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6 février 2013 3 06 /02 /février /2013 18:11





Blade Runner fait partie de ces grands films auxquels on ne peut pas échapper, qu’on le veuille ou non. Moi-même, je n’y ai d’ailleurs doublement pas échappé. Après l’avoir déjà vu une fois, il y a quelques années, je me suis rendue compte qu’il ne m’en restait aucun souvenir. Où avais-je donc la tête au moment de sa visualisation ? Est-il possible de regarder un « grand film » et de ne plus s’en souvenir ? Pour n’avoir plus aucun doute concernant l’état de ma mémoire, j’ai voulu le regarder une seconde fois. Conclusion : je comprends pourquoi il ne m’en restait rien.


Si Blade Runner est impressionnant, c’est essentiellement grâce aux décors et aux atmosphères que Ridley Scott met en place pour décrire le Los Angeles de 2019. La nuit perpétuelle qui semble régner entre en contraste avec les lumières artificielles des centres commerciaux et des automobiles spatiales ainsi qu’avec les lumières industrielles des usines à haut rendement énergétique. En bas, les piétons animent les rues d’une vie grouillante et indistincte.







Le mérite du scénario ne revient pas au réalisateur puisque Blade Runner est une adaptation de Philip K. Dick. Reste à lire ce dernier pour juger de la fidélité du film à l’égard du matériau de base, mais je doute que celle-ci ait été entière. Là où Philip K. Dick s’est certainement trituré l’esprit pour inventer un système retors aux implications prenant des dimensions métaphysiques, Ridley Scott se concentre essentiellement sur la trame dramatique. Son film n’est pas mauvais, mais il n’est pas bon non plus car une fois dépassé l’émerveillement qui résulte de la découverte de l’univers de Blade Runner, son film ressemble à n’importe quel autre film d’action avec flingues et course-poursuites.




Pas d’ennui, mais pas de frémissement ontologique non plus. Voilà pourquoi Blade Runner avait disparu de ma mémoire, contrairement aux souvenirs artificiels incorporés aux consciences des réplicants : il ressemble à n’importe quel autre film et, ce faisant, le voilà rangé dans l’anonymat de cette catégorie des « pas mauvais mais pas bons non plus ». Et ce n’est pas le petit final métaphorique à base de licorne, censé réveiller le spectateur endormi au dernier moment, qui viendra corriger la semi-lassitude éprouvée au cours du film. Il ne suffit pas d’une jolie pirouette pour s’attirer l’indulgence…

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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 18:35
 






« Ta gueule Bukowski ! »



Si Charles Bukowski avait écouté ce cri du cœur lancé par François Cavanna en 1978, la moitié ou presque de sa bibliographie n’aurait jamais vu le jour. Mais on se doute bien que les insultes et autres preuves de dégoûts n’ont pas valeur performative –auquel cas le monde bruisserait seulement de cris éperdus suivis d’un silence long et constant.


L’épaisseur de l’ouvrage consacré aux insultes littéraires nous porte nous-mêmes à nous exclamer : tant de langues de vipères ! Finalement, on se rendra compte que Pierre Chalmin a certainement dû effectuer une sélection coriace car le nombre d’insultés n’est pas si important qu’on ne pourrait le croire, et pour chacun d’entre eux, le nombre d’insultes se fait parfois peau de chagrin –sauf pour les plus célèbres, ce qui nous permet de vérifier l’adage selon lequel grandeur de l’œuvre et nombre de détracteurs sont proportionnels …
Comme il serait dommage que l’on se mette à notre tour à vilipender Pierre Chalmin, on imagine que celui-ci a fait de son mieux pour sélectionner les injures les plus réussies et les plus drôles, destinées aux personnalités les plus universellement connues.


Pourquoi l’idée de ce Dictionnaire des injures littéraires est-elle réjouissante ? Parmi la liste infinie des raisons que l’on pourrait trouver –car tout est infini lorsqu’il s’agit de l’esprit humain, comme nous le prouve Pierre Chalmin-, citons les principales :

• Parce qu’à force de ne lire que louanges et éloges sur les Grands Hommes de ce monde, on aurait presque fini par se sentir bourbeux. Voici enfin des preuves que le talent voire le génie sont des critères essentiellement relatifs.
• Parce qu’imaginer ces figures de renommée en piètre position constitue tout l’attrait qui nous pousse à nous vautrer corps et âmes dans les plus crasses comédies (« Je me souviens surtout qu’il me vomissait dessus quand il était saoul » -souvenir d’Apollinaire).
• Parce que même les lanceurs d’insultes finissent par perdre leur aura lorsqu’ils se déchaînent à vouloir briser celle de leurs concurrents (« Maître Abailard, espère de bourru et d’imbécile qui n’a gagné à tous ses amours que d’avoir un testicule de moins », dixit Flaubert).
• Parce qu’au jeu de l’insulte, la force intellectuelle se déploie au détriment de la force physique et qu’il faut rivaliser de ruse et d’aisance verbale, donnant souvent lieu à des ingéniosités qui font se croiser l’ironie, la métaphore, le calembour et l’éclat de la chute (« Jacques Ségéla est-il un con ? De deux choses l’une : ou bien Jacques Ségéla est un con, et ça m’étonnerait quand même un peu ; ou bien Jacques Ségéla n’est pas un con, et ça m’étonnerait quand même beaucoup ! », dixit Pierre Desproges).



Bukowski par Jean-Michel Gruet



Mais le plus intéressant dans ce Dictionnaire de l’injure littéraire constitue en ce que, bien que littéraires, toutes ces invectives peuvent être judicieusement détournées et adaptées à bon escient à chaque emmerdeur ou prétentieux de votre entourage. Certaines, comble de la perfection, pourront même être servies telles quelles par la magie de leur pertinence universelle…


« Edern va se faire arranger les dents. Elles sont aussi pourries que ses pieds, sauf que celles-ci, au moins, se déchaussent ! »


En espérant, bien sûr, que votre adversaire possède encore dents et membres inférieurs…


Sélection...


Citation:
[Sur Bertolucci]
L’autre jour, je suis allé voir le dernier Bertolucci, et je me suis assoupi pendant la pub. Quand je me suis réveillé, le film était commencé. La différence ne m’a pas frappé.
Jean-Luc Godard, Le Figaro



Citation:
[Sur L.F Céline]
M. Céline fait beaucoup penser à une dame qui aurait des difficultés périodiques ; ça lui fait mal au ventre, alors elle crie et elle accuse son mari. La force de ses hurlements et la verdeur de son langage amusent la première fois ; la deuxième fois, on bâille un peu ; les fois suivantes, on fiche le camp et on la laisse crier toute seule.
Jean Renoir, Ecrits



Citation:
[Sur Catherine Deneuve]
Un jour, elle était furieuse parce que Télérama avait écrit qu’elle était une star étale –jusqu’à ce qu’on vérifie tous les deux, dans le Robert, que l’adjectif étale ne signifie pas obligatoirement étalée.
Patrick Besson, l’Evènement du jeudi



Citation:

[Sur Emmanuel Kant]
Le kantisme a les mains pures ; par malheur, il n’a pas de mains.
Charles Péguy, Victor-Marie, comte Hugo



Citation:

[Sur Patrick Modiano]
Conversation avec Modiano :
« Comment allez-vous ?
- Je, oui, je…
- Vous travaillez ?
- Oui, je, je …
- Le livre, ça marche ?
- Je, je, oui… »
Au bout d’un quart d’heure, il prononce des verbes. Au bout d’une demi-heure, des compléments. Ainsi, sans doute, devient-on écrivain.
Matthieu Galey, Journal, 7 janvier 1970

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4 février 2013 1 04 /02 /février /2013 19:16





Difficile de parler d’une jeunesse que je n’ai pas connue. Le premier volume de la série Agrippine sort en 1988 et préfigure le début d’une suite d’aventures qui affecteront ses personnages jusqu’en 2009 –de quoi porter un regard relativement vaste sur l’image reflétée par la jeunesse au cours de vingt longues années.




Pour le moment, Agrippine me renvoie à l’avant-dernière décennie du siècle passé –une époque dont je n’ai pas été témoin. Pourtant, rien ne me semble étranger au monde décrit par Claire Bretécher et passé au prisme du regard contestataire et grinche d’Agrippine. Coca, soutifs, télé, lycée… tel est le quotidien de cette princesse charmante moderne en laquelle la grâce s’incarne sous la forme d’un minois crispé et d’une moue boudeuse de tous les instants. La préciosité des siècles précédents est bien loin ! Les « pouffes » de la nouvelle génération se définissent par un langage composé d’un minimum de 50% de « GIGA », par la recherche de blé auto-producteur, par la palpation-comparaison de la taille des « nibards » et par la sophistication de la pose du « doigt dans le nez » comme parodie au Penseur de Rodin.





Derrière toutes ces mimiques, en fait savantes poses symboliques porteuses de messages stéréotypés à part entière, Agrippine la superficielle semble vouloir chercher des réponses à ses questions métaphysiques : comment ne pas échouer à la manière de mes parents ? quelle image donner de moi pour me faire accepter par les autres ? de quoi sera fait mon avenir ? …Le tout est évoqué dans une langue inventive par une Claire Bretécher qui n’a pas le sens de l’humour dans la poche et qui, si elle fut elle aussi une Agrippine du plus beau ressort, n’a pas honte de nous en livrer les mécanismes de pensées les plus intimes et les plus avilissants.


Citation:
En 94 je me fais poser des seins. En 97 je me fais liposucer les cuisses. En 98 je me fais rajouter du menton. Là je peux commencer à vivre donc je m’occupe de ma carrière. Entre 2 et 6 j’ai 3 enfants. En 7 je me fais retendre le ventre. Entre 8 et 18 je gère mes réussites professionnelles, émotionnelles et familiales. En 19 lifting complet de la tête aux pieds. C’est après que je ne sais pas quoi faire.




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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 13:18
 






On ne se lance pas dans la lecture de la Pianiste avec la confiance béate du lecteur qui attend de l’écrivain une connivence partagée –une sorte d’attention presque filiale. Et pour cause, Elfriede Jelinek ne peut visiblement pas supporter les dominations familiales, qu’elle s’évertue à détruire avec une rage insensée dès les premières lignes de son livre –avant qu’on ne se rende compte que, plus vraisemblablement, elle ne rejette pas uniquement les liens familiaux mais toutes les chaînes qui cadenassent les individus dans des relations où chacun y perd de sa « liberté ».


Elfriede Jelinek elle-même se défend de ces dépendances jusqu’à maintenir très loin d’elle ses personnages. Elle les repousse d’une façon subtile, en les réduisant à l’état d’objets manipulés par des forces qu’ils ne contrôlent pas. Le procédé vire parfois à l’acharnement. Elfriede Jelinek cherche à se défendre tant et si bien que sa propre vulnérabilité semble elle-même sans borne, à l’instar de ses personnages. Elfriede Jelinek, terrorisée, n’aurait-elle pas trouvé d’autre moyen que de les brutaliser et de les malmener jusqu’au ridicule pour se préserver du phénomène pourtant inévitable qui se met en place à chaque nouvelle relation : la dépendance, en degrés et en nature divers ? Si on veut aller plus loin, on peut se demander quelles intentions sont à l’œuvre derrière cette volonté frénétique. On discernerait alors un individualisme forcené qui cherche à tout prix à préserver une identité considérée comme absolue en soi mais dégénérée par les influences extérieures. C’est curieux, car Elfriede Jelinek ne s’interroge jamais sur les caractéristiques de cette identité pure. Que serait Erika si elle n’était pas retenue par les chaînes que lui impose sa mère ? Elle se permettrait des audaces vestimentaires qui exacerberaient sa féminité et ne serait peut-être plus obligée de canaliser sa sexualité dans des peep-shows tristement dépeints, mais serait-ce là l’expression de sa véritable volonté ? Comment être sûr que le moindre acte accompli ne l’est pas en vigueur d’une instance extérieure à soi-même ?


« Avant-goût de la chaleur et du confort douillet qui les attend dans le salon. Dont personne n’a fait échapper la chaleur. Peut-être arriveront-elles même à temps pour le film de minuit à la télévision. […] Erika aspire de toutes ses fibres à son doux fauteuil de télévision derrière une porte bien verrouillée. Elle a sa place attitrée, la mère a la sienne et pose souvent ses jambes enflées en hauteur, sur un pouf persan. […] Erika aimerait surtout retourner dans le ventre maternel, s’y laisser bercer dans la douceur et la chaleur des eaux. »



Elfriede Jelinek est agaçante car ses réflexions sont simplistes. Les grossièretés réductrices s’accumulent, surtout au cours des premières pages, comme si, après avoir annihilé tous les liens avec ses personnages en manquant au respect de leur dignité, Elfriede Jelinek cherchait à détruire jusqu’aux liens qui auraient pu l’unir avec son lecteur. Chaque phrase semble une épreuve de patience qu’elle inflige au lecteur devant ses poses superficiellement provocatrices. Avec une rage qui susciterait presque notre pitié pour cette pauvre fille aussi dégoûtée que son personnage Erika, Elfriede Jelinek s’attaque d’abord à la figure maternelle, puis à la culture et à ses apprentissages paradoxalement barbares, ensuite à la monotonie de la vie urbaine avant de terminer par un massacre du sentiment amoureux. Rien ne trouve grâce aux yeux de Jelinek. Et nous l’observons dynamiter le paysage qui l’entoure avec le regard imperturbable du spectateur extérieur. La mise à distance a si royalement fonctionné que le lecteur ne s’émeut plus de rien. Tout est moche, gris et déprimant, mais telles sont les impressions ressenties par Erika/Jelinek, et elles ne parviennent jamais à se propager jusqu’au lecteur qui observe tout cela dans un mélange d’ennui, de pitié et d’amusement.


« En allant à l’école, Erika voit partout de façon quasi obsessionnelle le dépérissement des êtres humains et des victuailles, elle ne voit que rarement croissance et prospérité. »


Ainsi, ce n’est pas le thème de la Pianiste qui provoque une certaine forme de rejet mais l’écriture chiquée d’Elfriede Jelinek. Dans la préface du livre, Yasmin Hoffmann justifie ainsi ce ton :


Citation:
« L’on sait depuis Nietzsche que le rire est bien plus assassin que la colère, aussi Elfriede Jelinek assassine-t-elle les mots avec les mots. Elle les défigure, les retaille, les décompose pour les recomposer dans un sens inconnu mais toujours compréhensible, car son projet n’est pas seulement d’ordre formaliste : l’enveloppe subsiste, mais rendue transparente par la manipulation, afin que l’on perçoive tout ce qui peut se nicher dans un discours sur la famille, l’éducation, la langue, et par là même empêcher le lecteur de s’identifier et maintient une distance entre le texte et le lecteur dont elle interpelle l’esprit critique, et qu’elle invite à condenser ce qu’elle a déplacé. »



L’adhésion ou non à la lecture de la Pianiste résulte peut-être d’une subtile alchimie : chacun appréciera à sa manière la distance dont fait preuve Elfriede Jelinek. Si celle-ci convient au lecteur, alors peut-être pourra-t-on se sentir impliqué dans les évènements qui constituent la substance de ce livre. Quoiqu’il en soit, il est certain qu’Elfriede Jelinek n’est pas un écrivain anodin, en témoigne l’évolution du regard que j’ai pu porter sur son histoire au cours de ma lecture : alors que je la trouvais simplement misérable et ridicule dans les premières pages du livre, mon intérêt n’a cessé de s’accroître par la suite en raison des différents niveaux allégoriques qu’elle déployait. Reste simplement que les fréquences d’émission de Jelinek n’ont pas trouvé réception en moi. Elfriede Jelinek a accompli sa mission : nous ne deviendrons pas dépendantes l’une de l’autre dans une de ces énièmes relations aliénantes –dont la relation écrivain-lecteur fait bien évidemment partie.
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2 février 2013 6 02 /02 /février /2013 18:18






Robert et Raymonde s’aventurent sur des territoires audacieux. Bidochon, soyez les bienvenus en territoire kafkaïen ! Ne connaissiez-vous pas encore la complexité du système administratif à l’accueil d’un hôpital ? L’ongle incarné de cette pauvre Raymonde s’en souviendra certainement longtemps… Dans un enchaînement de cause à effet contre lequel il semble impossible de lutter, les Bidochon vont goûter jusqu’à plus faim des services tertiaires de la période post-industrielle.





L’hôpital, qui avait déjà fait l’objet d’une représentation approfondie dans le volume des Assujettis sociaux, ne sera pas le seul à souffrir du regard affuté de Binet. Les flics mal débroussaillés de la moustache sont dépeints dans toute leur arrogance bornée, illustrant à la perfection ce paradoxe qui voudrait que moins l’on en sait, plus l’on en dit. Les services fiscaux et sociaux s’emmêlent les pinceaux et nous font remuer dans sa tombe notre pauvre vieux Robert, pourtant plus vivant que jamais lorsqu’il s’agit de taper du poing sur les tables. A ce jeu-là, il trouvera toutefois de la concurrence puisque l’on n’entre pas dans les services fiscaux à sa guise : ceux-ci sont en effet gardés par de puissants cerbères d’autant plus incontournables que leur innocente apparence de secrétaire ne laissait rien douter de leur agressivité.




Emmené dans ces systèmes labyrinthiques de force plutôt que de gré, Robert finit par perdre la tête. Pour la première fois depuis le début de la série, les Bidochon s’autorisent une incursion vers le côté fantastique de l’existence, ramant péniblement sur des fleuves de paperasses indigestes. Bercés par le murmure des flots, nous nous rappellerons cette question étrange, posée à Raymond par un agent de la sécurité des plus louches : « Et comment l’ongle incarné pouvait-il être au parking si ta femme était dans la voiture ? »…






Oui, Binet vire à l’absurde, et s’il arrive à nous prouver que Raymond peut être mort tout en étant vivant, il parvient également à ressusciter Ionesco et son humour désespéré ! Si le thème n’est pas original dans l’œuvre des Bidochon, on ne pourra toutefois pas dénier que son traitement se fait toujours de la manière la plus convaincante possible pour le lecteur… Et gare si vous n’aimez pas ! L’armoire normande –pourfendeuse des ennemis des Bidochon- risquerait bien de meurtrir votre entendement…


Citation:
- Bon dieu ! Quelle bouillie !! Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Monsieur Merlan vient d’être écrasé par une armoire normande !
- Une quoi ?


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1 février 2013 5 01 /02 /février /2013 13:17






Mieux vaut tard que jamais… Le Nouvel Observateur s’est souvenu de l’importance de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss à sa mort, en octobre 2009, pour lui dédier un numéro hors-série. Peut-être valait-il mieux, en effet, attendre la mort du grand ethnologue/anthropologue (mais aussi philosophe, linguiste, mythologue, historien, explorateur…) pour revenir sur sa carrière avec la certitude qu’il ne viendrait plus ajouter de nouveaux apports au grand édifice de son œuvre. En effet, même si Claude Lévi-Strauss semble avoir écrit tous ses ouvrages principaux avant la dernière décennie du 20e siècle, il ne cessa jamais sa réflexion concernant les sociétés, leurs mythes et leur évolution de chaque instant. L’ethnologie, telle que la pratique Claude Lévi-Strauss, est un travail qui ne peut cesser qu’à condition que la vie cesse à son tour.





Cet hors-série du Nouvel Observateur nous permet de voir à quel point l’œuvre et l’existence sont imbriquées chez Claude Lévi-Strauss. Les documents publiés ne sont pas inédits : on assiste plutôt à une rétrospective et on ouvre cet hors-série comme on prendrait sur ses genoux un album photo, afin de se remémorer les souvenirs les plus marquants de la vie d’un homme. Claude Lévi-Strauss est peut-être mort, mais il suffit de le lire et de s’imprégner de ses idées pour poursuivre son œuvre et son ambition: celle de considérer l’humanité dans ses différentes formes civilisationnelles comme un tout tentant éperdument de se donner un sens et une histoire propres. Des idées qui émerveillent davantage que la plupart des romans fantastiques…

Citation:

Quand nous commettons l'erreur de croire le sauvage exclusivement gouverné par ses besoins organiques ou économiques, nous ne prenons pas garde qu'il nous adresse le même reproche, et qu'à lui son propre désir de savoir paraît mieux équilibré que le nôtre.





Citation:

Freud est prodigieusement intéressant pour le mythologue puisqu'il a le don de fabriquer lui-même des mythes ou des variétés de mythes que sont les interprétations qu'il a proposées et qui sont merveilleusement bien construites.




Citation:


Le Japon est un pays qui m'attire, où tout me séduit : la nature, la culture et les gens. Probablement parce que c'est un système comparable à notre système, mais inversé.


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31 janvier 2013 4 31 /01 /janvier /2013 20:29






Lorsque Renée s’entaille le bras, ce ne sont pas des gouttes de sang qui s’échappent d’elle mais des répliques innombrables d’un petit enfant bossu au visage déformé par la terreur… Ce petit garçon fait écho aux évènements vécus par Renée ; il semblerait que pas un jour ne se passe sans que sa vision ne s’impose à elle. Pas que ça l’enchante mais sans lui, Renée serait seule… sa solitude la pousse d’ailleurs à s’accrocher au premier venu –au premier musicien venu. Si l’humanité lui semble laide, seuls ceux capables de produire un peu de beauté musicale la réconfortent. C’est ainsi que Renée se surprend à suivre un vieux musicien de jazz qu’elle invite chez elle pour une nuit avant de découvrir qu’il est marié. Les sentiments ne sont pas chose habile à manier : il s’y mêle dépendance et dégoût de l’autre, haine de soi-même, veulerie, lâcheté… Et lorsque le passé s’entasse par-dessus tout, on peut y rattacher des fantasmes parfois cruels qui essaient de combler le manque d’amour originel, cause de toute la tristesse des personnages créés par Ludovic Debeurme.





A l’histoire de Renée viennent s’ajouter les histoires déjà évoquées dans le premier volume intitulé Lucille. On retrouve donc cette dernière, guérie de son anorexie par l’amour qu’elle partage avec Arthur. Malheureusement, celui-ci est mis au bagne et cohabite en cellule avec des détenus difficiles à cerner ; où la promiscuité imposée ressemble parfois à s’y méprendre à l’harmonie supposée de la vie conjugale…



« Certains fous, on ne devrait pas les associer… Aucune magie à la sortie de l’éprouvette. »




Et petit à petit, alors qu’il avait réussi à surmonter son passé et sa généalogie, Arthur redevient Vladimir, le flambeau de son père mort en mer. Il s’éloigne de la réalité, perd Lucille et finit par se perdre lui-même totalement.


En variant les thèmes, en faisant intervenir de nouveaux personnages à la psychologie fouillée et aux caractères crédibles, Ludovic Debeurme fait intervenir dans Renée le même processus que celui mis en œuvre dans Lucille. Il prend ses personnages et les imbibe de désespoir. Il en ressort de petites figures sans consistance, molles, incapables de s’extraire elles-mêmes du bain morbide dans lequel elles se sont plongées. Ludovic Debeurme appuie le trait et n’a pas peur de jouer sur le pathétique. Et puis, peu à peu, il fait se croiser les bons personnages. Dans Lucille, la rencontre de la jeune fille avec Arthur leur fut salvatrice ; dans Renée, ce sera l’amitié liée entre les deux souffrantes qui leur permettra de s’élever un peu de leur réalité crasse et de surmonter les souvenirs lancinants des failles éprouvées.





Avec Ludovic Debeurme, le bonheur n’est jamais total. Il ressemble plutôt à de la mélancolie et semble très fragile. Si le malheur est vécu concrètement par les personnages, la joie, elle, se symbolise par des rêveries incertaines et des visions hallucinées. Encore une fois, il s’agirait presque d’un échec, et on se demande si tout a vraiment été résolu à l’issue de la lecture de ces deux volumes. Un sentiment d’inachevé demeure encore…
Tant de chemin parcouru pour une récompense aussi minuscule ? …


Citation:
C’est tellement dur d’avoir à lutter contre soi. On y gagne si peu… Pour tout ce qu’on laisse en chemin.




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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 19:24





Quinze années d’une existence peuvent paraître longues. Si on demandait à chacun d’en résumer les évènements, les rencontres et les pensées afin d’en tirer l’analyse d’une évolution individuelle, on imagine facilement qu’il y aurait de quoi remplir un bon feuillet de pages. Quid alors de quinze années notifiées au jour le jour ? Pour Cesare Pavese, il n’est pas nécessaire de remplir une somme au volume extravagant. Quatre cent pages suffisent amplement à l’écrivain pour s’analyser au cours de cette période.


Cesare Pavese s’engage pour le métier de vivre en 1935, à l’âge de 28 ans, et s’y tient jusqu’à sa mort –une démission par suicide- en 1950. Pas forcément régulier, faisant parfois preuve d’un absentéisme tenace lorsqu’il délaisse carrément son Métier de vivre pour de longs mois, sans justification ni explication, il nous permet de suivre l’évolution de sa carrière d’écrivain, du grand inconnu qu’il était encore en 1935, à l’homme de lettres reconnu qu’il devint au fil des ans, particulièrement au faîte dans les années 1948-1949. A croire que la gloire littéraire ne peut pas faire tout le bonheur d’un homme qui misait pourtant sur la reconnaissance de sa nature « poétique » lorsqu’il était encore jeune… Et de constater que plus Cesare Pavese trouvera confirmation de son talent, moins il s’évertuera à se proclamer poète, rêve naïf et halluciné d’un jeune homme qui croyait alors pouvoir trouver le bonheur de l’accomplissement à travers l’écriture. A cette époque, les poses se multiplient. Agaçantes, elles donnent à voir un jeune homme qui semble prétentieux –si nous ne poursuivions pas notre lecture au fil des années pour découvrir ce qui se cachait en réalité derrière ces velléités.


« Un poète se plaît à s’enfoncer dans un état d’âme et il en jouit ; voilà la fuite devant le tragique. Mais un poète devrait ne jamais oublier qu’un état d’âme pour lui n’est encore rien, que ce qui compte pour lui c’est la poésie future. Cet effort de froideur utilitaire est son tragique »


La reconnaissance littéraire venant, Cesare Pavese cessera de se complaire dans ces poses fantasmées. Son rêve s’est accompli, c’est-à-dire qu’il s’est détruit et qu’il lui accorde à peine la satisfaction nécessaire pour continuer à survivre. Tel est le malheur que Cesare Pavese nous révèle du bout de la plume à travers ses confessions.


« Le problème n’est pas la dureté du sort, puisque l’on obtient tout ce que l’on veut avec une force suffisante. Le problème, c’est plutôt que ce que l’on obtient dégoûte. Et alors, on ne doit jamais s’en prendre au sort, mais à son propre désir. »


Cette difficulté, Cesare Pavese la retrouve aussi –et surtout- dans sa vie sociale. Que les amis soient une source d’ennui passe encore : l’écrivain sait se donner toutes les apparences de la cordialité, et le bonheur qu’il dit éprouver lorsqu’il se retire enfin du cercle des mondanités compense tous les désagréments. Mais lorsqu’il s’agit des femmes… Cesare Pavese avoue aimer comme un éternel adolescent et se lamente, au fil des ans, de ne pas savoir apprendre de ses erreurs sentimentales et d’éprouver dans ce domaine les mêmes sentiments contradictoires que dans la reconnaissance littéraire. Il lui suffit d’obtenir une femme pour cesser de la désirer, et si celle-ci reste distante et lui livre un amour médiocre, alors seulement il croit éprouver des sentiments inaltérables qui le conduisent à chaque fois à la déception amoureuse. Sans doute pour ne pas sombrer dans l’écriture poisse du malheur, l’homme déçu se complaît dans la misogynie et nous livre des réflexions crues et désabusées sur le sentiment amoureux.




« Tu es pour les femmes que tu aimes comme, pour toi, une de ces femmes qui te font débander. »


Impossible pour cet homme de se débarrasser d’une souffrance qui semble s’être faite de plus en plus sincère au fil des ans. La faute à la littérature ? Alors que Cesare Pavese semblait chercher à la stimuler lors de ses jeunes années, croyant peut-être qu’il s’agissait là d’un matériau littéraire digne d’étude, celle-ci finit par faire partie intégrante de sa vie. Se révélant alors telle qu’il ne l’avait jamais imaginée, il se rend compte que la souffrance n’a rien de noble. Mais elle s’est installée. Ainsi, même si l’existence de Cesare Pavese est d’une lecture douloureuse –à condition d’y mettre de l’empathie-, elle ne fait pas l’apologie du sacrifice personnel au profit de convictions ou d’idéologies quelconques. Les pensées de Cesare Pavese seraient presque un avertissement lancé au lecteur qui croirait encore aux bénéfices réparateurs des souffrances mentale et morale :


« On accepte de souffrir (résignation) et puis l’on s’aperçoit qu’on a souffert et voilà tout. Que la souffrance ne nous a pas servi et que les autres s’en fichent. Et alors on grince des dents et on devient misanthrope. Voilà. »


Pour autant, Cesare Pavese ne délaisse pas un instant la littérature. Son Métier de vivre, lui-même, est littérature. Avertissant ses proches de son désir de le voir publier, il n’est pas rare que l’écrivain s’arrête parfois pour réfléchir aux bénéfices de cette conversation qu’il livre à lui-même. Peut-être désespéré par l’absence de fondations qui constitueraient sa vie personnelle, il espère trouver du sens et se donner de la consistance à travers le jus qu’il presse de ses idées :


« Tu découvres aujourd’hui que le parcours que refait chacun de ses propres ornières t’a angoissé pendant un certain temps […], et puis […] ce parcours t’est apparu comme le prix joyeux de l’effort vital et, en fait, depuis lors, tu ne t’es plus plaint, mais […] tu as recherché avec plaisir comment ces ornières se creusent dans l’enfance. […] Tu as conclu […] par la découverte du mythe-unicité, qui fond ainsi toutes tes anciennes hantises et tes plus vifs intérêts mythico-créateurs.
Il est prouvé que, pour toi, le besoin de construction naît sur cette loi du retour. Bravo. »


Aucune trace en revanche –ou si peu- de ses convictions politiques, qui le rattachèrent d’abord au fascisme dans les années 1935 avant de le voir se tourner vers le communisme dix ans plus tard. Ces engagements constituaient-ils encore un apparat ? Une manière d’entrer activement dans la vie pour se défendre des tendances qui semblaient au contraire vouloir sans cesse retirer Cesare Pavese de l’existence sociale ? Où se trouvait l’homme véritable ? S’agissait-il de l’image publique qu’il cherchait à renvoyer, ou de l’image intime qu’il livre à travers son Métier de vivre ?


« Ils parlent de gueuletons, de faire la fête, de se voir… Braves amis, amies, gens sains et braves. Toi, tu n’en éprouves même pas l’envie, le regret. Autre chose presse. »



Sans doute lui-même ne le sut-il jamais. Mais à quoi bon chercher, lorsqu’on finit par comprendre que cette poursuite d’une identité, qui ne peut de toute façon jamais être assurée, conduisit Cesare Pavese au suicide ?





Qu’on connaisse l’écrivain ou non, qu’on l’apprécie ou pas, son Métier de vivre est un livre qui trouvera écho en chacun. Parce qu’il traite de thèmes universels, à peine passés à travers le prisme de la subjectivité d’une existence singulière, il trouvera une résonnance devant laquelle on ne pourra pas rester insensible. Qu’on se reconnaisse dans les angoisses de l’écrivain, qu’on s’amuse de sa vision du monde désabusée, qu’on se passionne pour ses considérations éclairées sur la littérature et le théâtre, que l’évolution de son identité sur quinze années mouvementées nous donne l’impression d’être un scientifique se penchant sur le cas d’un rat de laboratoire –et peut-être pour tout ça à la fois- il est impossible de ne pas trouver son intérêt personnel au Métier de vivre de Cesare Pavese qui est, peut-être, un peu le métier de vivre de chacun…



A la mémoire de George Dyer - Francis Bacon



Beaucoup de nostalgie dans toutes les réflexions évoquées par Cesare Pavese...


Citation:
« Le problème déjà souvent effleuré se rouvre : tu ne t’aperçois pas que tu vis parce que tu cherches le nouveau thème, tu passes, hébété, les jours et les choses. Quand tu auras recommencé d’écrire, tu penseras seulement à écrire. En somme, quand est-ce que tu vis ? que tu touches le fond ? Tu es toujours distrait par ton travail. Tu arriveras à la mort, sans t’en apercevoir.
Voilà pourquoi l’enfance et la jeunesse sont source éternelle : alors, tu n’avais pas un travail et tu voyais la vie avec désintéressement. »



Citation:
« Pour que la gloire soit agréable, il faudrait que les morts ressuscitent, que les vieux rajeunissent, que reviennent ceux qui sont loin. Nous l’avons rêvée dans un petit cadre, parmi des visages familiers qui, pour nous, étaient le monde et nous voudrions voir, maintenant que nous avons grandi, le reflet de nos entreprises et de nos paroles dans ce cadre, sur ces visages. Ils ont disparu, ils sont dispersés, ils sont morts. Ils ne reviendront jamais plus. Et alors nous cherchons autour de nous, désespérés, nous cherchons à reconstituer ce cadre, ce petit monde qui nous ignorait mais qui nous aimait et devait être étonné par nous. Mais il n’existe plus. »



L'amour, selon Cesare Pavese (une pose, encore une fois ? attitude d'un enfant puni qui crache sur le dessert qu'il ne peut pas manger ?)


Citation:
Celui qui dénonce l’immoralité de l’amour vénal devrait laisser tranquilles toutes les femmes, car, une fois exclus les rares instants où l’on nous offre son corps par amour, même la femme qui nous a aimés se laisse faire et agit seulement par politesse ou par intérêt, à peu près résignée comme une prostituée.
On peut dire la même chose de l’homme, bien que ce soit peut-être moins fréquent.
Pour sortir de ce drame, il n’y a qu’à condamner aussi l’amour sincère, par le fait que son but est le plaisir. Mais il reste toujours que baiser –qui réclame des caresses, qui réclame des sourires, qui réclame des complaisances- devient tôt ou tard pour l’un des deux un ennui dans la mesure où l’on n’a plus naturellement envie de caresser, de sourire, de plaire à ladite personne ; et alors cela devient un mensonge comme l’amour vénal.



Je l'ai déjà mis dans mon commentaire mais je tiens encore à le remettre... Ce passage-là est celui qui mérite avant tout de ressortir de cette lecture :


Citation:
« On accepte de souffrir (résignation) et puis l’on s’aperçoit qu’on a souffert et voilà tout. Que la souffrance ne nous a pas servi et que les autres s’en fichent. Et alors on grince des dents et on devient misanthrope. Voilà. »



Ravissantes découvertes...
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29 janvier 2013 2 29 /01 /janvier /2013 19:15






Quel soulagement de voir la maison familiale prendre feu ! Ce n’est pas que cette belle demeure qui fait le centre des scènes du Sacrifice me déplaise mais enfin ! il se passe quelque chose de décisif et la fin du film approche ! Mais pour cela, il aura fallu traverser 2h30 arides et austères…





Le Sacrifice est un objet qui ne semble pas avoir d’autre projet que celui d’illustrer certaines des idées d’Andrei Tarkovski en scènes filmées. On pourrait dire qu’il s’agit là de la règle en cinéma…mais ici, les images ne semblent absolument pas nécessaires et n’apportent rien aux réflexions d’Alexander, ancien acteur démissionnaire, pauvre bougre torturé par des idées « nietzschéennes ». Au contraire, elles nuisent à leur compréhension : ne serait-on pas mieux au calme pour lire et s’imprégner tranquillement des pensées de Tarkovski ? Avec le Sacrifice, on croit sans cesse qu’il va se passer quelque chose de crucial à l’écran et l’attention se détache parfois du propos pour porter l’œil sur les scènes et les personnages alors qu’en définitive, l’illustration ne se fera que vaguement, sous forme d’une parodie grossière du propos littéral. A la limite pourra-t-on apprécier les atmosphères lugubres et terrifiées que Tarkovski parvient à mettre en place dès lors que l’annonce d’une nouvelle guerre mondiale s’infiltre à travers les murs de la maison. Même si là encore, n’importe quel cerveau de lecteur aurait pu se figurer lui-même cette obscure terreur.




Avant le Sacrifice, je ne connaissais pas Tarkovski. Lui, cinéaste ? Pourquoi pas… mais pour moi, il est avant toute chose un écrivain et idéologue, bien meilleur à l’écrit lorsqu’il s’agit de s’expliquer à propos de son film, que derrière la caméra lorsqu’il s’agit de le tourner…


Citation:
« C’est à partir de ces réflexions que j’ai décidé de réaliser le Sacrifice. Le moyen de revenir à un rapport normal avec la vie est de restaurer un rapport avec soi-même. Il faut pour cela trouver son indépendance face au style de vie matériel et vérifier par là même sa propre essence spirituelle. Dans ce film, je montre un des aspects de cette lutte si on vit en société et qui est la conception chrétienne du sacrifice de soi. Celui qui n’a pas connu ce sentiment-là, de désir, cesse, de mon point de vue, d’être un homme, se rapproche de l’animal et devient un mécanisme étrange, un objet expérimental dans les mains de la société et du gouvernement. Par contre, s’il acquiert son autonomie morale, il trouve en lui la capacité de s’offrir en sacrifice à quelqu’un d’autre. »





Citation:
« Cet homme a compris que, pour se sauver, il est indispensable de s’oublier soi-même. Même sur le plan physique, il faut passer à un autre niveau d’existence. Quand on a faim, on va au magasin et on s’achète à manger, mais quand vraiment on se sent très mal, en crise spirituelle, il n’y a nulle part où aller, sauf chez les sexologues et les psychanalystes qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Ce sont des bavards, des voyeurs, qui vous consolent, vous calment et vous font payer cher. Ce sont des charlatans, mais ils sont terriblement à la mode. Mon héros ne peut plus vivre comme avant et il accomplit un acte, peut-être désespéré mais qui lui montre qu’il est libre. De tels actes peuvent avoir une résonance absurde sur le plan matériel, mais sur le plan spirituel ils sont magnifiques car ils ouvrent la voie d’une renaissance. »






Citation:
« Ce qu’on appelle l’information dont on prétend avoir tellement besoin - voyez la télévision et la radio - les commentaires permanents, infinis des joumaux, tout cela est vide et dépourvu de sens d’un point de vue fondamental. On s’imagine que l’homme doit savoir toutes sortes de choses dont en fait il n’a pas besoin, dont la connaissance lui est strictement inutile. Nous mourrons sous les tonnes de cette information bavarde. En fait, il vaut mieux agir que bavarder. Quant aux mots, aux paroles avec lesquels nous communiquons - et ceci concerne l’art- ils doivent être dépourvus de passion. C’est la nostalgie que nous éprouvons envers le principe olympien, cette froideur, cette réserve classique, qui fait la magie, le secret des grandes oeuvres à résonance métaphysique. »




(extrait d’un entretien avec Annie Epelboin à Paris, le 15 mars 1986 et paru dans la revue Positif, mai 1986)

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28 janvier 2013 1 28 /01 /janvier /2013 19:12
Conquistador – Tome 1 (2012) de Dufaux & Xavier





Cette histoire de conquistadores me laisse perplexe et son existence ne me semble absolument pas nécessaire. Peu de choses à dire, un peu plus seulement à montrer… Dans ce cas, il aurait peut-être été plus honnête et valorisant de se contenter d’un album constitué uniquement de dessins.




Philippe Xavier a voulu travailler de manière traditionnelle et ne pensait certainement pas pouvoir vendre ses dessins s’il ne les accompagnait pas d’un minimum de trame scénaristique. C’est à ce moment-là qu’apparaît Jean Dufaux et son histoire de Conquistador, apte à abrutir n’importe quel lecteur par la force de sa répétitivité. Cette histoire de méchants européens qui viennent squatter les territoires incas pour s’accaparer tout l’or et les trésors des temples, ne me dites pas que vous ne l’avez jamais lue, jamais vue, jamais entendue ! Vous la connaissez déjà par cœur… Et vous appreniez, à l’issue de ces récits dignes des plus grossiers fabliaux, qu’il était mal –très mal- de vouloir dérober les richesses non monnayables des peuples sauvages. Encore une fois, Jean Dufaux nous assène cette morale sans oublier d’incorporer tous les éléments dramatiques qui donneront à l’histoire un semblant de rebondissements. Ici aussi, rien que du classique : des empoisonnements, des adultères, des tromperies, des affrontements… le lectorat est clairement ciblé : bourré de testostérones, on lui sert des personnages à la musculature bien développée (sauf s’il a un cerveau) et des femmes en petites tenues affriolantes (sauf lorsqu’elle jure et qu’elle se bat comme un homme).




Alors, certes, l’immersion en territoire inca n’est pas désagréable et permet à Philippe Xavier de se perdre en jungles luxuriantes et en temples resplendissants, mais quelle barbe de devoir se taper l’histoire qui va autour… Dans un déclamatoire faussement anticapitaliste clamant qu’il est mal de piller et de détruire les civilisations exemptes de vénalité, Philippe Xavier et Jean Dufaux agissent exactement à l’inverse de la morale qu’ils revendiquent -à considérer que le neuvième art est encore un territoire exempt préservé dont ils seraient les conquistadores affamés.


Citation:
Des empires peuvent disparaître tandis que montent la bassesse et la corruption. Ainsi va notre monde. Mais tant que je suis en vie, je combattrai la vilenie, l’injustice et l’irrespect envers nos Dieux.



! affraid
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