentation quantitative à la distinction, de l’argent à la culture. »

La société du divertissement et les mass media n’échappent pas à la règle. Là où l’on croit pouvoir échapper un peu aux contraintes et à la pression exercée par la société de consommation, nous nous retrouvons à nouveau confrontés aux impératifs du bien-paraître (rien de nouveau ici. Depuis le « temps de cerveau disponible », et même bien avant, nous étions déjà au courant).

« Pour des millions de gens sans histoire, et heureux de l’être, il faut déculpabiliser la passivité. Et c’est ici qu’intervient la dramatisation spectaculaire par les mas médias (le fait divers/catastrophe comme catégorie généralisée de tous les messages) : pour que soit résolue cette contradiction entre morale puritaine et morale hédoniste, il faut que cette quiétude de la sphère privée apparaisse comme valeur arrachée, constamment menacée, environnée par un destin de catastrophe. Il faut la violence et l’inhumanité du monde extérieur pour que non seulement la sécurité s’éprouve plus profondément comme telle (cela dans l’économie de la jouissance), mais aussi pour qu’elle se sente à chaque instant justifiée de se choisir comme telle (cela dans l’économie morale du salut). »

Toutefois, l’ouvrage de Baudrillard est salutaire car il met en lumière de nombreux rouages de ce système, et c’est peut-être dans la lucidité que nous pourrons espérer trouver un peu plus d’indépendance vis-à-vis du monde des objets. Balayant toutes les facettes de cette société sur un ton clair, illustré de nombreux cas concrets et faisant références à de nombreux autres penseurs des sociétés modernes (Galbraith, Sahlins, Chombart de Lauwe…), ce livre ouvre les yeux et propose une explication cohérente au malaise qui caractérise la société de consommation.


Quelques passages qui ont retenus mon attention…

Critique de la croissance et du choix de ses critères :

« Dégradation du cadre collectif par les activités économiques : bruit, pollution de l’air et de l’eau, destruction des sites, perturbation des zones résidentielles par l’implantation de nouveaux équipements (aéroports, autoroutes, etc.). L’encombrement automobile a pour conséquence un déficit technique, psychologique, humain, colossal : qu’importe, puisque le suréquipement infrastructurel nécessaire, les dépenses supplémentaires en essence, les dépenses de soins aux accidentés, etc., tout cela sera quand même comptabilisé comme consommation, c’est-à-dire deviendra, sous le couvert du produit national brut et des statistiques, exposant de croissance et de richesse ! »

La société de consommation ne sera jamais une société d’abondance :

« La société de croissance résulte dans son ensemble d’un compromis entre des principes démocratiques égalitaires, qui peuvent s’y soutenir du mythe de l’Abondance et du Bien-être, et l’impératif fondamental de maintient d’un ordre de privilège et de domination. […] L’égalisation tendancielle des revenus […] est nécessaire à l’intériorisation des processus de croissance, laquelle, nous avons vu, est tactiquement reconductrice de l’ordre social, lequel est une structure de privilège et de pouvoir de classe. Tout ceci désigne les quelques symptômes de démocratisation comme alibis nécessaires à la viabilité du système. »

« […] la société de croissance est le contraire d’une société d’abondance. C’est qu’avant d’être une société de production de biens, elle est une société de production de privilèges. Or, il y a une relation nécessaire, définissable sociologiquement, entre le privilège et la pénurie. Il ne saurait (en quelque société que ce soit) y avoir privilège sans pénurie. Les deux sont structurellement liés. Donc, la croissance, à travers sa logique sociale, se définit paradoxalement par la reproduction d’une pénurie structurelle. Cette pénurie n’a plus le même sens que la pénurie primaire (la rareté des biens) : celle-là pouvait être considérée comme provisoire, et elle est en partie résorbée dans nos sociétés, mais la pénurie structurelle qui s’y substitue est, elle, définitive, car elle est systématisée comme fonction de relance et stratégie de pouvoir dans la logique même de l’ordre de la croissance. »

La consommation comme travail social :

« Encore une fois, la consommation est un travail social. Le consommateur est requis et mobilisé comme travailleur à ce niveau aussi […]. Il ne faudrait quand même pas demander au « travailleur de la consommation » de sacrifier son salaire (ses satisfactions individuelles) pour le bien de la collectivité. Quelque part dans leur subconscient social, les millions de consommateurs ont une espèce d’intuition pratique de ce nouveau statut de travailleur aliéné, ils traduisent donc spontanément comme mystification à l’appel de la solidarité publique, et leur résistance tenace sur ce plan ne fait que traduire un réflexe de défense politique. L’ « égoïsme » forcené du consommateur, c’est aussi la subconscience grossière d’être, en dépit de tout le pathos sur l’abondance et le bien-être, le nouvel exploité des temps modernes. »

Critique du système « social » :

« Grâce à ses prélèvements et à ses transferts économiques, l’instance sociale (c’est-à-dire l’ordre établi) se donne le bénéfice psychologique de la générosité, se donne comme instance secourable. Tout un lexique maternel, protectionniste désigne ces institutions : Sécurité sociale, assurances, protection de l’enfance, de la vieillesse, allocations chômage. Cette « charité » bureaucratique, ces mécanismes de « solidarité collective » -et qui sont tous des « conquêtes sociales » - jouent ainsi, à travers l’opération idéologique de redistribution, comme mécanisme de contrôle social. […] D’une pierre deux coups : le salarié est bien content de recevoir sous les apparences du don ou de la prestation « gratuite » une partie de ce dont il avait été auparavant dessaisi. »

Pour terminer, un superbe éloge de la fatigue contemporaine :

« […] la fatigue est une contestation larvée, qui se retourne contre soi et s’ « incarne » dans son propre corps parce que, dans certaines conditions, c’est la seule chose à laquelle l’individu dépossédé puisse s’en prendre. De la même façon que les Noirs qui se révoltent dans les villes d’Amérique commencent par brûler leurs propres quartiers. La vraie passivité est dans la conformité joyeuse au système, chez le cadre « dynamique », l’œil vif et l’épaule large, parfaitement adapté à son activité continuelle. La fatigue, elle, est une activité, une révolte latente, endémique, inconsciente d’elle-même. »


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11 août 2011 4 11 /08 /août /2011 09:13





Résumé :

Les boires et les déboires de Marc Marronnier. Déçu par la vie, par l'amour, par ses amis... par le monde, il ne peut supporter l'idée de divorcer d'une femme qu'il n'aimait plus vraiment et se doit chaque jour se battre pour trouver un sens à son existence.


Avec L’amour dure trois ans, Beigbeder nous fait encore la démonstration de son talent d’ex-publicitaire. L’amour dure trois ans, vraiment ? Et après ça, qu’est-ce qu’on trouve ? Beigbeder répond à son lecteur sur le même ton mordant mais toutefois désenchanté qui avait fait sa marque de fabrique dans 99F.

« Un moustique dure une journée, une rose trois jours. Un chat dure treize ans, l’amour trois. C’est comme ça. Il y a d’abord une année de passion, puis une année de tendresse et enfin une année d’ennui. »

C’est irrémédiable, on ne peut rien y faire, et après un nouveau divorce avec la femme qu’il s’était promis d’aimer, Marc Marronnier (derrière qui se cache Beigbeder) décide de faire du titre de son livre son nouvel adage. Plus de déceptions maintenant, c’est promis : en sachant dès le début que toute nouvelle passion sera périmée au bout de trois ans, il espère ne plus jamais s’effondrer à chaque nouvelle séparation. Et c’est avec cette idée en tête que Marc se lance dans une nouvelle histoire, déployant toute l’ambivalence de ses sentiments : celle-ci, il en est sûr, c’est la femme de sa vie, mais ça ne durera pas plus de trois ans…

« Après trois ans, un couple doit se quitter, se suicider, ou faire des enfants, ce qui sont trois façons d’entériner sa fin. »


La première partie du livre est mordante à souhait. Beigbeder démonte toutes les hypocrisies de la vie matrimoniale et fait ressurgir, avec une honnêteté dans laquelle chacun pourra se retrouver à un moment ou à un autre, tous les travers de la vie en couple.

« Je me suis mis à repousser la main d’Anne sans arrêt. Elle me prenait gentiment la main, ou le bras, ou bien posait sa main sur ma cuisse quand nous regardions la télé, et moi que voyais-je ? Une main molle, blanchâtre, avec la consistance d’un gant Mappa. Je frissonnais de dégoût. C’était comme si elle posait un poulpe sur moi. »


Au fil des pages et de ses rencontres, Beigbeder étaye quelque peu sa vision des choses. Il prend du recul et commence à accepter l’idée d’une vie commune qui ne peut pas être passionnée et enivrante tous les jours. A travers la dénonciation d’une société qui prône l’apparence du bonheur avant le bonheur lui-même, la jouissance de tous les instants et l’impossibilité du malheur, Beigbeder détruit l’idéal de l’amour tel qu’on le lui a imposé pour mieux réfléchir à ce qu’il attend vraiment de la vie en couple.

« Plus on cherche à être passionné et plus on est déçu quand ça s’arrête. Ce qu’il faut, c’est chercher l’ennui, comme ça tu seras toujours surpris de ne pas te faire chier. La passion ne peut pas être « institutionnelle », c’est l’ennui qui doit être la normale –et la passion une cerise sur le gâteau. »

« Autrefois, les mariages résistaient à ce genre de passades. Aujourd’hui les mariages sont des passades. La société dans laquelle nous sommes nés repose sur l’égoïsme. Les sociologues nomment cela l’individualisme alors qu’il y a un mot plus simple : nous vivons dans la société de la solitude. Il n’y a plus de familles, plus de villages, plus de Dieu. Nos aînés nous ont délivrés de toutes ces oppressions et à la place ils ont allumé la télévision. Nous sommes abandonnés à nous-mêmes, incapables de nous intéresser à quoi que ce soit d’autre que notre nombril. »


Les réflexions sont parfois un peu faciles et semblent couler de source, mais même si Beigbeder n’invente rien, cela fait toujours du bien de relire des vérités premières.
Malheureusement, la dernière partie du livre s’embourbe dans un ton mielleux plutôt étonnant pour l’écrivain. Tout à fait surprenant (dans le mauvais sens) Beigbeder se met à nous conter son histoire de prince et de princesse charmants évoluant au milieu des prés en fleurs, riant et s’ébattant dans la paille avant de regarder un coucher du soleil en sirotant un cocktail… Ceci sans ironie aucune, cette idylle d’êtres humains à la Adam et Eve –sans aucunes contraintes d’ordre familial, professionnel, social ou quelconque…- seulement menacée par le spectre des trois ans…
Alors bon, oui, d’accord, ça peut faire du bien de lire un Beigbeder qui, pour une fois, ne tape pas sur tout comme un gamin énervé, mais quand même, cette histoire est un peu trop con pour qu’on y croie. Et comme je préfère Beigbeder en méchant publicitaire plutôt qu’en gentil conteur de fées, je préfère n’en retenir que les passages les plus truculents… :

« Voilà un test très simple pour savoir si vous êtes amoureux : si au bout de quatre ou cinq heures sans votre maîtresse, celle-ci se met à vous manquer, c’est que vous n’êtes pas amoureux –si vous l’étiez, dix minutes de séparation auraient suffi à rendre votre vie rigoureusement insupportable. »

« […] faire l’amour est tellement plus agréable quand on est amoureux. Cela donne aux femmes l’impression que les préliminaires durent plus longtemps, et aux hommes l’impression qu’ils passent plus vite. »

"Il n'y a pas de femme moche, il n'y a que des verres de vodka trop petits."

« A part une casserole de lait qui déborde, il n’y a pas grand-chose sur terre de plus sinistre que moi. »


A bon entendeur !

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10 août 2011 3 10 /08 /août /2011 09:37



Synopsis :

A travers une galerie d’instants volés, passés ou présents, l’histoire d’un amour que l’on pensait avoir trouvé, et qui pourtant s’échappe… Dean et Cindy se remémorent les bons moments de leur histoire et se donnent encore une chance, le temps d’une nuit, pour sauver leur mariage vacillant.



Le thème de Blue Valentine n’est peut-être pas original, je suis d’accord. Le délitement d’une passion amoureuse, la fin d’une complicité qui semblait pourtant ne jamais devoir s’effriter, l’éclatement d’un noyau familial… sont des sujets qui ont été exploités et jusqu’à en donner la nausée. Tous ces films tellement moches, plats et banals sur l’effritement du sentiment amoureux finissaient presque par atteindre leur but et par transformer le divorce ou la séparation en un acte d’une lâcheté sans égale. Avec Blue Valentine, ce n’est pas le cas. La séparation est longue, difficile. Elle nécessite de la force et du courage. Même si les sentiments à l’égard de l’autre ont complètement disparus, il faut accepter de détruire d’autres liens, de renoncer à ses idéaux et à son confort pour affronter la solitude et l’errance.


Le plaisir du spectateur est aussi celui du voyeurisme. A la fois sadique et masochiste, on accepte de se glisser dans la peau de Dean, lorsqu’il se fait rejeter à plusieurs reprises alors même qu’il déploie une volonté et une énergie à toutes épreuves pour sauver son couple, puis dans celle de Cindy, qui prend plus de plaisir à repousser son mari qu’à accepter ses caresses et les preuves de son affection.
Les dialogues sont cinglants, toujours très justes. Les situations sont d’une honnêteté et d’une lucidité déroutantes. Il ne faut certainement pas aller voir ce film en couple, sous peine d’y perdre quelques plumes.

La construction du film, tout en flashbacks et en parallèles entre le présent et le passé du couple, peut passer pour une ruse de cinéaste désirant donner un peu de piment à la narration de son histoire. Même si les comparaisons sont parfois convenues, à l’exemple de la chanson d’amour, pleine d’espoir au début de leur histoire, puis mélancolique à la fin, elles rajoutent de l’intérêt au film et font vaciller le spectateur du sentiment de l’euphorie au sentiment d’échec, les deux états étant tout aussi jouissifs l’un que l’autre, mais pour des raisons différentes.


Il y a dans Blue Valentine un mécanisme qui fait émerger tous les sentiments les plus vicieux du spectateur. Il faut ensuite réussir à les accepter… Pour ma part, ça n’a pas été difficile. Pour une fois qu’un film aussi réaliste que celui-ci ne se termine pas dans un compromis mièvre et tendre, je n’irais pas cracher sur mon plaisir. Un peu de méchanceté de temps en temps ne fait pas de mal, surtout lorsque c’est aussi bon que dans Blue Valentine.

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